Un débat sur la création d’un « Conseil des Cultes » était annoncé jusque de l'extérieur de notre bonne ville. En réalité, il s’agissait de plus : un gros « paquet cultuel » accumulant le Conseil, des baux, une journée de la solidarité et autres dépenses, avec comme point commun la religion. Évidemment, ça allait être dur à avaler pour la plupart des conseillers. Mes notes[1].

Le Maire, Philippe Doucet : « Nous souhaitons, tout en respectant les principes de laïcité inscrits dans la Constitution,… une réflexion large sur le mode d’échange que peuvent avoir les institutions religieuses avec la Ville et avec l’État. Nous avons décidé d’accélérer cette démarche suite à l’incident survenu en octobre 2012 à la synagogue. Nous avons reçu les représentants des institutions religieuses, Monsieur le Sous-Préfet et moi-même. Nous avons souhaité une instance de dialogue pour travailler collectivement à l’amélioration du vivre ensemble, un « Conseil des Cultes ».

Organiser une WE des spiritualités, « où chaque lieu de culte qui l’accepte ouvrirait le lieu de prière à tous les citoyens argenteuillais curieux de le connaître. La première édition pourrait se centrer sur l’histoire de l’implantation de ces confessions à Argenteuil. »

Le Maire s’appuie sur « l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen », « la loi de 1905 et l’article premier de la Constitution de 1958 », puis fait la liste des travaux financés par la Ville aux abords de lieux de culte, à commencer par les églises catholiques.

Il propose de mettre à disposition un terrain, sous forme de bail emphythéotique, pour l’église « Vie et Lumière », à proximité du terrain réservé aux gens du voyage par le PLU.

Une étude de sécurité sur la synagogue pourra déboucher sur la proposition d’un autre lieu, dans le cadre d’un bail emphythéotique.

La mosquée Al-Ihsan (« Renault ») et la gêne apportée à la circulation par le grand nombre de voitures qui stationnement aux alentours : le Maire estime que la route de Cormeilles est aménagée (de frais par le Conseil général !) de façon « trop autoroutière » : la Ville propose d’y créer des places de stationnement, ainsi qu’un parking devant la future halle des Sports.

La capacité d’accueil de la mosquée As-Salam (« Dassault ») est insuffisante, et le stationnement est gênant : la Mairie réalisera un parking d’une centaine de places qui servira également au stade du Marais.

(etc.)

Philippe Métézeau trouve que la délibération est rédigée de façon minimaliste : « quand on parle de religion, chaque mot prononcé sera disséqué, donne lieu à des interprétations diverses… Il faut prendre certaines précautions. Et ne pas mettre les élus qui composent ce Conseil devant un fait quasiment accompli, à la recherche d’un coup de com’ devant les médias.

Est-ce vraiment préparer le vivre-ensemble que de présenter cette délibération dans nos boîtes aux lettres dans la nuit de mardi à mercredi, avec une quarantaine d’autres délibérations ? Sans nous laisser le temps de rencontrer les responsables religieux ? «’La Ville mène depuis plusieurs mois une réflexion large’, écrivez-vous, cette largesse ne va pas jusqu’aux élus, ni aux comités de proximité, ni aux habitants, ni aux réunions ‘Argenteuil 2022’ que vous organisez. »

« Vous n’avez pas à être partie prenante de l’organisation des Cultes. Un Conseil des Cultes, la Ville ou l’Etat n’ont pas à en faire partie. »

Dans votre rapport, « le mot même de laïcité ne figure que deux fois. Vous rappelez la Constitution ? Vous vous proposez de promouvoir la liberté d’exercice des cultes ? N’est-elle dont pas respectée à Argenteuil ? Est-elle menacée, comment, par qui ? »

Présenter comme destinés aux religions des aménagements destinés à tous les habitants, « c’est une conception communautariste que nous ne pouvons pas partager. » (quelques applaudissements du public).

Sur les baux emphythéotiques : est-il normal d’offrir d’un trait de plume des terrains publics, alors qu’il en manque tant pour les écoles ou les espaces verts ?

