J'ai participé quelques heures ce samedi aux manifestations, entre Opéra et République.

Dans ces cortèges successifs et distincts, noir, jaune, rouge, vert, qui s’applaudissaient et se comprenaient à peine, j'ai ressenti la conscience d’avoir un même adversaire, le « système » fièrement incarné par Emmanuel Macron. Mais ce n'est pas encore un Conseil National de la Résistance, faute de Conseil.

Et puis, j'ai appris l'ampleur de la casse sur les Champs-Élysées. Elle met au défi les leaders de toute sorte de ces mouvements multicolores qui manifestent. Réunissez-vous, pas seulement pour résister ensemble, aussi pour préparer ensemble un système autre. C'était cela, le CNR.

Une autre voie, ou le chaos.


Je reviens plus en détail sur deux moments. Mon premier sentiment devant les manifestants "pro-climat" réunis sur les marches de l'Opéra.

Le rythme était très différent de celui que j'avais entendu samedi dernier sur les Champs, « On - vient - te chercher chez toi ! »,

Ici c’était
woop-woop-woop-woop
woop-woop-woop-woop
woop-woop-woop-woop
woop-woop-woop-woop

balancés par les enceintes d'un camion de scène.

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Une divergence des rythmes.

J'ai été bluffé, en voyant la diversité et la créativité des pancartes portées par les manifestant·e·s, par leur côté gentillet. "Fuck pas ta mer", ok, et alors ? Qu'est-ce qui doit changer, en fait ? Que revendique-t-on ? Après le "conservatism with compassion", a-t-on droit à une nouvelle arnaque, le "conservatisme naturophile" ? Ou une forme de religiosité rassurante, communier dans le culte de Gaïa en proclamant que les pouvoirs économiques et politiques sont pécheurs — un grand classique de toutes les religions, qui a rarement gêné les pouvoirs économiques et politiques ?

Cette inquiétude est en partie injuste : il y avait là des personnes engagées dans de vrais changements, comme les militants vegan. Peut-être aussi beaucoup de présents accepteraient-ils de ne plus prendre l'avion (tant pis pour le wwoofing aux antipodes), de ne plus passer leur temps sur les écrans, d'habiter serrés pour chauffer moins d'espace. Peut-être sont-ils prêts à une vie sobre. Mais ça n'apparaissait pas, ce n'était pas encore mûr.


En tête du cortège, les défenseurs des victimes de violences policières, suivis de "gilets noirs" sans papiers, et qui en demandent à la France.

Autre rythme, tambours saccadés et slogans relancés avec pêche par des pros de l'agit-prop.


Et puis pas mal de Scouts de France en tenue.

Des détachements syndicaux assez nombreux et d'âges divers, le rouge de la CGT, l'orange de la CFDT.

Beaucoup de gilets jaunes ici aussi, dont Priscillia Ludosky (que je n'ai pas vue mais qui a posté une vidéo) et Ingrid Levavasseur (qui s'était en tout cas annoncée), pendant que d'autres étaient sur les Champs.

Et donc, sur les Champs, de la casse. Un "début d'incendie sur une table du Fouquet's". Des stores brûlés, pas par les lacrymos de la police. Plusieurs vitrines cassées, magasins vidés, kiosques démantibulés. Une famille que la police a dû aller chercher chez elle et en faire sortir, par l'escalier, parce que ça brûlait dans la banque au-dessous.

Et les polémiques de retour, les classiques : qui est responsable ? Les casseurs, ou le gouvernement ?

Débat creux puisque leurs deux responsabilités sont de nature différente.

Ce sont les casseurs qui cassent et doivent répondre de leurs actes, rembourser les dégâts, être jugés et condamnés… Responsabilité civile et juridique.

C'est le gouvernement qui est chargé de garantir la sécurité des personnes et des biens dans un monde où il y a des casseurs. Responsabilité politique.

C'est la deuxième qui est la plus compliquée.

J'ai l'impression que le pilotage politique des forces de l'ordre est à l'ouest. J'ai eu à plusieurs reprises depuis le début de la crise l'impression que les événements suivants étaient évidents (y compris ce samedi suite à l'appel d'Eric Drouet) et que les instructions données aux forces de l'ordre étaient à contre temps, contre sens, ou vouées à aggraver la situation. Pourtant, je n'ai aucune info privilégiée sur les GJ, ne "suis" aucun groupe en ligne d'aucune sorte par lequel ils s'organiseraient… Alors "où sont les RG ?" (nouvelle version de "que fait la police"…).

Il y a bien sûr l'hypothèse (étayée par de nombreux faits, mais certainement partielle) selon laquelle le pouvoir cherche à monter en épingle une violence venant de GJ de façon à disqualifier l'ensemble du mouvement. Piège vieux comme le monde.

Si le pouvoir a cette tentation, ça montre encore plus qu'il est à l'ouest : ça peut marcher contre un mouvement marginal, confiné à une région ou un groupe de population, si bien que les autres citoyens n'en entendraient parler que par les grands médias (ceux que le gouvernement peut influencer) ; mais là, j'imagine que 80% des Français (notamment en province) ont le sentiment de bien mieux connaître les GJ que MM. Castaner, Philippe ou Macron ne les connaissent.

Donc, essayer de faire passer "le GJ" ou "les GJ" pour un personnage caricatural (con, violent, antisémite et voleur…) est une manoeuvre aussi ridicule que vouée à l'échec.

En revanche, "le GJ" ou "les GJ" peuvent passer pour un personnage un peu inconséquent, qui tourne en boucle dans une agitation hebdomadaire sans buts si clairs que ça, et sans stratégie crédible pour avancer vers ses buts.

Un personnage minoritaire aussi à côté des verts, des noirs, des rouges et quelques autres couleurs de gilets aux combats tout aussi honorables.

La "convergence des luttes", ou le "Conseil National" (de la Résistance, la Renaissance ou la Révolution) n'est pas encore là. Mais notre pays en a besoin, pour sortir enfin de décennies de stagnation, pour entrer d'un bon pied dans le nouveau monde.

J'ai rarement vu en France un mouvement politique qui donne autant d'espoir, qui soit aussi prometteur, aussi multicolore, que celui de ces derniers mois — le mouvement autour de la candidature Bayrou pendant quelques semaines de 2007, et c'est à peu près tout. Alors j'espère — tout en voyant bien que, pendant que ça mûrit, ça pourrit aussi. Pourvu que les fruits arrivent à maturité.

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