Sous VGE, le jeu électoral c’était transparent : 4 partis, de forces à peu près égales, associés deux par deux ; dans chaque duo, le moins puissant des deux trahissait le plus puissant (la “politique du pire”) pour préparer le coup d’après. Celui des 4 qui faisait un peu plus peur à son allié, limitait la portée de la trahison, et gagnait l’élection.
Aujourd’hui les partis, franchement c’est n’importe quoi. Si quelqu’un peut m’expliquer la ligne et les chances de victoire de n’importe lequel des partis existants, bravo[1] !
Pourtant, l’état de l’opinion me semble avoir cristallisé assez clairement. J’y vois 6 facettes :
- les nationalistes,
- les défenseurs des droits de l’individu,
- les écologistes enracinés,
- les réalistes communicants,
- les identitaires religieux,
- les entreprenants.
Toutes me semblent avoir une place à peu près égale dans la société ; les deux dernières sont peut être moins nombreuses, mais compensent par l’activisme.
Autrement dit, une coalition gagnante, capable de mettre en mouvement l’État et la société, c’est réunir 4 de ces Français·es sur 6.
Les seules facettes qui me semblent inconciliables, vouées à s’opposer, ce sont les deux premières. (Et encore).
Waoh, ma tentative de sphère à 6 facettes donne un résultat très douteux. Mais il paraît qu’il vaut mieux une image moche que rien du tout.
Les nationalistes s’appuient sur une recette qui marche (ou échoue) de la même façon dans tous les domaines : la préférence nationale, et merde pour le reste du monde. C’est très fort électoralement puisque tous les électeurs sont des nationaux : le vote nationaliste ressemble à un vote syndical, on désigne notre représentant pour affronter les représentants des autres nations. On aime l’État s’il nous représente. Simple et efficace.
Les défenseurs des droits de l’individu s’opposent à tout ce qui entrave, opprime, enferme une personne quelle qu’elle soit : les frontières, les polices, les lois, l’État… Pour les lois et l’État, c’est plus subtil. Souvent les défenseurs des droits de l’individu sont, au-delà du vote, engagés pour autrui : personnellement en association, professionnellement dans le service public… L’État est donc à la fois pour eux castrateur et nourricier.
Les écologistes enracinés ont sorti la tête de la pollution et des mythes prométhéens, échappé au travail à la chaîne comme au carriérisme. Ils ont trouvé leur équilibre sur un vélo, en appuyant sur leur bêche, en observant et écoutant les oiseaux, en mangeant cru ou bio : face à un avenir lourd de cataclysmes, la relation avec la matière, la lumière et les sons, leur propre corps, les rassérène. Paris est loin, l’État est loin, mais ils peuvent voter pour le bien.
Les réalistes communicants — j’utilise le mot “réaliste” au sens des relations internationales — savent que les forces qui, au quotidien, influencent la marche du monde, sont bien au-dessus de leurs petits biceps. Les puits de pétrole continueront à pomper, les jeunes de pays pauvres à risquer leur vie pour la gagner, les multinationales à se jouer des frontières. Pour présider, obtenir et garder des responsabilités, on ne peut que faire semblant. Avec autant d’emphase que possible. Ne rien faire évite, au moins, les décisions absurdes.
Les identitaires religieux, comme les écologistes enracinés, partent d’une expérience personnelle qu’ils identifient à des valeurs valables pour tous. Ils voudraient voir ces valeurs respectées et ne plus subir le mépris des médias, des employeurs, des sachants, envers ce à quoi ils croient. Les sujets politiques qui touchent le plus à l’intime, à l’être, sont ceux qui les mobilisent collectivement, contre ce qu’ils trouvent abusif, dictatorial, de la part de l’État “laïc”.
Les entreprenants — les doers en anglo-saxon — sont entrés dans la politique sans le savoir, se heurtant à l’Urbanisme pour construire leur maison ou applaudis par l’Éducation pour leur organisation de la kermesse de l’école. Ils expérimentent qu’avec un peu de bonne volonté, et de volonté, plein de choses sont possibles et améliorent la vie. Devoir s’étiqueter dans telle ou telle écurie les irrite, mais ils peuvent voter pour quelqu’un qui fait le boulot sans trop la ramener.
Tous me sont sympathiques, bien sûr, ils ont tous essentiellement raison. Mais aucune de leurs attentes ne me semble franchement portée, représentée, exprimée publiquement au plus haut niveau (décisionnel) du débat national. Les réalistes communicants, étant au pouvoir, ont souvent la parole, mais leur conception elle-même les conduit à masquer leurs idées, à produire du faux.
Certains partis peuvent essayer d’articuler deux ou plus de ces facettes : le Front National alliait traditionnellement les nationalistes et les identitaires religieux, qui n’y sont plus ; En Marche! a rallié en 2017 les entreprenants autour des réalistes communicants ; EELV travaille et est travaillé par l’équilibre instable entre écologistes enracinés, et défenseurs des droits de l’individu. Certains leaders politiques comme Jean-Luc Mélenchon, François Bayrou, Nicolas Hulot, Jean Lassalle bien entendu, sont assez ouverts à cette diversité pour tenir un discours qui rencontre plusieurs de ces facettes. Mais cela peut les couper de leur base !
