Sous VGE, le jeu électoral c’était transparent : 4 partis, de forces à peu près égales, associés deux par deux ; dans chaque duo, le moins puissant des deux trahissait le plus puissant (la “politique du pire”) pour préparer le coup d’après. Celui des 4 qui faisait un peu plus peur à son allié, limitait la portée de la trahison, et gagnait l’élection.

Aujourd’hui les partis, franchement c’est n’importe quoi. Si quelqu’un peut m’expliquer la ligne et les chances de victoire de n’importe lequel des partis existants, bravo[1] !

Pourtant, l’état de l’opinion me semble avoir cristallisé assez clairement. J’y vois 6 facettes :

  • les nationalistes,
  • les défenseurs des droits de l’individu,
  • les écologistes enracinés,
  • les réalistes communicants,
  • les identitaires religieux,
  • les entreprenants.

Toutes me semblent avoir une place à peu près égale dans la société ; les deux dernières sont peut être moins nombreuses, mais compensent par l’activisme.

Autrement dit, une coalition gagnante, capable de mettre en mouvement l’État et la société, c’est réunir 4 de ces Français·es sur 6.

Les seules facettes qui me semblent inconciliables, vouées à s’opposer, ce sont les deux premières. (Et encore).

Waoh, ma tentative de sphère à 6 facettes donne un résultat très douteux. Mais il paraît qu’il vaut mieux une image moche que rien du tout.

6facettes.png, déc. 2020

Les nationalistes s’appuient sur une recette qui marche (ou échoue) de la même façon dans tous les domaines : la préférence nationale, et merde pour le reste du monde. C’est très fort électoralement puisque tous les électeurs sont des nationaux : le vote nationaliste ressemble à un vote syndical, on désigne notre représentant pour affronter les représentants des autres nations. On aime l’État s’il nous représente. Simple et efficace.

Les défenseurs des droits de l’individu s’opposent à tout ce qui entrave, opprime, enferme une personne quelle qu’elle soit : les frontières, les polices, les lois, l’État… Pour les lois et l’État, c’est plus subtil. Souvent les défenseurs des droits de l’individu sont, au-delà du vote, engagés pour autrui : personnellement en association, professionnellement dans le service public… L’État est donc à la fois pour eux castrateur et nourricier.

Les écologistes enracinés ont sorti la tête de la pollution et des mythes prométhéens, échappé au travail à la chaîne comme au carriérisme. Ils ont trouvé leur équilibre sur un vélo, en appuyant sur leur bêche, en observant et écoutant les oiseaux, en mangeant cru ou bio : face à un avenir lourd de cataclysmes, la relation avec la matière, la lumière et les sons, leur propre corps, les rassérène. Paris est loin, l’État est loin, mais ils peuvent voter pour le bien.

Les réalistes communicants — j’utilise le mot “réaliste” au sens des relations internationales — savent que les forces qui, au quotidien, influencent la marche du monde, sont bien au-dessus de leurs petits biceps. Les puits de pétrole continueront à pomper, les jeunes de pays pauvres à risquer leur vie pour la gagner, les multinationales à se jouer des frontières. Pour présider, obtenir et garder des responsabilités, on ne peut que faire semblant. Avec autant d’emphase que possible. Ne rien faire évite, au moins, les décisions absurdes.

Les identitaires religieux, comme les écologistes enracinés, partent d’une expérience personnelle qu’ils identifient à des valeurs valables pour tous. Ils voudraient voir ces valeurs respectées et ne plus subir le mépris des médias, des employeurs, des sachants, envers ce à quoi ils croient. Les sujets politiques qui touchent le plus à l’intime, à l’être, sont ceux qui les mobilisent collectivement, contre ce qu’ils trouvent abusif, dictatorial, de la part de l’État “laïc”.

Les entreprenants — les doers en anglo-saxon — sont entrés dans la politique sans le savoir, se heurtant à l’Urbanisme pour construire leur maison ou applaudis par l’Éducation pour leur organisation de la kermesse de l’école. Ils expérimentent qu’avec un peu de bonne volonté, et de volonté, plein de choses sont possibles et améliorent la vie. Devoir s’étiqueter dans telle ou telle écurie les irrite, mais ils peuvent voter pour quelqu’un qui fait le boulot sans trop la ramener.

Tous me sont sympathiques, bien sûr, ils ont tous essentiellement raison. Mais aucune de leurs attentes ne me semble franchement portée, représentée, exprimée publiquement au plus haut niveau (décisionnel) du débat national. Les réalistes communicants, étant au pouvoir, ont souvent la parole, mais leur conception elle-même les conduit à masquer leurs idées, à produire du faux.

Certains partis peuvent essayer d’articuler deux ou plus de ces facettes : le Front National alliait traditionnellement les nationalistes et les identitaires religieux, qui n’y sont plus ; En Marche! a rallié en 2017 les entreprenants autour des réalistes communicants ; EELV travaille et est travaillé par l’équilibre instable entre écologistes enracinés, et défenseurs des droits de l’individu. Certains leaders politiques comme Jean-Luc Mélenchon, François Bayrou, Nicolas Hulot, Jean Lassalle bien entendu, sont assez ouverts à cette diversité pour tenir un discours qui rencontre plusieurs de ces facettes. Mais cela peut les couper de leur base !

Le jeu politique a été bouleversé par la mondialisation (technologique, informatique), par ses conséquences économiques (des rentes gigantesques se concentrent sur un tout petit nombre), sociales (tous ont accès au savoir, chacun·e peut communiquer avec chacun·e), écologiques (l’accélération de la production déséquilibre la planète).

J’ignore combien d’années il faudra pour qu’il se réorganise au point de nous rendre aptes à affronter collectivement ces défis.

Note

[1] Même Résistons ! Nous avions une ligne très claire, mais peu de monde la percevait ! et des chances de victoire très faibles. Avec la Covid, même la ligne a souffert.