En 2010, le Front de Gauche avait produit une brochure de 43 pages titrée "Bayrou : tout un programme !", ou plus exactement, l'avait recyclée de 2007.
Il a pleinement réussi son objectif — qui était, explicitement, de nous devancer !
On ne change pas une équipe qui gagne des cinquièmes places : le Front de Gauche nous ressort le même objectif et la même méthode : une brochure titrée "Bayrou, tout un programme !", sur 20 pages seulement, mais en 2 colonnes écrites petit (PDF).
À sa lecture, j'ai eu une bonne surprise : ils ont vraiment bossé. Sérieusement préparé leur coup. Une documentation soigneusement mise à jour, des tonnes de citations, une rédaction énarchique.
Hélas, il ne manque que le bon sens, le raisonnement et un minimum d'honnêteté.
Ça commence dès le tout premier paragraphe :
Une explication libérale de la crise et de l’endettement public
Ce que dit François Bayrou :
«La crise est la crise des Etats, de la dette des Etats».
C’est une analyse de la crise actuelle très classique du point de vue libéral.
Pour François Bayrou, la crise n’est ni celle de l’endettement privé qui fut pourtant avec l’effondrement des subprimes le déclencheur de la tempête financière actuelle. Elle n’est pas non plus le fait de la spéculation contre la dette publique. Non, pour lui, la crise est de la faute des Etats.
(...) Il oublie aussi que la dette a été creusée pour faire face à la crise des subprimes et au sauvetage des banques privées par les Etats.
Pour arriver à une telle conclusion, c'est très facile : il suffit de tronquer l'essentiel de la description de la situation que fait François Bayrou, de la façon suivante : "Les banques et les marchés sont responsables de la crise de 2008. C'est indiscutable et sévèrement condamnable. Mais dans la crise de 2011, ce sont les États qui ont « planté » les banques, en laissant filer la dette à des niveaux insoutenables…" (dans La Tribune, interview que l'auteur ne peut ignorer puisqu'il en cite un autre passage dans la même page !)
Ce qui permet à l'auteur de conclure que "François Bayrou exonère complètement les banques".
Trop fort, non ?
Ça continue comme ça sur 20 pages et en deux colonnes, je ne peux pas me permettre de répondre sur le même format…
Juste trois exemples de ces gags :
- L'auteur est capable d'interpréter les silences de François Bayrou : "François Bayrou ne propose pas, par exemple, de rendre l’impôt sur le revenu plus progressif en créant de nouvelles tranches", même quand François Bayrou l'a précisément proposé…
- François Bayrou avait proposé en 2007 (et dès 2001 en fait) d'exonérer de charges sociales (hors retraite) deux emplois nouveaux créés par chaque entreprise en augmentant son effectif. Cela n'empêche pas le Front de Gauche d'y voir "de nouveaux effets d’aubaine pour les entreprises qui pourront augmenter le turn-over de leurs salariés en licenciant puis en ré-embauchant pour obtenir la nouvelle exonération proposée"… oubliant au passage que François Bayrou proposait (comme la CGT !) une assurance-chômage avec bonus-malus, pour dissuader l'emploi précaire et encourager l'emploi stable…
- L'auteur est capable d'interpréter l'abstention de deux façons opposées ! Quand François Bayrou s'abstient sur une loi proposée par la droite en 2006, ça prouve qu'il "ne s'est pas opposé" à cette loi (pp. 10-11), mais quand François Bayrou s'abstient sur une loi proposée par la droite en 2003, ça prouve qu'il a "refusé de voter" cette loi (p. 18). Différence ? Le Front de Gauche est favorable à la seconde, mais pas à la première
- Allez, un quatrième exemple : François Bayrou "ne propose pas de supprimer" le dispositif Robien sur le logement (p. 14)… et effectivement, il serait difficile de supprimer… un dispositif qui n'est plus en vigueur depuis le 1er janvier 2010 !
Donc, ça continue comme ça jusqu'au bas de la dernière page, avec comme bouquet final une citation imaginaire[1], mais entre guillemets et en italique.
Citation que je leur retourne volontiers : que la gauche, du moins une certaine gauche, truque, tronque, trahisse et désinforme, pas de quoi se scandaliser, si "c'est l'époque qui veut ça".
Cela dit et écrit, ont-ils tout faux ? N'y aurait-il pas un petit quelque chose de vrai dans ce document ?
Oui, et pas un petit : un grand quelque chose de vrai.