Le jeu politique a été bouleversé par la mondialisation (technologique, informatique), par ses conséquences économiques (des rentes gigantesques se concentrent sur un tout petit nombre), sociales (tous ont accès au savoir, chacun·e peut communiquer avec chacun·e), écologiques (l’accélération de la production déséquilibre la planète).
J’ignore combien d’années il faudra pour qu’il se réorganise au point de nous rendre aptes à affronter collectivement ces défis.
Note
[1] Même Résistons ! Nous avions une ligne très claire, mais peu de monde la percevait ! et des chances de victoire très faibles. Avec la Covid, même la ligne a souffert.
Je ne suis pas contre une synthèse qui s'exprime dans une typologie en 6 blocs. C'est une question de méthode.
Mais sur quels matériaux, type d’enquêtes et d'études repose cette communication dont la concision démonstrative produit ce résultat abstrait:"[ une coalition gagnante, capable de mettre en mouvement l’État et la société, c’est réunir 4 de ces Français·es sur 6]".
J'ai bien noté qu'il ne s'agissait pas de 6 partis politiques mais d'une façon de représenter l'homo politicus pluriel du moment et d'inviter " des initiatives" à faire bouger des lignes d'écritures et pousser des pions-votants vers les urnes. Ce qui est le comportement attendu suite à une campagne prometteuse ( des offres) rencontrant des besoins, des rêves et des priorités individuelles ou de groupes.
Ici, à ce niveau de généralités je pense à 2022 et à l'enjeu national.
Quel sera l'offre et la demande à cet horizon?
C'est en partie le travail d'expression des majorités silencieuses, aboyantes ou fluctuantes, objet de toute l'attention des professionnelles du marketing qui contribuent à la lutte des places des postulants- représentants ou tout autre forme à imaginer.
Les animateurs intéressés ont du pain sur la planche pour mettre tout ça en mouvement.
Pour certain ce sera le samedi après midi, pour d'autres un dimanche en famille à 20 H, les nostalgiques parlent encore d'un grand soir et ceux qui s'en foutent continueront à s'en foutre.
Bonjour José, que de bonnes questions. Toute réflexion sur les différents sports laisse indifférents ceux qui n'ont pas la santé, les moyens ou l'envie de faire du sport. Toute réflexion sur les courants d'opinions politiques laisse évidemment hors champ "ceux qui s'en foutent" et qui peuvent avoir d'excellentes raisons de s'en foutre.
Par rapport à ta remarque "c'est une question de méthode. Mais sur quels matériaux, type d’enquêtes et d'études repose cette communication" : évidemment sur aucun autre que mon feeling personnel en écoutant les débats au Conseil municipal de vendredi ou entre militants de Résistons!, ou d'ailleurs. Et certainement aussi ma (longue !) expérience des enquêtes d'opinion, socio-culturelles etc., mais je n'ai pas essayé de reconstituer quel résultat d'enquête avait pu me suggérer telle formulation. C'est, au final, surtout une tentative de reconstitution intuitive des motivations de personnes rencontrées (et dont certaines se reconnaîtront peut-être !!!).
Bien sûr, quand on fait une typologie en 6, ça aurait pu être 4 ou 7 ou 9 ; cependant, arrivé au bout des 6, j'ai eu l'impression d'avoir épuisé le sujet, au sens de : je n'ai pas eu à l'esprit de personnes que je connaissais, un peu engagées en politique, et dont les motivations / valeurs ne se retrouvent pas là (ne serait-ce que par analogie : ex. des nationalistes corses, identitaires pas "religieux". Cet adjectif traduit bien sûr une évolution de la société française par rapport aux affirmations identitaires d'il y a 40 ou 50 ans.). Bien sûr, il y en a, mais peut-être pas aujourd'hui au point de représenter 10 ou 15% des attentes des électrices et électeurs.
J'ai trouvé aussi après coup une logique interne à cette typologie, avec des oppositions collectif-individuel, insider-outsider, idéologique-pragmatique, qui peuvent se traduire en questions mesurables dans un questionnaire, si on voulait quantifier tout ça.
J'ai aussi remarqué après coup que les typologies habituelles des nombreuses "grilles de positionnement politique" dont beaucoup existent en ligne, ne me servaient à rien, et en fait, qu'aucune ne me semblait décrire proprement l'état actuel de l'opinion ; alors qu'elles marchaient certainement très bien dans les années 75-85 ; "conservateurs" vs. "progressistes", "sociaux-démocrates" ou "libéraux économiques", sans parler de "gauche, centre, droite"… : ces termes-là vont certes resservir pour étiqueter des personnes ou courants d'aujourd'hui et de demain, mais ils n'apportent pas de compréhension des motivations, valeurs, attentes des citoyens d'aujourd'hui — me semble-t-il. Simplement bien sûr parce que le monde a changé, la société aussi, la vie en société aussi, donc le rôle du politique aussi.
Mes 6 centimes !