Un long trajet en avion, dimanche dernier 3 mai, m'a donné l'occasion de lire le témoignage de Jean Lassalle sur son tour de France de 2013.

Un document bref — quelques heures de lecture pour huit mois de marche ! — et bouleversant. J'espère qu'il sera aussi décisif.

Jean Lassalle se met tout entier en jeu dans ses pages : ses expériences de jeunesse, ses convictions, ses cauchemars. Il s'est mis en jeu tout entier dans l'aventure : il s'endettait lourdement, sa femme a dû fermer son entreprise, ses administrés et électeurs s'éloignaient de lui. Il n'ose pas marcher dans son propre département qu'il connaît, écrit-il, trop bien. Et en chemin, il apprend à quel point il s'est fait avoir par Toyal, l'entreprise face à laquelle il avait fait une longue grève de la faim.

Les initiatives qu'il lance au fil du parcours ne rencontrent qu'un demi-succès, au mieux : les "Cahiers de l'espoir" dépassent parfois le niveau d'un sondage d'opinion, mais à ma connaissance rien de concret n'en est encore sorti. Les témoignages de première main qu'il veut apporter aux autorités nationales rencontrent des murs (François Hollande, Claude Bartolone…).

Et pourtant, ce témoignage m'a rendu l'espoir qui ces derniers mois s'évanouissait, et que les dernières nouvelles des démocrates sapent encore.

Des mots d'espoir, ce sont tous ces noms de femmes et hommes du MoDem qui ont spontanément accueilli, accompagné, soutenu Jean au long de sa marche. Il en évoque des centaines, attentifs, constructifs, militants. Fédérés par l'objectif commun d'écouter les attentes des Français, de surmonter la crise nationale. Et c'était en 2013, aux plus basses eaux — pas dans les semaines d'enthousiasme de janvier-février 2007.

Par un heureux hasard, j'ai pu croiser Jean Lassalle mardi dernier 5 mai et lui témoigner en retour de cette bonne surprise. Moi qui, depuis 2006, avais pu croiser ou entendre parler de beaucoup de ces adhérents, j'en trouvais certains bien fragiles ; disons, plus intriguants que militants. Je les ai redécouverts, dans ses pages, engagés et solides : en marche (alors que, moi-même, je n'avais pas dégagé, ne serait-ce qu'une demi-journée, pour partager la marche du député).

Jean aurait pu me répondre qu'il avait enjolivé la réalité, retenu les bons côtés ? Après un instant de silence, il m'a répondu : c'est le fait d'entreprendre. Agir, ça met dans le bon sens. C'est de rester à tergiverser, qui divise les gens.

Après quoi il a déchiré un bout de papier pour me donner son 06 :-)

Cet homme a un tempérament d'entrepreneur : c'est pour moi la deuxième leçon de son livre. Les fans du culot à la Sarkozy ou à la Tapie apprécieront le passage par Pont-à-Mousson, je n'en dis pas plus ;-)

Et l'autre chose qui me redonne espoir, c'est l'évidence du diagnostic auquel conduit cette "rencontre des Français" : le système d'État a perdu sa raison d'être, le service du pays. Tout simplement perdu, comme on perd le fil. Il s'est enkysté, recroquevillé sur lui-même, sur sa propre survie, ses propres règles, et il a renoncé à rencontrer la réalité. Il faut en changer. Et il y a un député qui marche pour ce changement, et autour de lui un parti de militants eux aussi en marche. Persévérons !


Un extrait pour la route ! p. 196 et suivantes, je ne mentionne pas les coupes.

Une voiture s'approcha de moi. Quatre personnes en descendirent. L'un d'eux se présenta comme le maire (…).

— On est au bout du rouleau, il n'y a que vous qui puissiez faire quelque chose.

L'un des trois hommes à côté de lui avait les yeux qui tombaient par terre. Soit épuisé, soit déprimé.