Au fil des thèmes, c'est un programme politique complet qui se dévoile : celui du Front de Gauche. En creux et parfois en toutes lettres, comme dans ce magnifique tableau page 8[2]. Devant cette oeuvre d'art, une seule certitude : le Front de Gauche se moque, comme de sa première chemise de documents anti-Bayrou, de savoir si, au gouvernement, il aurait le premier sou pour offrir ce qu'il promet là.
L'irresponsabilité et l'illusionnisme du Front de Gauche, ça c'est une vraie vérité qui éclate à chaque page de cette brochure.
C'est une vieille habitude chez eux. Je l'avais découverte en 82 ou 83, à une conférence d'un responsable national du PCF. Auparavant, j'avais lu leur dernier programme politique en date, et j'avais été étonné par l'énormité des dépenses annoncées. Lors des questions au conférencier, j'ai donc demandé : avec quelles recettes financeriez-vous ce programme ? Naïf que j'étais, j'attendais des réponses, agréables ou désagréables : impôts ou confiscations, que sais-je. La seule réponse que j'aie eue du conférencier, c'est que ce n'était pas le problème[3].
Hélas, camarades : pour les salariés, retraités, malades, chômeurs, jeunes, fonctionnaires… et quelques autres… la faillite du service public, C'EST le problème.
Et pour échapper à cette faillite, Bayrou, LUI, a "tout un programme".
Notes
[1] Vérifiez sur google : le seul endroit où elle existe, c'est dans ce document du Front de Gauche…
[2] Qui est, lui aussi, tendancieux sur les positions de François Bayrou. Mais passons.
[3] Du moins, c'est ce que j'ai retenu.
Fréderic, c'est une démonstration exemplaire. Chapeau.
Je suis très déçu, moi qui avait de l'estime pour Mélanchon et le Front de Gauche, comme opposant sérieux en lieu et place des "communicants professionnels" qui ne brassent que du vent et ce que veulent entendre les électeurs. En fait ils ne valent pas mieux. Dommage.
@ CedricA : bizarrement, j'ai de l'estime pour eux aussi ! Je les crois sincères à leur façon, mais hélas, c'est une façon qui se moque des faits, qui parle pour parler, qui croit que parler fort soulage la misère.
En fait, ce genre de grognements de polémistes, ça permet surtout aux oligarques de rester en place. Très bien résumé dans les dernières répliques du film "L'exercice de l'Etat" (le peuple, il faut bien supporter qu'il grogne, puisqu'il n'a pas le pouvoir…).
Si on veut que ça change, il faudra arriver à convaincre nos concitoyens tentés par ces votes de gueuler-pour-gueuler, qu'ils pourraient aussi utiliser leur bulletin pour changer les choses. Qu'on peut y croire. C'est pas gagné !
Bravo !
C'est finement analysé et la synthèse n'en est que plus magistrale.
Cet opuscule est aussi repris par des sites locaux du PCF qui s'en servent comme d'une "arme" pour combattre le PS contre toute tentative de rassemblement avec le centre...
"Les banques et les marchés sont responsables de la crise de 2008. C'est indiscutable et sévèrement condamnable. Mais dans la crise de 2011, ce sont les États qui ont « planté » les banques, en laissant filer la dette à des niveaux insoutenables…"
Cette phrase peut être changée autant de fois qu'ils le veulent, elle voudra toujours dire la même chose : ce sont les États qui ont "planté" les banques, donc ici, ce sont les États qui sont responsables ! De quoi ? De la crise de la dette, apparemment. Bien qu'il n'y ait pas à proprement parler de crise de la dette. Mais bon...
... Il suffit de lire la phrase... Et c'est donc le raisonnement que le Front de Gauche décrie parce que totalement faux.
Essayez au moins d'être sincère dans vos propos et dans vos idées... Ça faciliterait la tache !
Cordialement,
LN.
"François Bayrou avait proposé en 2007 (et dès 2001 en fait) d'exonérer de charges sociales (hors retraite) deux emplois nouveaux créés par chaque entreprise en augmentant son effectif."
Cette phrase est pure langue de bois. Il existe plusieurs types de charges sociales, totalement différentes les unes des autres ! Toutes les entreprises, selon leur statut, n'ont pas à payer les mêmes charges... Alors soit vous précisez ce que vous voulez faire, soit changez de métier...
"Par chaque entreprise en augmentant son effectif" : effectif de quoi ? Vous parlez du coefficient ou d'autre chose ?
