Dans la série "vieux Fred, dézippe tes zips", l'actualité marseillaise et londonienne m'incite à ressortir et toiletter (très peu) un papier qui a un peu plus de 4 ans sur la taxe Tobin. Je la découvrais à l'époque - elle figurait bien dans le programme Bayrou en 2002, mais je l'ignorais quand j'ai voté pour lui !


Prenez votre courage à deux mains, il y en a pour 3 pages texte, en 4 parties :

  1. La taxe Tobin, c'est quoi ?
  2. Combien représenterait-elle, pour la France ?
  3. Quelle peut être l'échelle géographique de cette taxe ?
  4. Au final, pourquoi l'instaurer ?

1- La taxe Tobin, c'est quoi ?

La taxe Tobin, telle que suggérée en 1978 par le Nobel d'économie, James Tobin, consiste en une taxation des transactions monétaires (de change) afin de freiner la spéculation sur les monnaies.

L'idée a connu un certain engouement depuis la crise mexicaine de 1992-1994. Le projet a été évoqué au sein de l'ONU et du G7 d'Halifax en 1995. La France (en novembre 2001), la Finlande, la Belgique (juin 2004), l'Allemagne, l'Inde et l'Australie se sont prononcées favorablement. Le Parlement Canadien en a adopté le principe en mars 1999.

Une résolution a été proposée le 20 janvier 2005 au Parlement européen, signée notamment par le groupe ELDR (dont faisaient partie les députés UDF), pour demander à la Commission européenne un rapport sur la faisabilité de la taxe Tobin. Cette résolution a été repoussée (par 229 voix contre 223). La majorité qui a voté contre était constituée par la droite, le Labour britannique, et la LCR/LO.

On évoque généralement aujourd'hui sous ce nom une taxe sur les transactions financières, dont l'assiette et le taux seraient identiques dans tous les pays. Les sommes récoltées seraient redistribuées prioritairement aux pays les moins avancés. La taxe Tobin aurait donc deux avantages selon ses défenseurs : freiner la spéculation et favoriser le développement.

A l'heure actuelle (2005) le concept le plus populaire est la taxe Tobin-Spahn, à double niveau:

  • taux de l'ordre de 0,01% applicable aux transactions financières (pas forcément aux seules transactions de change), tant que celles-ci restent dans les limites d'une moyenne convenue (taux trop faible pour entraver les transactions productives mais freinant les transactions spéculatives),
  • taux élevé qui s'applique automatiquement en cas d'instabilité financière.

Les critiques les plus fréquentes contre cette taxe sont les suivantes :

  • Frein aux échanges (d'autant plus que le taux est élevé) ;
  • Frein insuffisant contre les mouvements de capitaux de grande échelle, tels que ceux qui ont causé les crises asiatique et russe ;
  • Incompatible avec le secret bancaire, parce qu'elle nécessite la traçabilité des transactions financières (ce peut être aussi jugé comme un effet secondaire positif de la taxe !) ;
  • Suppose une entente entre pays : une action isolée de quelques pays auraient des effets négatifs sur leur économie. Les paradis fiscaux risqueraient de ne pas coopérer.
  • Les établissements d'ingénierie financière mettront au point des systèmes de compensation (clearing, hawala islamique) et des contrats dérivés, contournant cette taxation. (À titre d'illustration, la création du marché de l'Eurodollar dans les années 70 avait contourné les entraves réglementaires au replacement des avoirs en dollars externes aux États-Unis, pour le plus grand profit des places financières de Londres et Luxembourg).

2- Combien représenterait-elle, pour la France ?

De 3 à 12 milliards d'euros à mon avis.

Ce montant ne peut être qu'une fraction de la valeur de l'activité de transactions financières, qui est une partie de l'activité bancaire. L'activité bancaire représente de l'ordre de 3 points de PIB (45 Mds€ vers 2005) en France, dont, je suppose, de l'ordre de ±1 point de PIB (15 Mds€ en ordre de grandeur) pour l'activité de banque d'affaires, qui génère l'essentiel des transactions.

Le total des transactions interbancaires en France est de 120 000 Mds € (en 2003), c'est-à-dire que la valeur du PIB "circule" à peu près 80 fois entre établissements financiers[1].

  • Une taxation à 0,01% représenterait au maximum 12 Mds€ soit 0,8 points de PIB - en pratique moins, parce qu'elle réduirait les flux, mais de façon modérée (elle reste relativement modeste par rapport aux autres coût du recours au système bancaire). C'est un taux évoqué par attac. Elle produirait donc sans doute 5 à 10 Mds€ pour la France.
  • Une taxation à 0,1% réduirait considérablement les flux, d'un facteur de l'ordre de 10. Le produit serait au mieux de 15 Mds€ (1 point de PIB). C'est le taux évoqué par J. Tobin et attac, mais pour un prélèvement limité au marché des changes, produisant de l'ordre de 3 Mds€.
  • Si le taux de taxation était de 1% ou plus, il supprimerait pratiquement l'activité de banque d'affaires. La fonction du système bancaire serait réduite au minimum vital : le paiement de la production par les acheteurs et des revenus par les producteurs.

3- Quelle peut être l'échelle géographique de cette taxe ?

La plupart des défenseurs d'une taxe sur les transactions financières (sauf attac !) admettent qu'elle serait nécessairement mondiale. Les flux financiers sont en effet la "matière taxable" la plus facile à délocaliser : toutes les opérations sont faites par des établissements financiers, qui tous sont multinationaux.

C'est la raison pour laquelle on peut imaginer qu'elle finance des biens publics mondiaux, ou une solidarité à l'échelle mondiale ("aide au développement"). En pratique, elle serait très insuffisante pour financer les biens publics mondiaux, il faut alors imaginer d'autres taxes mondiales (attac en propose une panoplie !)

On peut cependant imaginer une taxe sur les seules transactions de change, limitée à une zone monétaire comme la zone euro ; elle réduirait très fortement l'attractivité de l'euro comme monnaie d'ingénierie financière, mais pas forcément l'emploi bancaire sur les places financières européennes (Luxembourg …) : ces places pourraient continuer à travailler dans d'autres monnaies.

4- Au final, pourquoi l'instaurer ?

Pour les raisons imaginées au départ par James Tobin, et qui me semblent toujours aussi solides.

Parce que freiner un peu la circulation de l'argent est utile.

Les risques économiques et sociaux entraînés par une circulation planétaire spéculative de plus en plus rapide de l'argent, deviennent de plus en plus graves (fragilité liée à la mondialisation) alors que les bénéfices économiques et sociaux de cette rapidité deviennent marginaux

Parce que cette taxation est techniquement facile.

Elle est parfaitement faisable[2] dans les systèmes d'information des banques et places de marché. Qu'elle se fasse sur une base homogène à l'échelle de la planète, c'est à la fois une opportunité (peu de bases fiscales sont aussi homogènes entre pays !) et une condition de réussite (la circulation de l'argent pouvant facilement se faire ailleurs que chez vous).

C'est donc une très bonne candidate au statut de première taxe mondiale, "acte inaugural" pour une solidarité mondiale (péréquation des ressources entre pays, ou mieux financement de biens communs aux habitants de la planète).

Notes

[1] Estimation d'après le "red book" de la BRI, cpss66.pdf. Mars 2005, tableau 8 p. 35

[2] Lien ajouté le 2 septembre, merci aux econoclastes.