"L'organisation caritative Arche de Zoé, son président Eric Breteau et cinq de ses membres devraient être à nouveau jugés en France pour une affaire de tentative d'enlèvement d'enfants au Tchad en octobre 2007," après avoir passé 6 mois en prison au Tchad puis en France (lexpress.fr).
Voilà ce que j'écrivais en pensant à eux, en octobre 2007 donc, le lendemain de leur arrestation, au vu de "quelques images à la télé, quelques lignes dans les journaux. De quoi imaginer un scénario, peut-être complètement faux, aussi crédible qu'un autre."
Un tsunami raye une ville de la plaine, des Français devant leur télé, dont un pompier, le refusent. "Souvent l'engagement commence par un refus" (Bayrou). Ils s'engagent. Pour la veuve et l'orphelin. Il est plus facile d'aider l'orphelin.
Car face au malheur des orphelins dans ces pays dévastés, il y a le malheur des couples sans enfants dans notre pays au ventre plein. Ce double malheur est absurde.
Alors les pompiers décident de casser la muraille entre ces deux misères, de soigner l'une par l'autre.
Le tsunami a duré un instant, la guerre civile au Darfour dure des années. Il ne manque pas d'orphelins. Ni en France de couples prêts à adopter un enfant même noir, même déjà un peu âgé, même né musulman, même sans papiers. De couples prêts à braver le désordre du monde.
Les pompiers s'envolent, là où ils peuvent. Côté tchadien, côté camps de réfugiés. Mais les camps sont administrés, il y a des règles, onusiennes, claniques, ils n'y sont pas si bienvenus. Et les orphelins ont tous, presque tous, une famille. Car face à la récurrence des conflits, des sécheresses, des accidents, la famille est vaste au Sahel. L'oncle, le parent, l'habitant du même village, doivent assistance, si maigre soit-elle, doivent asile à l'orphelin.
Les pompiers sont en mission. En pays étrange, steppique, militarisé, silencieux, comme hostile. L'ordre onusien des camps. Le désert des Tartares en face. Le pouvoir incontrôlable des Goranes, Toubous, Zaghawas en turban et kalachnikov assis droits sur le plateau des Toyotas - bref, de l'armée. L'ordre impuissant et souriant, insubmersible, de l'administration civile. Le monde intérieur, caché tout au fond du puits des yeux des paysans et éleveurs. Incommunicable. Ils ne parlent pas français, d'ailleurs. Arabe ? Dialectal, nous dit-on. Et nous ne parlons pas arabe. L'ordre familier de l'armée française "prépositionnée" là-bas. Oasis.
On a pris un nom et un logo qui font crédibles, "Children Rescue" (parce qu'ici, non seulement on ne parle guère français, mais on ne connaît ni Arche ni Zoé), mais ça n'a pas suffi. Pas d'orphelins darfouriens accessibles dans les camps.
On les cherchera dans les villages.
Ce sont les mêmes ethnies parfois. Ils peuvent bien avoir été hébergés chez des parents très lointains, dans ces villages de l'Est du Tchad. Allons à leur recherche. Avec notre interprète. Notre chauffeur fera l'interprète. Il parle l'arabe des gens d'ici. Il nous dit que les chefs sont prêts à certifier que ce garçon, que cette fillette, ce sont des orphelins du Darfour.
Trop heureux, le chef, de se débarrasser de cette bouche à nourrir ? Et alors, qui sommes-nous pour le juger ? Il se dit que cet enfant aura une vie meilleure au pays des Blancs ? M. et Mme Martin, qui sont sur notre fichier, se disent exactement la même chose.
Cet enfant, de cette ethnie darfouro-tchadienne, on me demanderait de quel côté de la frontière est-il né ? Mais ça n'a pas de sens.
Les enfants tchadiens sont misérables. Eux ne bénéficient même pas de l'ordre onusien. La disette et la guerre civile, les accidents de la vie, frappent les villages aussi. Pourquoi un enfant tchadien aurait-il moins le droit à notre aide qu'un enfant du Darfour ?
Tous les enfants tchadiens. Les familles d'accueil sont prêtes. Elles feront le maximum pour les adopter. Ils seront riches ces enfants, infiniment riches par rapport à toute cette poussière, cette misère, cette patience infinie et ces dangers sans nombre qui sont le fil de nos quelques semaines ici au Tchad.
Certains, nous objecte-t-on, auraient des parents. Eh bien ?! Que les parents viennent les chercher, les nourrir, les éduquer, nous ne demandons pas mieux. S'ils ne le font pas, c'est qu'ils ne peuvent pas. C'est qu'eux aussi rêvent, pour leur enfant, du pays des Blancs.
Ce matin, mon chauffeur a carrément fait monter dans le 4x4 des enfants en leur donnant des bonbons. Je dois vous dire que je trouve ça carrément limite. Mais l'avion arrive après-demain. Nous ne pouvons plus finasser. On va régulariser. Si les parents veulent l'enfant, bien sûr qu'on le leur rendra, tu parles.
Nous voilà au commissariat. Nous avons la radio. L'UNICEF nous enfonce, nous traite de tous les noms. Ces bureaucrates. Ils disent qu'un enfant a le droit d'être éduqué par ses parents, mais tu les as vus, les parents ? Ils vont sortir leurs rapports d'évaluation, leurs politiques éducatives, ils vont prouver par A+B que ces histoires de parrainage et d'adoption créent des drames, que c'est beaucoup d'argent pour quelques enfants alors que des millions ont besoin de secours, ils vont dire au public de leur donner de l'argent à eux … Mais grand bien leur fasse, s'ils savent faire ! Nous, on est pompiers volants. On fait ce qu'on sait faire. Donner des enfants à des familles au grand coeur mais sans enfants. Donner des parents à des orphelins. Ou pas. Mais on avance. Sauf que là, on nous coupe les jambes. Et tout le monde y ajoute son coup de poignard dans le dos, même l'État français, même l'ambassadeur, dont hier les soldats nous aidaient.
