Sur le fond de ce que Wikileaks révèle, la diplomatie américaine s'en sort très bien : elle me semble avoir une perception très juste aussi bien du risque iranien ou nord-coréen… que des chefs d'État européens, pour ce que nous lisons dans la presse.

Et puis, c'est rigolo d'apprendre que le pays qui enregistre les iris et empreintes digitales des personnes qui comptent dans le monde entier… a besoin d'aide pour savoir ce que devient "la peinture murale A bas l'Amérique sur l'avenue Karim Khan".


Mais le fait même que les documents secrets ne le soient plus "est un revers historique pour la diplomatie américaine" : "nous ne ferons plus jamais de la diplomatie comme avant", selon les "premières réactions (des) diplomates américains" rapportées par Le Monde.

On croirait entendre les commentaires post-Kerviel. Les banques ont dit qu'elles devraient changer, la diplomatie aussi devra changer.

Un beau système informatique super-performant, apte à gérer les affaires à l'échelle du monde, est siphonné par une personne, une parmi les milliers qui avaient accès au système. Une personne jugée peu importante, terne, anodine.

Vous qui échangez sur les réseaux mondiaux, vous qui brassez les milliards du pétrole et de l'atome, vous qui emballez votre pouvoir en ordres cryptés, le monde a des nouvelles pour vous :

Les marchés sont des conversations. Les marchés sont constitués d'êtres humains, non de secteurs démographiques. Les conversations entre humains sonnent de façon humaine. Elles sont menées sur un ton humain. Que ce soit pour discuter d'information, d'opinions, de perspectives, d'arguments opposés ou humoristiques, la voix humaine est typiquement ouverte, normale, et naturelle. Les gens se reconnaissent entre eux grâce au son même d'une telle voix. L'Internet permet des conversations entre êtres humains qui étaient tout simplement impossibles à l'ère des mass-média. Les hyperliens renversent la hiérarchie.

Et ces nouvelles datent. Il serait temps de vous y faire.

Il va falloir éviter les comparaisons animalières quand on parle de personnes humaines. Même dans un TD secret.

Si on veut dire ce qu'on pense, il va falloir penser ce qu'on dit, parce qu'on pourra avoir à en rendre compte.


Moralité :

La mondialisation a construit des coffres-forts géants. Des moyens de manipulation des masses géants. Elle a permis un coulage géant vers les paradis fiscaux.

Et cela signifie aussi des fuites géantes, une vulnérabilité géante. Plus le colosse est grand, plus ses pieds d'argile s'effritent. Une personne anodine peut vider le coffre.

Autre moralité :

Il y a deux grandes options politiques pour le XXIème siècle :

  • soit ajouter aux coffres-forts de nouvelles clés, aux bunkers de nouvelles couches de béton armé, aux systèmes d'information de nouvelles couches de contrôle, au flicage de nouvelles couches biométriques recoupées dans tous les sens ; c'est augmenter encore le risque mais ça peut marcher un temps, et pour cette raison, c'est l'option[1] que la droite et la gauche, les Etats et les grandes entreprises, vont probablement choisir ;
  • soit ramener l'économie à l'échelle humaine : fractionner, décentraliser, responsabiliser. Les marchés sont des conversations, et rien ne converse de façon plus juste que des personnes humaines. Small is beautiful.

C'est ce que démocrates, écologistes, libéraux, humanistes,… devraient proposer. Et s'ils sont entendus, s'ils convainquent, s'ils ont demain la majorité et reprennent le pouvoir que les bétonneurs détiennent depuis des décennies… là, le XXIème siècle pourra repartir sur de bonnes bases.


P.S. : une très belle conclusion de Pierre Haski sur rue89 :

dans la formule « secret électronique », il y a désormais une contradiction dans les termes. Il n'y a plus de secret possible dès lors qu'il y a une trace électronique. C'est la principale conséquence de l'intrusion de WikiLeaks dans la marche du monde. Les seuls secrets resteront ceux que se diront oralement deux personnes en tête à tête.

Comme l'écrit Simon Jenkins (rédacteur en chef du Guardian) : savoir si ce bouleversement, cette transparence absolue, constitue réellement un progrès, est désormais un objet de débat public.

Notes

[1] Phrase corrigée le 1er décembre, merci F. !