Il y a un passage fascinant, magique, sur le blog de Maxime Tandonnet, jeune quinquagénaire et conseiller pour l'immigration à la Présidence de la République. Il nous livre un témoignage plein d'émotion :

Ce que je ressens en permanence, c’est le contraste entre d’une part, la volonté insatiable de réussir d’une petite équipe autour du Président de la République, se traduisant par des réformes courageuses et indispensables, et d’autre part l’acharnement hostile de la nomenklatura, un enchevêtrement de puissants corps intermédiaires, soudés par une sorte d’aversion envers tout qui incarne l’autorité et qui n’accepte pas d’être gouvernée.

Fascinant, non ?


D'un côté, je ne peux pas lui donner tout à fait tort, sur la fin. Sur la capacité de résistance phénoménale du "service public à la française" face à toute tentative de "le gouverner" dans un sens qu'il ne reconnaîtrait pas comme légitime.

En tant que jeune évaluateur, à la fin des années 90, j'en ai été sidéré : rares étaient les cadres dirigeants du public, sans parler des élus, qui acceptaient de considérer le point de vue des habitants, des citoyens, des utilisateurs du service public. Être élus, être embauchés, c'était un chèque en blanc jusqu'à la prochaine élection. Et cette attitude, cette surdité aux autres voix, points de vue, acteurs, contribue souvent à rendre le service public très inefficace, à faire mettre beaucoup d'argent ailleurs que là où il serait utile[1].

Mais il faut faire avec. C'est un héritage de Louis XIV, ou de 1789, ou de Napoléon, ou de la franc-maçonnerie, ou de la Résistance, je l'ignore, mais c'est un héritage en dur. Solide.

Les serviteurs de l'État (ou de la commune, ou de la Séc Soc…), en France, se sentent détenteurs d'une parcelle de la souveraineté nationale. Comme des sortes de super-citoyens, chargés d'une mission sacrée, celle de défendre un intérêt public - parfaitement indéfini. Se mettre en grève, interrompre le service public, ils trouvent ça parfaitement naturel de le faire pour "défendre le service public". Contre qui ? Eh bien, contre les intérêts privés. Et leurs éventuels représentants au sommet de l'État : l'abominable Droite.


De l'autre côté, j'ai bien du mal à partager le sentiment de Maxime Tandonnet.

J'ai bien du mal à sympathiser avec la "petite équipe" animée d'une "volonté insatiable de réussir".

Parce que - ressemble-t-elle vraiment aux héros de la forêt de Sherwood, décidés à faire rendre gorge aux exploiteurs, aux monopolistes, aux prédateurs et autres tyrans de ce monde ?

De qui est-elle donc composée, la petite équipe des amis de Nicolas Sarkozy, sinon de quelques milliardaires à yachts hospitaliers, de quelques magnats solidaires des Gbagbo et Ben Ali, de quelques multi-disques-d'or à qui les mp3 arrachent le coeurportefeuille, de quelques dirigeants des plus grosses banques "à risque systémique" de la planète, et de quelques autres grossistes en temps de cerveau disponible ? De quelques ex-scientifiques plus amis de l'industrie que du climat ou de la simple vérité ? Et j'oubliais, de quelques croisés de l'identité nationale pour qui celle-ci s'est figée autour de 1941 ?

Elle veut réussir QUOI, la petite équipe, sinon réussir un pillage express de la France ?


Selon Maxime Tandonnet,

Tout l’enjeu de l’avenir pour ceux qui aiment leur pays et qui ont envie de l’adapter au monde moderne (...) c’est de réussir à surmonter ces corps intermédiaires en s’adressant directement au peuple et en s’appuyant sur lui.

Et dire que c'est nous, les démocrates, nous qui croyons au pluralisme et aux "corps intermédiaires", dire que c'est nous qu'on taxe de "populisme" !…

Notes

[1] Ce qui m'a conduit à participer à la création d'une association pour la démocratie participative. Puis à adhérer à l'UDF.