Un échange sur twitter, partant d’une réaction à ce que préconiserait, selon un·e twittos fort sympathique au demeurant, Éric Piolle :

“Il faut produire moins intensif, sur moins de surface, en embauchant plus de monde et importer moins” : chacun de ces objectifs peut très bien avoir sa raison d’être propre tout à fait légitime - et discutable. Mais tout ensemble ça va quand même être compliqué.

— Celles et ceux qui disent « moins intensif » ne critiquent pas, à mon sens, le résultat (en tonnes/hectare) mais les moyens (intrants, labour etc. selon les cas). Par exemple, ils/elles vantent la permaculture comme procurant des rendements de ouf (au prix de beaucoup d’emploi agricole).

Beaucoup d’emplois agricoles = bouffe plus chère (si le gain de productivité ne compense pas les surcoûts - et j’imagine que c’est le cas sinon il y aurait une bascule massive). (…) Je ne suis pas hyper convaincu que pousser la population française à la pauvreté pour un gain climatique et environnemental marginal soit un projet politique très souhaitable. (Et c’est bien toute la difficulté du sujet, précisément).

— “pousser la pop française à la pauvreté” : point important. Est-ce de la pauvreté, de cultiver la mâche au lieu de passer son temps sur des écrans ? La réponse dépend d’une appréciation personnelle (différente d’une personne à l’autre). Avec une production matérielle bien moindre, la population française peut aisément être nourrie et logée — car une grande partie de la production matérielle actuelle est hors de ces secteurs, ex.: les transports. La valeur du reste (70% de la consommation actuelle ; dont les transports) est plus subjective. Certains préféreront aider à la protection contre incendies et inondations, plutôt que lire des polars. (Évidemment, dans le “reste” il y a énormément de services indispensables : santé, éducation et culture, etc. ; c’est leur valeur (des €) qui est subjective, produit de l’état de la société et de l’économie = ces secteurs subissent très peu de contraintes physiques). Par exemple, la concentration urbaine (mégalopoles) et intra-urbaine (hypermarchés et leurs centres commerciaux), forte consommatrice directe et indirecte de ressources matérielles, n’est manifestement nécessaire ni à nourrir ni à loger, bien au contraire.

On peine à recruter pour le maraîchage, et les appels à aller ramasser les fraises pendant le confinement n’ont pas eu un franc succès (c’était même plutôt du ricanement, y compris chez des décroissants très propres sur eux). La route vers la pauvreté, c’est de devoir mettre une part plus importante de son budget dans la nourriture (et probablement dans l’énergie, les transports, les vêtements (coton) etc). S’il ne reste pas assez pour tout couvrir correctement (et je rappelle que ce n’est déjà pas le cas aujourd’hui - la précarité alimentaire/énergie/logements existe), on rentre en zone de pauvreté (et de précarité, et de risque personnel). On est loin de considérations visant à retirer du superflu, dans une approche ascétique plus ou moins morale.

— Ça se discute : les personnes qui pensent bien d’acheter bio et/ou local consacrent une part plus importante de leur budget à la nourriture, sans être plus pauvres pour autant. Autre exemple : une taxe sur les produits de luxe les rend plus cher, sans “appauvrir”. Le raisonnement purement “en €” sur la pauvreté omet que les prix (car, notamment, les coûts) sont largement le résultat de choix sociaux, collectifs (débattus démocratiquement ou “main invisible du marché”). Vous dites “la route vers la pauvreté c’est de devoir payer plus cher (car les coûts de production auront monté)” ; oui si c’est vrai globalement, pour tout ce qu’on achète.

Le problème se pose d’ailleurs avec la politique actuelle du logement : par exemple, “la route vers la pauvreté”, c’est devoir payer plus cher le logement parce que les obligations légales de diagnostic, de consommations énergétiques, etc., se multiplient, très peu efficaces sur les coûts et très chères (qu’elles soient payées par l’acheteur ou par l’impôt). Cette opinion est très impopulaire chez les “écologistes de gouvernement”, dont le mantra est le “grand plan d’isolation du logement existant” éternellement à lancer. Mais justement ! Ça illustre les limites du discours selon lequel “c’est à l’État de prendre les décisions !”

L’État n’a pas le pouvoir de décréter un changement brutal des comportements (de consommation) des Français : au maximum de son pouvoir avec le confinement n°1, il n’a que faiblement influé sur les consommations (et émissions de GES).

Le discours écologiste plus militant, “de toute façon le défi climatique nous y contraindra”, tombe tout aussi à plat : un défi ne contraint pas. Il est facile de ne pas le relever. 30 ans d’ailleurs qu’il est là, que l’humanité ne le relève pas, que la Terre chauffe toujours plus.

Un changement massif dans le sens de limiter le réchauffement et (surtout, désormais) d’en anticiper et limiter les conséquences négatives, présuppose une évolution plus massive encore des perceptions qu’en ont les humain·e·s (consommateurs, électeurs…).

Cette évolution rendrait valides, valorisants, heureux, des choix individuels (sur le logement, les déplacements, l’alimentation, l’activité professionnelle ou de loisirs…) et collectifs (urbanisme, équipement…) complètement différents de ceux de la société actuelle.

Le PNB (qui est la somme des salaires et dividendes versés dans l’année) n’aurait aucune raison de baisser (ni d’augmenter) pour autant.

Ce qui changerait, c’est la répartition du travail (à quoi est-il consacré) et de la valeur perçue (donc aussi des bénéfices). Je trouve peu crédible l’idée que le réchauffement forcera une baisse du PNB (en endommageant l’outil de production). Les périodes de reconstruction (ex. post-guerre) sont des périodes d’activité intense, de croissance (… mais de pauvreté par manque de patrimoine). Quoi qu’il en soit, une révolution des préférences des gens, et de l’allocation du temps de travail, devrait normalement survenir avant que les éventuels dommages au patrimoine n’atteignent une ampleur qui force une baisse du PNB.

En complément : des évolutions ou révolutions fortes des préférences (qui ne causent pas une pauvreté perçue) existent souvent, dans l’Histoire. P.ex., il y a 40 ans, la Suisse était pleine d’abris antiatomiques (coûteux) perçus comme une valeur/richesse, non une pauvreté. Beaucoup de gens (pas de chiffre, désolé ! mais il en existe) dépensent beaucoup pour se prémunir de risques très peu attestés.

Autre exemple, la société française dépense des dizaines de milliards par an contre le terrorisme (qui n’a pourtant pas tué 1000 personnes en 20 ans).

Et, pour une note positive, des changements voulus, perçus comme enrichissants, existent déjà, notamment parmi les “moins de 30 ans” : beaucoup veulent habiter léger, circuler sans voiture, manger végétal, faire du tourisme sur le continent (et non au-delà des mers)… ce qui était marginal en 2005-2010 encore.

Cette (r)évolution arrive bien trop tard pour éviter la catastrophe climatique ; au moins prépare-t-elle la prochaine génération à y réagir, à s’y adapter. Après être tombés, on se relève peut-être plus vite quand on s’est vu tomber !

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