Je constate sur la toile, depuis quelques jours, un vent de "déni de la dette"[1].

Je garde en mémoire un camarade démocrate argenteuillais (hélas décédé) qui avait construit de formidables calculs censés rendre la dette soutenable - en reportant tout simplement son paiement à plus tard. Je n'étais pas tout à fait d'accord avec ses conclusions, même si sa bonne foi était certaine et si ses calculs démontraient une connaissance remarquable de la comptabilité et d'Excel.

D'autres maintenant estiment que l'État aurait dû emprunter pour "gratuit", et critiquent la loi de janvier 1973 réformant le statut de la Banque de France ; d'autres regardent les chiffres et s'étonnent de la robinetterie très compliquée qui empêche le citoyen (et le parlementaire) de voir où on en est exactement, toutes caisses confondues. Effectivement, toute cette tuyauterie (développée notamment par le gouvernement Jospin et masquant le coût des 35 heures) relève amha d'un maquillage des comptes publics.

Malheureusement, une conclusion du genre "il n’y a pas plus de déficit à la Sécurité Sociale que d’armes de destruction massive en Irak" est fausse. Elle serait bien commode, mais elle est fausse. Le déficit et la dette sont hélas bien là.

Certes, le "régime général" de Séc Soc (qui couvre 80% des Français) est déficitaire parce que, entre autres dépenses, il alimente d'autres régimes ultra-déficitaires.

Mais cet argent va ... à la sécurité sociale au sens large (santé, retraite, etc.). Si un régime unique était enfin créé, ou plus modestement, si on consolidait les comptes, ces flux disparaîtraient …

… et le global resterait en profond déficit.

Certes, si certains fonds sont comptabilisés comme recettes de l'Etat et non de la Séc Soc, cela augmente le déficit apparent de la Séc Soc...

Mais cela réduit le déficit apparent de l'Etat.

... et au global, l'effet sur les "déficits publics" au sens large est évidemment nul. Ce sont juste des "vases communicants" … mais tous "dans le rouge".

Le vrai problème des déficits sociaux - et les Français le comprennent parfaitement, je crois - est le déficit global.

Si l'Etat disposait quelque part de recettes mirifiques, genre puits de pétrole non cassés, à ponctionner pour subventionner le régime de retraites ou les soins de santé,… le pouvoir serait trop content de faire cette ponction ! et les déficits sociaux seraient une "affaire classée".

Ce n'est pas le cas.

Le problème est au fond tout simple (et je crois que là encore, à force de délocalisations, les Français le perçoivent facilement) :

  1. le service public au sens très large, incluant les prestations sociales (retraites versées, etc.), coûte de plus en plus cher, nettement plus chaque année ;
  2. la valeur globale de ce que la France produit (y compris la production des services sociaux, hôpitaux etc.) progresse beaucoup moins vite[2] ;
  3. le pays ne peut donc pas prélever assez, sur cette production, pour financer et assurer le service public[3] ;
  4. le service public est donc payé à crédit, et de plus en plus ; il accumule une dette exponentielle, "pyramidale", qui va faire exploser le système à assez court terme.

Sauf à découvrir des puits de pétrole cachés, ou un autre genre de gisement immense de valeur nationale (disons pour 1000 ou 1500 milliards d'euros, le montant de la dette) qui nous aurait échappé jusqu'ici.

Voilà le problème à résoudre. C'est presque exactement le même que celui d'un ménage surendetté[4].

Plus exactement, le problème qu'en 2007 nous proposions de résoudre, et qui me semble devenu en 2010 insoluble sans dépôt de bilan.

Notes

[1] On ne peut pas ne pas penser aux gaz à effet de serre… j'avais moi-même repris l'expression "an inconvenient truth".

[2] En jargon : la croissance du PNB est faible, parfois négative.

[3] En jargon : le montant des prélèvements obligatoires est très inférieur à celui des dépenses publiques.

[4] La comparaison est plus pertinente que celle avec une entreprise surendettée, comme expliqué ici