Que la démocratie reprenne le contrôle de l'informatique financière, c'est nécessaire pour que les emballements de ce secteur financier arrêtent de jouer notre économie au bilboquet ; mais les entreprises françaises sont dans tous les secteurs. Comment les rendre compétitives, autant et plus que leurs concurrentes de la planète ?
Deuxième couche introduite par la révolution informatique, deuxième territoire à conquérir : les systèmes d’information des entreprises. Ceux qui permettent de modéliser, concevoir, outiller la production pour qu’elle soit toujours plus performante, plus compétitive, plus innovante, plus réactive aux événements.
Dans ce domaine, le leadership mondial a été pris par l’Allemagne avec SAP.
Et pourtant la France a démontré, dans le passé, ses capacités de conception de grands systèmes, qu’il s’agisse du château de Versailles ou du parc nucléaire. Il y a des entreprises françaises puissantes sur ce secteur ; elles ont eu de l’argent de l’État, notamment à travers des programmes militaires.
Mais à part financer des entreprises, est-ce que le pouvoir politique fait son propre travail ? Par exemple, comment sont formées les armées d’ingénieurs qui devront concevoir ces systèmes ? qui devront modéliser le fonctionnement de très grandes entreprises, les interactions entre flux de matière et salariés, entre production et environnement, entre chaînes de production et sous-traitants ?
C’est très simple : ces étudiants auront passé leurs deux ou trois années de prépa (les plus intensives de leur cursus) à apprendre les mathématiques et la physique qui leur permettraient de concevoir les usines… de 1960. Ils peuvent arriver en école d’ingénieurs sans avoir jamais entendu les mots « systèmes d’information ».
Dans le primaire, au collège et au lycée, ils pourront avoir fait des milliers d’heures de maths et cent fois moins d’informatique.
Et en matière de recherche publique : quelle proportion de nos chercheurs travaillent là-dessus, sur la modélisation de l’activité industrielle et des services, pour rendre plus performantes nos entreprises et nos services publics ?
La mission du Ministre de l’Éducation Nationale et de la Recherche devrait donc être de reconvertir des pans entiers de notre enseignement et de notre recherche, pour qu’ils préparent notre société au XXIème siècle au lieu de refaire le XXème.
Suite au prochain et dernier n° !
Bonjour Frédéric,
Le sujet est technique, mais très intéressant. En fait (et je connais bien le sujet), les blocages du système français se trouvent surtout après les études. Pour les études, il y a le dualisme université-grande écoles, mais certaines formations informatiques sont ouvertes après le bac. Ex: ESIEE, EPITA, EFREI, IMA chez les écoles. Certains DUT et DESS chez les universités. Pour les grandes écoles généralistes, théoriquement les mieux côtées, commencer l'informatique à Bac+2 n'est pas encore réellement handicapant. Même si les cours et projets plus lourds vont être souvent décalés en année d'option à Bac+4. (il faudrait voir dans le détail le tronc commun d'une école comme Supélec qui est entre les deux).
Les normaliens qui sont partis sur une carrière informatique ont bien réussi, notamment chez ILOG. ILOG d'ailleurs issue de l'INRIA qui continue à bien faire son travail de même que différentes structures de recherche. Mais ILOG a fini par être racheté par IBM. On peut aussi citer BusinessObjects, créé par des centraliens, qui a été racheté par SAP après avoir racheté l'américain Crystal Reports. Ou encore JBOSS, crée par un normalien, et racheté par RedHat.
Je pense que ce qui a plombé l'informatique française (et sauf erreur, italienne), c'est l'approche commerciale et le "body selling" (ou approche "marchand de viande"). Les grandes entreprises françaises ont employé des informaticiens "en régie" sur des sujets multiples. Et cela représente plus de la moitié du métier actuel de l'informatique. Cela a été néfaste pour les salariés concernés, en poste chez un "client" sans en avoir les avantages. Mais aussi pour l'informatique elle-même, puisqu'il devenait moins direct ou moins prioritaire pour l'entreprise cliente d'intégrer les programmes informatiques produits dans une logique industrielle, ou pour l'entreprise d'informatique "vendeuse" qui est plus proche d'une entreprise de travail temporaire que d'un éditeur de logiciel. La bonne approche pour un éditeur de logiciel est de gérer lui même industriellement ses programmes, mais de leur rendre adaptables pour différentes entreprises (cas précis de SAP). Cela s'oppose à la pratique dominante en France, où les commerciaux et les acheteurs vont négocier des "jours*hommes".
Bonjour XS, merci pour le commentaire et d'accord pour la 2ème partie. Si le droit du travail était appliqué de façon plus rigoureuse à l'informatique, cela limiterait énormément cette tentation. Elle est aussi fille, je crois, d'un désintérêt ou d'une crainte des PDG de la génération précédente ("l'informatique, je laisse ça aux techniciens")… comme si leur coeur de métier était ailleurs que dans la modélisation de leur métier.
Au passage il y a pas mal de bons blogs d'informaticiens sur ces questions, comme courtois.cc, ici la catégorie "informatique lourde" http://www.courtois.cc/blogeclectiq...
Et puis certes, nous avons de bons informaticiens, et de bonnes sociétés dans ce domaine (étant diplômé ingénieur dans une filière informatique, je ne vais pas dire le contraire). En revanche, dans quelle discipline est-on réellement plus efficace en la commençant à 20 ans plutôt qu'à 5 ? Je partage l'avis de Michel Volle : pour préparer au monde d'aujourd'hui, l'informatique devrait remplacer les mathématiques (et la physique) comme discipline "reine" dans les études dès le primaire.
