Ce soir à la Sorbonne, je me suis bien retrouvé dans les réponses apportées par François Ewald au débat titré "Nouveau monde, nouvelle civilisation du risque". En particulier, sa proposition de remettre au premier plan le principe de responsabilité[1]. Qui figure depuis des décennies au coeur des valeurs du centre démocrate français, Sillon, UDF, MoDem (sans parler de Cap21).

Ce que j'en ai noté au vol[2] :

1) Nouveau monde ? Je ne suis pas sûr. C’est le rapport au monde qui a changé avec la crise. 1755, le désastre de Lisbonne : choc pour la philosophie providentielle (l’optimisme de Leibniz, que nous connaissons tous grâce au "Candide" de Voltaire). Le désastre renvoie les individus à eux-mêmes. De même... de la crise financière par rapport à l’optimisme de la mondialisation.

2) Le XXIème siècle sera éprouvant pour nous Français parce que nous allons vivre la renaissance d’aires de civilisation que nous avions dominées et déniées. Des civilisations renaissent de leur déclin. Le XXIème siècle sera celui de la revanche. Nous restons sans réaction. Nous devenons dépendants de ceux qui dépendaient de nous.

3) Nous ne rentrons pas dans une civilisation du risque, mais d’incertitude. Nous passons d’une civilisation du risque à une civilisation de l’incertitude. Chacun ne peut plus voir les choses par en-dessus, du point de vue de lois de l’histoire. La mondialisation a perdu sa place de loi de l’Histoire. Le rapport au risque n’est pas le même pour tous – Brésiliens, Chinois ou Gabonais – il est lié à notre situation. La grande épreuve pour nous : nous n’avons plus confiance dans l’instrument dont nous disposions pour réduire l’incertitude : la connaissance scientifique. Maintenant, ce qui nous intéresse dans la science, c’est ce qu’elle ne dit pas, c'est l'incertitude qu’elle nous semble cacher.

Ça me semble très important, ça. Dans la mentalité de l'homme moderne, pour "savoir", pour lever l'incertitude, il suffisait d’explorer, ou de déduire, ou de construire. Tandis que pour voir où nous mènera le changement climatique, aucune de ces trois méthodes ne marche.

4) Le problème pour moi : comment se conduire dans cette situation où nos instruments nous font défaut ? Il faut réinventer la responsabilité. Un mot qui a eu de l’importance, a un peu disparu, il faut retrouver une culture de la responsabilité.

Et plus loin dans le débat, interrogé sur le principe de précaution :

Le principe de précaution consiste à adopter une attitude de précaution quand 1) les choses vont en se dégradant, et que 2) les mécanismes de dégradation sont incertains. Cela s’applique à l’environnement. Le problème n’est pas le principe, c’est : comment on gère la concurrence entre la valeur « environnement » et d’autres valeurs. Un 2ème aspect, paradoxal, c’est qu’avec ce principe, l’incertitude oblige, alors qu’auparavant l’Etat n’était en droit de contraindre que s’il pouvait en justifier les raisons avec certitude. C’est une machine dialectique infernale : on ne l’applique pas forcément là où il aurait fallu, et quand on l’applique, ses effets conduisent à disqualifier l’expertise scientifique dans la décision publique.

"Principe de précaution" est, via l'anglais, la traduction française de l'allemand Vorsorge, qui veut dire en réalité prévoyance. Donc : anticiper. Pour cela il faut non seulement voir, mais savoir voir – Cf. « la lettre volée » racontée par Jacques Lacan. Par exemple, l’Institut de Veille Sanitaire et les nombreuses institutions en charge n’ont pas vu arriver la canicule, pourtant bien visible ! Ensuite, il faut décider, et décider sur l'incertitude que l'on a identifiée : qu’est-ce que je fais par rapport à ce que je pense ne pas savoir ?

Au passage, l'un des billets les plus consultés de ce blog porte justement sur le principe de précaution.

Notes

[1] Dont je rebats les oreilles (ou les yeux) des lecteurs de ce blog, par exemple ici et ici

[2] Notes non garanties, et reformulées à ma façon