« Pour la tête de pont du tramway, vous avez expliqué qu’il n’y avait pas besoin de parkings, les voyageurs devant être incités à y venir à pied ou en bus. Eh bien, la mosquée « Renault » est parfaitement bien desservie par le bus et le train. Quelle incohérence ! »

« La synagogue est propriété des fidèles. Si une étude de sécurité montre qu’un autre lieu est mieux adaptée, nous n’y voyons aucun inconvénient. Mais le PLU ne permet pas la réalisation que vous annoncez ‘dans le respect du PLU’, à l’angle de la rue des Allobroges et de la route de Cormeilles. »

« Deuxième exemple (Vie et Lumière ?), vous annoncez un bail mais de quelle durée ? y aura-t-il un loyer ? »

« La ligne semble être franchie sur la séparation entre l’État et les religions. Nous voulons nous opposer à tous les communautarismes. Cette délibération ne rencontre pas notre approbation. »

Dominique Mariette : « nous ne sommes pas surpris, mais c’est quand même amusant de voir le Maire se faire le champion de toutes les superstitions représentées dans la ville. Tout cela sous prétexte de la tolérance, de respect etc. Si nous respectons toutes les personnes et la liberté de conscience, nous combattons toutes les idées religieuses, quelles qu’elles soient, comme réactionnaires.

S’il y a des travaux à réaliser avec l’argent de la commune, ou des terrains disponibles, ils doivent être utilisés pour des équipements publics et surtout pour des logements. Que les fidèles financent de leurs deniers la création des lieux dans lesquels ils voudront se retrouver. Quant aux relations entre eux, ce n’est pas à la Municipalité de les organiser. » (Applaudissements dans le public).

Marie-José Cayzac : « Au fil des Conseils Municipaux, vous avez pris l’habitude de nos présenter des délibérations qui s’éloignent des principales républicains. La loi de 1905 que vous interprétez à votre guise, ne saurait être ainsi (détournée ?). Notre groupe vous a proposé d’instituer une journée de la Laïcité, le 9 décembre, date anniversaire de cette loi de 1905.

La laïcité est l’un des rouages qui permettent l’égalité de chacun dans ses droits et des devoirs ( ?).

Le principe de l’égalité est la problématique majeure, le débat fondamental. Nous avons eu l’année dernière, à cette époque, votre accord sur la mise en place de cette Journée : nous en attendons toujours la réalisation. En lieu et place, vous nous proposez une journée des spiritualités, associant de près les trois principales religions monothéistes ! La spiritualité, comme la religion, est du domaine strictement privé.

Votre discours rappelle celui de Nicolas Sarkozy au Latran, selon qui « Dieu est dans le cœur de tout homme ». (Quelques applaudissements). Manuel Valls, inaugurant la grande mosquée de Strasbourg, appelait l’islam de France à « s’organiser pour traiter avec l’Etat les vrais problèmes, avec des imams français, des financements français ». Et il saluait le droit local d’Alsace-Moselle, par lequel l’État finance les religions.

On essaye de nous faire opposer tolérance et laïcité : c’est un non-sens. La laïcité protège croyants et incroyants.

Cette délibération est une intrusion dans la liberté d’organisation du culte, au risque de fractionner la cité.

Que ferez-vous lorsque l’association Civitas, dont le siège se trouve à Argenteuil, qui s’est tristement illustrée par ses manifestations contre le mariage des homosexuels, viendra s’inviter à la table de rencontre entre religions ?

Notre groupe appelle à ce que le projet soit abandonné. »

Anne Gellé : « Je suis très dubitative sur la qualification de la collectivité à créer un conseil des cultes. L’Etat respecte les croyances, cette position me semble suffisante.

Deuxièmement, pourquoi interroger les habitants sur ‘2022’ si les modalités du vivre-ensemble sont décidées auparavant ?

