Les habitué(e)s de ce blog se réjouiront que l'on y parle enfin de sexe, mais en fait non. De genre.

J'ai passé quelque temps ces temps-ci à discuter, en privé mais en m'échauffant un peu, avec des proches convaincus de l'existence d'une théorie du genre qui, selon eux, nierait la différence entre homme et femme, et (ce qui est différent) inspirerait profondément les partisans du mariage pour tous.

Les logiciens le savent : il est très difficile de prouver l'inexistence de quelque chose. Votre interlocuteur restera convaincu que vous avez mal cherché.

Alors, à l'attention de celles et ceux qui croient à ces balivernes, je souhaitais citer ici l'opuscule "Théorie du genre et SVT : décryptage des manuels de 1ère" édité et diffusé par la Fondation Jérôme Lejeune. Page 7.

Qu'est-ce qui différencie le sexe du genre ?

Le "sexe" désigne la réalité biologique — garçon ou fille — de l'être humain, tandis que le "genre" désigne la dimension sociale du sexe, c'est-à-dire le comportement social d'un homme ou d'une femme en lien avec son sexe biologique.

Je n'ai pas grand chose à redire à cette définition. Elle met bien en évidence la dualité entre dimension biologique et dimension sociale de l'identité d'homme ou de femme. Implicitement, elle introduit la dimension psychologique qui est à la charnière des deux ('comportement social… en lien avec son sexe biologique").

Le lecteur comprendra aisément que le biologiste étudie surtout la différenciation sexuelle, le sociologue la différenciation de genre, et que le psychologue aidera des personnes à trouver leur voie en s'appuyant sur ces deux dimensions, aisément convergentes pour certaines personnes, sources de divisions et de souffrance pour d'autres, selon la génétique, les circonstances de la vie, les sociétés et civilisations.

Paragraphe suivant :

Dans la théorie du genre, le terme "genre" désigne la masculinité ou la féminité construite par l'environnement social et culturel (la langue, l'éducation, les modèles proposés…). Le genre ne dépendrait pas du sexe biologique : il serait subjectif (il dépendrait de la perception que chaque individu a de lui-même).

Fin du paragraphe et du texte.

Ce second paragraphe développe sur l'environnement social et sur la psychologie ; mais il introduit aussi deux notions nouvelles par rapport au premier paragraphe :

  1. Il existe une "théorie du genre", différente donc de la compréhension du terme "genre" tel que défini auparavant ;
  2. Selon cette "théorie", "le genre ne dépendrait pas du sexe biologique". Le texte n'est pas clair sur l'influence respective de la psychologie (2ème phrase) et de la sociologie (1ère phrase), mais est clair sur une chose : le genre masculin ou féminin serait, selon la théorie du genre, indépendant du sexe biologique.

J'interprète ? En tout cas, cette interprétation est répétée à divers endroits du même document, p.ex. à la même page :

"la théorie du genre est une hypothèse selon laquelle l'identité sexuelle de l'être humain dépend de l'environnement socio-culturel et non du sexe — garçon ou fille — qui caractérise chacun dès l'instant de sa conception."

Il me semble (et à vous aussi, lectrice ou lecteur, j'en suis sûr) que cette "théorie" ou "hypothèse" :

  • est totalement stupide;
  • si elle était proposée à 100 Français pris au hasard, serait rejetée par au moins 99 ;
  • n'est enseignée ou défendue nulle part dans le monde scientifique, malgré l'oripeau de "théorie" dont la voilà parée ;
  • n'a pas été invoquée par les partisans du "mariage pour tous" : leurs motivations sont ailleurs que dans l'obscurantisme.

Je suis déjà trop long… je termine.

Le genre est une notion pertinente, défendue par la Fondation Jérôme Lejeune elle-même, et qui devrait donc être acceptée et utilisée par les plus durs de durs de la "Manif pour tous".

Et bien sûr, sans les attendre, beaucoup d'essayistes, de scientifiques, de militants, ont travaillé sur cette réalité du genre[1].

La "théorie du genre", elle, est un ballon de baudruche gonflé par des anti-mariage-gay — et là, je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi.

Comprenons-nous bien ;-)

Que certains regrettent la loi qui, depuis les années 60 (sans parler de l'Antiquité romaine), permet à des célibataires d'adopter — et souhaitent que la société fasse le maximum pour que chaque enfant ait un père et d'une mère ; c'est peut-être illusoire et mal venu, mais ça pourrait se défendre. Mais je n'ai entendu personne remettre en cause cette loi.

Si certains trouvent que l'hétérosexualité devrait être la norme sociale et légale, que l'homosexualité devrait être cachée dans le secret du domicile privé et du Musée des Antiquités Grecques — et donc, pas de mariage entre hommes ou entre femmes — je leur dirai poliment mon désaccord, mais je reconnaîtrai la cohérence de leur propos. Mais je n'ai entendu personne proposer ce retour aux années Oscar Wilde.

En revanche, je vois et j'entends de nombreuses personnes, et des proches, partir au combat contre une "théorie du genre" en carton-pâte. Et, vous me voyez, je n'en reviens pas.

Notes

[1] Le site de la Queer Week renvoie à un article de 2010 du Monde, qui, à vue de nez, donne un bon panorama du sujet.