Rappel des épisodes précédents : les États - enfin certains, dont la France - vivent au-dessus de leurs moyens. Et quand on dit "les Etats", ce n'est pas seulement l'Élysée, puisque environ la moitié du PIB (de la production, des revenus, des salaires, de la consommation…) relève du secteur public. Ils ne pourront pas rembourser leur dette au prix où ils l'ont payée.

Les créanciers (et les agences de notation) avaient préféré l'ignorer, permettant aux États de se lancer dans quelques tentatives pseudo-keynésiennes absurdes ou grotesques, dont le prétendu "plan de relance", augmentant encore la dette.

Les créanciers (et les agences de notation) se sont enfin rendu compte de la situation et demandent maintenant, pour leurs prêts, des primes de risque, donc des "TEG", élevés. Ce n'est plus tenable.

Il y avait deux solutions[1] :

  • celle du ménage surendetté qui va à la Banque de France : se déclarer incapable de payer et obtenir des créanciers (épargnants français, gouvernement Chinois…) qu'ils renoncent à une partie des montants dûs ;
  • celle de la Banque de France ou plutôt de la Banque centrale : déclencher une inflation telle que les montants dûs aujourd'hui en euros, valent bien moins cher demain.

Mettre sur le marché un argent imaginaire[2], à production constante de biens et services, c'est réduire le nombre de biens et services que les billets existants permettront d'acheter. C'est appauvrir d'autant tous les détenteurs d'euros - vous, moi, les détenteurs de titres et placements (ouf, je n'en ai pour ainsi dire pas) et le gouvernement chinois.


Les banques préfèrent cette 2ème solution : elles y perdent de l'argent, mais… autant les unes que les autres : elles évitent la "crise systémique" et la clé sous la porte. Le marché reste "liquide", les affaires continuent.

Les gouvernements aussi préfèrent la 2ème solution : ils pourront dire que l'inflation tombe du ciel et qu'ils n'y peuvent rien si notre pouvoir d'achat baisse.

Même le gouvernement allemand, qui aurait sans doute préféré des défauts de paiement au cas par cas, et qui rappellent l'interdiction faite l'Union de renflouer ses membres, s'arrange d'une option qui évite[3] le krach de ses voisins directs. Il s'en arrange à condition, sans doute, que ce soit la "der des ders" - une sorte de mise sous tutelle de toutes nos finances publiques. C'est-à-dire, ironie de l'Histoire, une sorte d'Europe sociale.

En fait, ça fait deux ans que tout ce monde attend l'inflation comme la sécheresse attend l'orage, et que l'orage ne vient pas.


Alors les financiers publics et privés, tous d'accord, déclenchent le gros pétard : faire emprunter l'Europe. Faire emprunter la Commission européenne, qui n'a rien à donner en gage[4], et faire tourner la planche à billets de la Banque centrale.

Je dis "gros pétard", d'autres disent "artillerie lourde" et "bouton nucléaire" !

Ce vocabulaire de guerre mondiale est à moitié juste, à moitié faux.

À moitié juste : nous disons au reste du monde, qui a financé notre train de vie, d'aller se faire voir ailleurs. Nous lui rappelons que nous avons des États, avec sous-marins nucléaires, Courchevel et Monaco. Si ça ne leur plaît pas de payer notre ardoise, qu'ils y réfléchissent à deux fois.

À moitié faux : nous n'avons aucun stock de munitions. Puisque le reste du monde ne nous prêtera plus (ou très cher), nos États tapent dans le portefeuille de nos enfants. En route vers l'appauvrissement.

Si ça marche, la valeur réelle des actifs, financiers mais aussi immobiliers, va être sérieusement amputée. Par exemple d'un tiers en trois ou quatre ans. Ça nous remettrait à flot, tout juste. On aura fait payer les riches (européens ou étrangers ayant des placements en Europe).

Et si ça ne marche pas ? Il restera la faillite.


Aurait-on pu y penser avant, à faire emprunter l'Europe ?

Mais oui, et on y avait pensé.

Dès les premières semaines de la crise, il y a un an et demi, François Bayrou et les ténors du MoDem propoaient un grand "emprunt européen mutalisé", "de l'ordre de 3% du PIB"[5].

18 mois plus tard, le montant à mettre sur la table est monté à 750 milliards, soit 8 ou 9% du PIB.


Y a-t-il de l'espoir, pour après ? Bah oui.

Notes

[1] Et tant pis pour la pensée unique ! Pour une fois qu'on a du choix.

[2] Faire tourner la planche à billets. L'argent ainsi créé n'est certes pas plus imaginaire que celui que vous avez en portefeuille. Il repose sur la garantie des États, sur leur capacité à prélever l'impôt, comme le rappelle innocemment Christine Lagarde.

[3] Ou au moins retarde.

[4] En principe, elle vide ses caisses de l'argent qui s'y trouvait. En pratique, cela revient exactement au même, ce sont des vases communicants.

[5] Je commentais en mars 2009 chez l'Hérétique : si la zone euro, emprunte (alors qu'elle n'a aucun actif pour gager cet emprunt), cela revient à transformer de la monnaie étrangère en euros, donc devrait conduire mécaniquement à une dévaluation de l'euro.