— Monsieur est chef d'entreprise. Il a trouvé un produit exceptionnel, (qui) révolutionne les techniques du froid. (Il) a créé 150 emplois dans la commune — (des) emplois haut de gamme ! Nous nous sommes tous impliqués à fond, et en plus il est très sympa…

— Mais aujourd'hui je suis foutu ! Et pour vous prouver que je ne raconte pas d'histoires, je suis venu avec mon expert-comptable et le représentant syndical du personnel.

Il avait bénéficié d'une subvention européenne de 1 100 000 € pour moderniser et étendre son usine. Normalement, on ne peut recevoir la totalité d'une subvention que lorsque les travaux sont intégralement achevés. Mais là, le préfet lui avait tout versé avant la fin des travaux.

— Deux mois après, j'ai reçu une lettre du Ministère des Finances m'intimant l'ordre de rendre sous 10 jours cette subvention. Comment voulez-vous que je rende cette somme dans le cadre d'un plan financier (d'investissement) aussi strict ? Je suis allé voir mon banquier. Il ne pouvait pas me prêter la somme correspondant à une subvention qui avait précisément servi à établir le montage financier. Deux mois après, nouvelle lettre des impôts qui me condamnent à une pénalité et à des amendes. Trois mois après, troisième lettre : je suis radié des entreprises qui peuvent participer à des appels d'offres européens. Or mon marché ne repose que sur ces derniers. J'ai dû déposer le bilan. Mon entreprise va être mise en faillite. Vous vous rendez compte ? Je peux doubler le nombre d'emplois de mon entreprise, puisque j'ai le marché ! Et depuis deux ans, un enfer, dans lequel je ne suis strictement pour rien !

Le préfet de l'époque a changé de département. Je retrouve sa trace et l'appelle aussitôt.

— Ah ! Oui, monsieur le député, je me souviens très bien. Il y avait trois ou quatre entreprises dans la même situation. On avait reçu, ce qui est inhabituel, des fonds européens en avance. Je me suis dit que pour une fois, ça ferait de la trésorerie aux entreprises, et je leur ai tout versé.

J'explique la suite de l'histoire au préfet, qui n'en revient pas. Pourrait-il passer un coup de fil à (son successeur) ?

— Il serait plus efficace de trouver une solution au ministère.

Je retrouve le numéro d'une amie qui (travaille) au suivi des subventions européennes.

— Hum, me dit-elle, ça va être compliqué.

Elle me passe aussitôt l'un de ses supérieurs. (Celui-ci : )

— Vous ne vous souvenez pas de moi, mais on s'est vus dans des réceptions. Je vous apprécie beaucoup, mais vous n'en avez pas assez d'écouter tous ces pleurnichards ? Qu'est-ce qui vous a pris d'aller à la rencontre de ces gens ?

— Monsieur le directeur, vous devriez venir marcher deux jours avec moi. Il n'y a pas beaucoup de pleurnichards, mais tout le pays pleure.

— Mais il faut les secouer, tous ces gens ! Leur dire de se mettre au boulot ! Un pays de fainéants !

Heureusement que je n'ai pas mis le haut-parleur. Le haut fonctionnaire poursuit :

— J'en ai assez de payer des impôts pour un peuple qui ne se prend pas en charge. On devrait revoir le principe du suffrage universel !

Je finis tout de même par lui expliquer la raison de mon appel. Il s'en étrangle.

— Comment ? Vous ? Jean Lassalle ? Vous qui incarnez une certaine idée de la raison et du bon sens, vous allez vous mettre à défendre des voyous ? Mais si je tombe sur le dossier de ce type, je vais lui faire rembourser 5 fois, 10 fois ce qu'il a reçu ! C'est un escroc ! Les tricheurs, ce sont eux qui détruisent notre pays !

Le maire, qui s'inquiète, vient aux nouvelles :

— Ça n'a pas l'air de très bien se passer.

— Oh non, en effet…

Quelques mots de et sur Jean Lassalle, sur ce blog : "la soirée des retweets" sur sa marche et celle d'Axel Kahn, octobre 2013 ; le résultat des régionales 2010 ; un écho de Paris XVIème daté 2007 ; en 2006 après sa grève de la faim (un autre écho ici).