Me voilà pour la 2ème fois — ça reste rare ! — en désaccord avec Jean Peyrelevade. Pour lui, "le pire est certain" : il n'aurait pas fallu reconnaître la faillite grecque, il n'aurait pas fallu demander aux banques de comptabiliser leurs risques sur les crédits souverains, il faudrait demander à la BCE de se substituer aux détenteurs d'argent et de prêter directement aux États.

Personne ne critique l’engagement sans limite de la Banque Centrale quand elle assure la liquidité d’un système bancaire menacé d’implosion. Quoi de différent ici, où c’est le système des dettes souveraines et donc les Etats qui souffrent exactement du même mal ?

Je n'arrive pas à croire que les Etats aient un problème de liquidité ; plus précisément, je crois que les États ont bénéficié d'une liquidité imméritée alors qu'ils étaient insolvables. Les prêteurs, Chine etc., ont ainsi joué un rôle de "BCE des Etats", afin de continuer à faire tourner la machine à achats… et à surendettement.

Crise financière mondiale aidant, renflouement quasi-gratuit (mais coûteux) des banques par les Etats aidant, les prêteurs retrouvent soudain la mémoire longue et constatent que la dette souveraine européenne ne sera pas remboursée. Sauf défaut partiel, dévaluation massive de l'euro ou très forte inflation, ce qui revient exactement au même : les obligations qu'ils détiennent ne vaudront plus, demain, ce qu'ils en espéraient en les achetant.

Les portes du placard ont été ouvertes. Le cadavre de la solvabilité européenne est en évidence.

J'ai l'impression que les trois solutions proposées par Jean Peyrelevade — se déclarer solidaires de la dette grecque, demander aux banques de continuer à afficher de faux bilans (en ne comptant pas de risque sur la dette souveraine)…, demander à la BCE de prêter des centaines de milliards en ne lui donnant… rien de monnayable en garantie — sont trois variantes du même espoir : celui de planquer le cadavre sous le tapis.

Je n'arrive pas à voir là une façon de faire crédible, vraisemblable, "inspirant confiance". Je n'arrive pas à croire les prêteurs assez sots pour se laisser illusionner une nouvelle fois, alors que "les fondamentaux" de la zone euro sont connus de tous.

Je pense qu'il faut avoir, sur les obligations d'Etat, une approche cohérente avec celle qui prévalait lors de leurs émissions : ce sont des contrats commerciaux entre un Etat souverain et un prêteur, qui comportent une prime de risque. Si l'Etat est en faillite, le prêteur "prend son risque" comme on dit élégamment.

Décréter que l'Etat est infaillible rendrait a posteriori illégitimes les centaines de milliards (milliers de milliards ?) de primes de risque payées par les Etats européens[1].

Certains diront : non, la "prime de risque" incluse dans les taux d'intérêt de la dette ne portait pas sur un risque de défaut, que personne n'imaginait ; elle portait sur le taux d'inflation, qu'on ne peut évidemment prévoir avec certitude. Je prête 100 euros, on me remboursera l'an prochain 102, mais vaudront-ils autant que les 100 d'aujourd'hui ? En fait, cela revient exactement au même ! Il me semble que la fiction des Etats éternellement solvables[2] contribue au niveau élevé de l'euro, donc au taux minime d'inflation, alors même que "les fondamentaux", la chute de la balance des paiements notamment, devraient faire chuter l'euro, grimper l'inflation et… dévaluer de fait les obligations d'Etat.

Bref, toutes les solutions se recoupent sur une certitude : 100 d'obligations d'Etat aujourd'hui ne valent pas 100, mais 50, 70, 90… ou 100 selon l'Etat concerné.

Et cette surévaluation comptable des obligations d'Etat contribue à la bulle financière, bulle qui dissuade l'investissement dans l'économie réelle, et paralyse progressivement nos pays, à la façon de l'Espagne d'après Colomb.

Bref, il ne me semble y avoir que deux pistes :

  1. l'une consiste à dévaluer les titres surévalués, pour retrouver des Etats solvables et stables ;
  2. l'autre, à dévaluer en bloc la monnaie, les contrats commerciaux et de travail, l'économie, en espérant que les Etats seront sauvés au passage, et non désintégrés par le chaos hélas prévisible.

La première me semble largement préférable.

Ce raisonnement "macro" sur l'Etat européen moyen ne vaut pas forcément pour la France. Grâce à la richesse foncière des ménages, la France reste potentiellement solvable, ou à la limite de la solvabilité.

Mais je doute que la France, puisse, en supplément, garantir la solvabilité d'autres Etats, ou celle de la BCE.

Je suis donc effrayé par la décision de celle-ci de prêter 500 milliards à trois ans aux banques, ce qui n'a rien à voir avec sa mission, celle même que rappelle Jean Peyrelevade, assurer la liquidité du système financier…

Le pire n'est pas certain, mais nos dirigeants le rendent chaque semaine plus probable.

Notes

[1] Et donner raison, pour le coup, à l'extrême-gauche quand elle demande un "audit" de la dette pour en déterminer une partie "odieuse et illégitime".

[2] ou de la BCE éternellement solvable, ce qui revient au même, les Etats étant ses actionnaires