C'est le titre du billet de Francis Pisani qui m'a donné l'occasion de ces réflexions.

Tout d'abord, meilleure santé à Steve Jobs.

Dans macgeneration, le 22 octobre dernier, le compte-rendu de la conférence de Steve Jobs aux analystes financiers m'avait fait froid dans le dos. C'était - j'aurais préféré me tromper - un bilan, un discours d'au revoir. "Nous avons les meilleurs clients au monde", disait le CEO. "Nous disposons près de 25 milliards de dollars en banque et aucune dette. ... La crise ... ouvre des opportunités à des entreprises qui ont l'argent pour en tirer profit, comme Apple."

Maintenant, pour un semestre au moins, voilà Apple sans Steve Jobs.

Ça a été un gros échec la dernière fois (1985-1997), ça peut le redevenir. Non que Steve Jobs soit un génie (pas plus que Bill Gates) - ça se serait su. Mais parce que c'est un exploit surhumain d'arriver à tirer tous les salariés d'une entreprise de la taille d'Apple dans une seule et même direction, pour arriver à faire des produits aussi cohérents que ceux d'Apple. Les forces centrifuges - baronnies, idées géniales, influences des partenaires et clients - sont multiples et si fortes, chacun dans l'entreprise a intérêt à marchander l'identité de l'entreprise pour promouvoir sa position propre. Ce sera surhumain pour l'intérimaire ou, si Steve Jobs s'en va définitivement, le successeur.

Le départ de Steve Wozniak, puis l'échec de l'Apple-sans-Jobs, avaient donné au patron d'Apple une autorité quasi-absolue. Elle lui permettait d'exercer ce que beaucoup d'employés de la société qualifiaient de dictature. C'est un paradoxe profond que les produits les plus "démocrates" au sens de "les plus libérateurs pour l'utilisateur, ceux où l'utilisateur se sent pleinement responsable de son action" aient été le fruit de cette autorité individuelle, hyper-présente, hyper-exigeante.

Le plus probable est qu'Apple se dissolve lentement, à l'image de Citroën ou d'autres - parce qu'au début, l'équipe à la tête de l'entreprise conserverait précieusement l'inspiration de Steve Jobs et gardera le cap ; mais chaque nouvel événement, chaque échec, chaque changement du monde, pourrait les prendre au dépourvu, les angoisser, les diviser.

Je forme bien sûr le voeu inverse. Que l'inspiration se renouvelle, que d'autres sachent faire vivre ce culte du produit parfait qui était, de lui-même, un service aux clients - et depuis 1985, à ma pomme.


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