Ce matin, le Président est venu au commissariat se faire sa tranche de pub à la télé.
À la télé française devant les enfants en pleurs. Évidemment, avec ce débarquement de militaires, aux aguets, le doigt sur la détente !
À la télé tchadienne en nous accusant de toutes les saloperies de la terre : de trafiquer ces enfants pour des pédophiles, ou pour les tuer, pour les débiter en organes. On dégueulerait si on en avait encore le coeur. On dégueulerait au conditionnel, lui il nous accuse au conditionnel, tu parles. Il veut qu'on soit lynchés ou quoi. Il retient même prisonniers les Espagnols de l'avion, qui n'y sont pour rien, les pauvres. Pourvu qu'on sorte en vie de ce putain de piège.
Si j'étais romancier, j'essaierais à la Durrell le point de vue des parents, des militaires, des assistantes sociales tchadiennes qui gardent les enfants, de l'ambassadeur, du président Déby, des légionnaires français, de l'étoile du Berger. (On a vu Stardust hier soir).
Mais je ne suis pas romancier. (…)
J'ai passé 10 jours en tout et pour tout au Tchad (aucun à Abéché, aucun au Darfour). En 2001, c'est déjà un peu vieux. (…)
Chers compatriotes de "L'Arche de Zoé / Children Rescue", vous avez fait une méga-connerie, peut-être très très illégale et même très très malfaisante. Vous avec peut-être accumulé une mégatonne de responsabilités. Avec ce qui semble être votre inconscience, votre incompétence, votre sottise. Vous avez attristé, peiné tous les "humanitaires" et toutes les assistantes sociales au chevet du Tchad, avec votre projet de pieds-nickelés, avec vos cinquante ans de retard sur la marche du temps.
Chers compatriotes, vous avez eu le courage de mettre le cap vers l'autre bout du monde. Vers les antipodes de notre état de droit, de notre démocratie, de notre capital, de nos généreux couples sans enfants prêts à adopter de petits musulmans arabophones Noirs dénutris. Vous avez cinglé sur l'océan d'Absurdie, toutes voiles dehors, et vous y avez amené une chose merveilleuse, précieuse, un trésor si précieux que le Président lui-même, que l'Ambassadeur, ont traversé tout le pays, quelque chose comme 1000 km de steppe, pour venir à Abéché.
Vous y avez amené les caméras.
Les associations sur place au Tchad et dans les pays voisin comme le Cameroun que je connais si bien, souffrent toujours du discrédit installé à cause de leurs actions. On ne joue pas avec un sujet si humain. Non, l'humanisme n'est pas un jeu virtuel et encore moins financier.
Ton récit de 2007 dans lequel tu relates un vol dont tu as été victime, me fait penser à une mésaventure que j'ai vécue à Djibouti...
Je venais d'amener mes enfants à l'école française et au moment où je m'installais dans la voiture, un jeune a détourné mon attention en me désignant la roue avant comme si elle était crevée. Pendant que j'étais penchée, il a tout bonnement happé mon sac à main derrière mon dos ! Puisque j'avais les clefs sur le contact, je ne m'en suis pas rendu compte immédiatement et le malin petit voleur (dont j’ai sincèrement admiré la dextérité !) a donc pu s'éloigner d'un pas tranquille.
Malheureusement pour lui, ce gamin souffrait d'une claudication, ce qu'il fait que l'identification était plus simple.
Moi aussi je suis montée dans la voiture des policiers pour partir à la chasse au fautif. Une 4L bleu pas vraiment rutilante (tiens la mienne était blanche fond de rouille heureusement...). Place Menelik, dans un petit groupe, mon voleur était là. Je l'ai désigné avec soulagement. Les policiers se sont contentés de lui signifier par geste de se présenter au poste.
Quelques jours après j'ai été convoquée à la police par l'intermédiaire de mon mari : j'ai pu récupérer tous mes papiers et tout le sac à main ! Il manquait seulement le joli petit porte-monnaie en mailles et l'argent qu'il contenait.
Eh bien, franchement ça ce n'était pas grave... Parce que, oui, soulagée pour les papiers restitués bien sûr mais pas très fière de ce qui avait dû probablement se passer pour que je les retrouve. On m’a expliqué que ce jeune avait très certainement été roué de coups.
Etant donné que j'avais déjà été témoin de telles scènes dans la rue et étant donné l'extrême misère quasi générale de ce pays (année 1979), n'aurais-je pas mieux fait -moi la nantie- de déclarer que je n'avais pas vu le voleur ?!
Merci pour vos commentaires ; @ Françoise Boulanger : effectivement c'est la même histoire et la même interrogation ... sans réponse.
Je repensais à mon billet "Zoé" ces derniers temps depuis que dans son discours de Grenoble, M. Sarkozy a braqué les projecteurs sur les Roms ; Tony Gatlif, interviewé par Télérama, conclut sur ce registre également : vidéo http://www.telerama.fr/cinema/le-re... (les 30 dernières secondes).
J'ai lu et j'ai aimé.
A+
Très honoré !