De beaux esprits disent que pour utiliser Word il n'y a pas besoin de savoir programmer. Mais pour surveiller un robot il n'y a pas besoin de savoir résoudre des exercices de physique. Et finalement, savoir programmer outille peut-être plus, intellectuellement, pour utiliser Word, que les exercices de physique pour surveiller un robot
@ FredericLN : finalement, je crois que je ne comprends pas bien, mais je résume ce que je crois comprendre... l'idée générale serait de dire : ne nous voilons pas la face, le secteur industriel ne sera plus jamais compétitif en France (au moins dans les 20 ans qui viennent) donc il faut nous adapter et mettre notre énergie dans un nouveau coeur de métier qui serait en fait un nouveau secteur à savoir l'informatique. (avec tous les développements que tu fais.) ??
Désolé, dans ma culture d'ingénieur à vocation productive, c'est très dur à comprendre... Le simple fait d'imaginer qu'on pourrait uniquement créer de la valeur sans produire du bien matériel destiné au client final paraît deconnecté de réalité et de bon sens ?
Après, pourquoi la France aurait-elle les armes pour être leader dans ce secteur plutot qu'un autre pays ? sachant que notre coût de main d'oeuvre désastreux sur une chaîne de production l'est aussi pour un bonhomme derrière son ordinateur quelle que soit sa qualification...
Evidemment, ce sont des questions de base que tu as déjà dû déblayer, c'est bien pour cela que je les pose !!
D'accord avec l'article, mais il me semble que notre capacité d'envisager les systèmes de grande taille n'est pas seulement liée à nos instruments de formation pro, mais aussi à ce qu'il y a de "culturel" (au sens de l'imprégnation collective) dans notre langage et dans nos méthodes de pensée. Il s'agit donc d'une reconstruction à faire dès les petits âges, ce qui ne signifie pas que nous n'ayons pas, en effet, à développer des outils spécifiques pour ce que cet article évoque en effet.
Ce que dit Michel Volle est intéressant mais je pense que laisser les mathématiques comme discipline reine est important. Quand Marc Fleury invente JBoss, il utilise la rigueur et la capacité d'abstraction que lui a donné l'algèbre, et l'ingéniosité que lui a donné la topologie.
Cela ne l'empêche pas de 'bacher' les grandes écoles: http://www.thedelphicfuture.org/201...
Par contre on peut penser à introduire l'enseignement de l'informatique très jeune. Sinon, les enfants de famille riche vont avoir un avantage sur les enfants de famille pauvre. Certains usages comme celui de la tablette ou du smartphone doivent être éclairés. On peut faire certains enseignements comme les principes de la sécurité IP au collège. Cela éviterait peut-être de voter des lois absurdes comme Hadopi.
Au fait:
" En revanche, dans quelle discipline est-on réellement plus efficace en la commençant à 20 ans plutôt qu'à 5 ?"
L'Ecole Publique devrait-elle faire de la formation politique à partir de 5 ans??
Pour revenir à l'informatique, Michel Volle dégomme le Cloud national http://michelvolle.blogspot.fr/2012... et on retrouve le même problème commercial que pour les "marchands de régie". Le travail industriel, c'est OVH qui l'a fait avec un an d'avance, sur un datacenter à Roubaix. En fait, ces problèmes de comportements professionnels rappellent les comportements féodaux que dénonce F.Bayrou dans le domaine politique.
@jbl
L'informatique ne veut pas dire qu'on oublie les autres secteurs industriels, au contraire. Le succès de SAP conforte celui du Mittelstand allemand. L'informatique doit être vue comme une industrie avec de nombreux sous-secteurs, un peu comme l'électricité et l'électro-technique du XXe siècle, qui ont permis de développer la mécanique du XIXe siècle . La France a une chance parce que le niveau de formation restent bons, même si de nombreux pays progressent. Mais il faut déjà réaliser une révolution au niveau des top managers.
@ Hervé Torchet : d'accord !
@ jbl : zut, je croyais avoir essayé d'expliquer l'inverse : l'informatique n'est pas (ou marginalement) un secteur d'activité à part, c'est d'abord le système nerveux, ou la "seconde peau bionique", qui rendra nos entreprises super-réactives et super-performantes — ou qui, si elle est négligée, les fera dépérir comme c'est le cas depuis 20 ans. La tribune des entrepreneurs dans La Tribune le dit mieux que je ne saurais le faire : http://www.latribune.fr/opinions/tr...
@ XS : je suis moi-même un enfant des maths, et un fan des maths "modernes" (bourbakistes, donc devenues bien vieilles aujourd'hui), mais je ne peux pas nier que l'informatique soit très forte aussi, pour ce qui est de développer la rigueur, la capacité d'abstraction et l'ingéniosité. Quant à l'éducation politique (enfin, civique), elle commence sinon à 5 ans, du moins à 6, je présume. Sur le cloud, je suis précisément d'accord avec vous. Il s'agit de nouveaux territoires féodaux, que l'on aimerait voir nos entreprises conquérir dans le vaste monde, mais elles trouvent plus expédient de se les voir concéder par l'État.
@ jbl et tous : Vincent Champain décrit assez clairement, dans un petit article en anglais (ou en globish), cette "industrie 2.0" dans laquelle la France a toutes ses chances : http://creeretrepartir.blogspot.fr/...