Il me semble y avoir un grand danger pour une réforme juste et durable des retraites. C’est la propension de certains à noyer le poisson, nier la gravité du problème et les risques de faillite, faire un procès d’intention au pouvoir en place. Car cela permet à celui-ci de se draper dans la vertu outragée du réformateur courageux … et de faire ainsi passer dans l’opinion et à l’Assemblée une réforme qui risque de n’être ni juste, ni durable.

C'est d'ailleurs le tour que prend l'affaire Bettencourt : pour Michel Volle par exemple, à travers Eric Woerth, c'est la réforme des retraites qui est menacée.

Ce déni se nourrit de chiffres, comme ceux de Jean-François Couvrat sur Déchiffrages :

La situation de la France est plutôt enviable. ... De 2007 à 2020, le vieillissement se traduirait en tout par un surcoût de dépenses publiques de 2,7 points de PIB ...

2,7 points de PIB, c'est énorme. C’est plus de 50 milliards d’euros… soit plus que le revenu de l’impôt sur les sociétés … ou encore plus d’1/6ème des recettes de l’Etat … ou 1 mois de SMIC par Français et par an.

C'est une accélération sévère d'un alourdissement constaté depuis un tiers de siècle : les retraites représentaient 9,1% du PIB en 1975, 10,3% en 1980, 11,2% en 1990, 12,6% en 2000 (+3,5 points en 25 ans[1]).

C’est donc énorme - même si la situation démographique des citoyens de certains autres Etats est pire, et je n'envie pas leur retraite ![2]

"La variable clé est la croissance économique, fruit du travail des hommes et de leur productivité", écrit encore Jean-François Couvrat. Qui soupçonne les lanceurs d'alerte de pousser "un système par capitalisation, inutile pour la collectivité mais lucratif pour quelques uns."

La première affirmation est tautologique. La seconde est l'exact inverse de la réalité.

Certes la croissance seule financera les retraites, et certes la capitalisation ne vaut (de ce point de vue) pas mieux que la répartition, tout simplement parce que l’argent ne se stocke pas. La consommation de demain consommera la production de demain. Si nous voulons que les retraités plus nombreux puissent consommer demain, il faudra produire plus demain.

Et comment ? Soit 1) en travaillant plus …

soit 2) en travaillant plus efficacement (gains de productivité) … soit 3) (qui revient un peu au même que “2″) en faisant produire nos actifs plus que notre travail.

En d’autres termes, si après-demain c’est la France (et non la Chine, le Brésil ou l’Arabie saoudite) qui est en position de force dans le monde, si tout le monde s’arrache les apparts de Courchevel des millions de dollars, si on peut faire payer 100 euros le ticket d’ascenseur de la Tour Eiffel, si toutes les femmes du monde veulent L’Oréal “what else”… ET QUE les revenus correspondants restent en France au lieu de filer dans des paradis fiscaux … alors, effectivement, nous pourrons partir à la retraite tôt avec des pensions élevées.

Pouvons-nous nous permettre d'attendre tranquillement ce prodige ?

——-

Attendre … Evidemment, un endettement qui se creuse année après année, on peut toujours imaginer attendre l’année prochaine pour l’affronter. C’est ce qu’a fait le gouvernement Jospin pendant 5 ans. C’est ce qu’ont fait les gouvernements de gauche et de droite au long des années 80.

L’urgence n’est vraiment sensible que quand les huissiers sonnent à la porte.

Aujourd’hui, les huissiers sonnent (en l’occurrence les agences de notation de la dette des Etats, déterminantes pour le prix auquel nous pourrions encore alourdir notre dette).

Il y a urgence … si on veut sauver le principe de la répartition, éviter une faillite des finances publiques, et éviter que la capitalisation ne revienne en force comme seule solution alternative.

Le MoDem (et auparavant l’UDF) et la CFDT promeuvent depuis des années un système de retraites juste, durable, équilibré, par répartition. Nous n’avons pas proposé à ma connaissance le moindre transfert vers le privé, au contraire, nous voulons (propositions Bayrou 2007) que le système soit géré en pleine responsabilité par les partenaires sociaux, contrairement à la situation actuelle où il est, dans les faits, piloté par l’Etat.

Enfin, la capitalisation n'est pas en soi un principe scandaleux ! Elle existe déjà et personne ne s'en émeut. Le PERP me semble un excellent système, ouvert à tous, juste et durable. Je ne vois pas de nécessité d’en créer un autre, ni d’ajouter des avantages fiscaux supplémentaires au PERP. La capitalisation est donc amha un non-sujet. C'est la répartition qu'il faut sauver.


Sur ce blog, sur les retraites… spécialement "Les déficits et la dette, c'est hélas vrai", "les projections à l'eau de rose du COR", et "cotiser plus longtemps, l'évidence mais".

Notes

[1] La progression un peu plus lente au cours de la décennie 80 vient me semble-t-il d’une conjonction entre “classes creuses” de départs à la retraite (naissances pendant la guerre de 1914 et ensuite) et effectif nombreux d’actifs (beaucoup de naissances de 1945 à 1970 environ).

[2] Encore que : étant de profession indépendante, dans un métier qui ne permet guère de "revendre son cabinet" en prenant sa retraite, je gagnerai, une fois retraité, beaucoup moins qu'un instituteur.