Beaucoup de nos concitoyens, je pense à nos concitoyennes, risqueraient de souffrir des effets d’une participation de la collectivité à une journée des cultes. Quant aux parkings, les lieux de culte sont très bien desservis par les transports en commun.

Je voterai contre cette délibération. »

Zouber Sotbar : « Le principe de laïcité est invoqué de manière inattendue, pour mieux le détourner de son véritable sens. La loi de 1905 précise dans son article 2 que la République ‘ne reconnaît… ni ne subventionne aucun culte’ et ‘retire du budget toute dépense visant à l’exercice des cultes’.

Il y a un an seulement, vous auriez pu rallier Nicolas Sarkozy. Mais vous avez choisi le changement avec François Hollande. Où est la cohérence, sinon dans un opportunisme à court terme ? Vous adoptez la position du missionnaire (rires), donnant la priorité à l’obscurantisme sur les Lumières. Je voterai contre, car je suis un Républicain, un homme de gauche et un homme de progrès. Je ne veux pas qu’on privilégie la croyance sur la connaissance, ou encore, la paix sociale. Le vote de ce soir nous permettra de savoir dans quel camp se trouve chacun ou chacune. Moi, je sais où j’habite. »

Chantal Colin : « je ne vais pas intervenir sur le fond, mais la dernière intervention… Voilà bien longtemps, M. Sotbar, que nous n’avons pas eu l’honneur de votre présence : plus d’un an. Ce point a soulevé votre indignation, vous auriez pu, vous auriez dû venir en débattre avec les membres de votre groupe. ».

(J’ai manqué la suite de l’intervention, mais elle donnait une perspective intéressante : un vote destiné à obliger les conseillers de gauche à choisir entre leur ligne politique, et le Maire. Comme une façon de trier les dociles des fortes têtes, avant 2014.).

Le Maire conclut le débat en défendant son projet comme tout à fait conforme à la laïcité telle que gérée par l’Etat et les collectivités. « La Déclaration des Droits de l’Homme n’est pas contre la religion, elle est contre l’existence d’une religion d’État ».

« Nous nous pensons que nous avons intérêt, collectivement, à avoir un lieu de dialogue… »

« La Journée de la Laïcité, Marie-José, porte la ! Ce n’est pas au Maire de tout faire ! »

« Sur le parking au T2, je n’ai jamais tenu les propos que vous me prêtez, M. Métézeau. Chacun appréciera le style. »

« Je vais donner (aux communistes) trois exemples de ce que pratiquait Roger Ouvrard (maire PCF de 1995 à 2001). Il a eu à gérer la mosquée dite Renault, elle n’est pas arrivée par hasard sur le garage Renault. La Ville avait d’abord étudié le terrain à l’angle de la rue des Allobroges et de la route de Cormeilles. Puis Roger Ouvrard a appelé lui-même Renault pour avoir un prix plus modeste, pour que l’association culturelle puisse acheter le garage. Si c’est pas une intervention ! »

« Les JMJ, il n’y avait aucune obligation pour les Villes ! La Ville a ouvert ses gymnases pour accueillir les jeunes et payé les fluides, on ne les a pas laissés dans le froid ».

« Je suis un laïc, à titre personnel ; au sein des députés socialistes, je suis en train de travailler pour la loi de 46 ( ?) dans la Constitution. Ce qui nous intéresse là-dedans, c’est d’être dans le vivre ensemble ».

« Je travaillerai pour que les tensions restent à l’extérieur d’Argenteuil et n’y rentrent pas. »

« Oui nous avons changé d’époque. La laïcité c’est que les cultes soient à leur place, toute leur place, rien qu’à leur place. Une laïvité de combat n’est pas dans les textes. ». (Applaudissements et huées).

Nombreux votes contre, notamment du groupe de droite ; le groupe socialiste vote pour (27 pour, 23 contre, une abstention).


Correction d'une faute d'orthographe et ajout d'un lien le 3 janvier 2013.

Notes

[1] Je n'ai pas pu assister au Conseil, et ai suivi ce débat par internet.