Sérieusement... Oo quand vous serez clairs, peut-être arriverez-vous à vous faire entendre.
"Hélas, camarades : pour les salariés, retraités, malades, chômeurs, jeunes, fonctionnaires… et quelques autres… la faillite du service public, C'EST le problème.
Et pour échapper à cette faillite, Bayrou, LUI, a "tout un programme"."
Non, le problème n'est pas la faillite en elle-même, ce sont les causes de cette faillite... C'EST évident, non ?
Et si un jour je comprends le programme du MoDem, j'en serai ravis.
LN.
@ Lyla : n'étant ni front de gauche ni MoDem, je suis d'accord avec toi sur le fait que Bayrou manie parfois la langue de bois. Je remarque néanmoins que le tableau ci-dessus n'est pas à la gloire du front de gauche pour ce qui est de la clarté des idées et de leurs applications.
Juste pour information quand même, une entreprise déclare tous les ans son effectif dans ses documents fiscaux.
@ Laurent Boisseau : hélas, la mauvaise monnaie chasse la bonne.
@ Lyla : bienvenue ! les sympathisants FG sont rares par ici, or le pluralisme y est bienvenu !
Vous me demandez la définition de "effectif": votre suggestion d'un mot plus court et plus simple pour "nombre de salariés" sera la bienvenue. Et pour avoir la réponse à vos questions sur la proposition de 2001-2009 des "emplois francs", puis-je vous suggérer de suivre le lien indiqué dans le billet ?
Sur l'importance de chercher et résoudre les causes de la faillite, je suis tout à fait d'accord avec vous ; Cf. mon billet d'il y a 15 jours sur le récent article de J. Stiglitz : http://demsf.free.fr/index.php?post... . Mais pour les "salariés, retraités, malades, chômeurs, jeunes, fonctionnaires" qui ne toucheraient pas leur salaire, pension, allocation, remboursement… en fin de mois, c'est la faillite en elle-même qui est un très gros problème. Apparemment, il reste au Front de Gauche des gens qui n'ont pas compris ce risque, et qui imaginent un Etat aux poches infiniment pleines. Ce n'est pas faute d'essayer de conscientiser… (Au passage, je crois Jean-Luc Mélenchon parfaitement conscient de ce danger imminent).
Enfin, sur la crise, aussi bien le texte du FG que les propos de F. Bayrou me semblent parfaitement clairs, donc je comprends mal votre commentaire 4. Pour être sûrs qu'on parle de la même chose, je reformule :
Et dans ces deux crises, la France est en situation plus difficile que ses voisins, parce qu'elle a laissé s'étioler son économie productive et particulièrement ses exportations - donc elle manque de ressources pour financer ses services publics, a fortiori s'il faut en plus éviter la faillite du secteur bancaire.
Laquelle des deux explications vous semble la plus sensée ?
@ jbl : ça manquait sur ce blog, tiens, un patron qui paye des salaires …
Juste un mot en passant. Il faut attendre la fin des consultations, mais j'ai entendu Bayrou dire plusieurs fois qu'il ne proposerait pas d'exonération nouvelle (ni augmentée) de charges sociales en 2012, étant donné l'état des comptes publics.
@ Hervé Torchet : oui, il n'a pas repris depuis 2009 cette proposition et ça se comprend bien. Mais la brochure du FG analyse aussi des propositions anciennes à la recherche de preuves du droitisme bayrouien
Il faut être sacrément gonflé pour prétendre que l'analyse de la crise faite par Bayrou ne dédouane pas les banques relisez la citation que vous donnez , la crise de 2011 est d'après Bayrou le fait des états or le désaccord est bel et bien là, Le FDG considère que la crise de 2011 est d'abord une conséquence de la crise de 2008, la grece par exemple connait avant 2008 des taux de croissance qui lui permettent de faire face, c'est avec la chute de la croissance et l'explosion de l'endetttement lié aux opérations de sauvetage des banques que la charge devient intenable , il y a donc bien deux analyses des causes de la crise .
Et deux analyses des solutions , écouter la conférence de presse de Melanchon vous la trouverez sur son blog et lisez le programme du front de gauche il a sa cohérence, et part d'un postulat : l'argent existe pour faire autrement, encore faut il avoir le courage d'aller le chercher où il est .
@FrédéricLN
Pour le front de gauche, la crise ne commence pas en 2008 , elle est comme l'ont décrit de nombreux économistes dès les années 1980 dans la financiarisation de l'économie la dette privé devient un outil pour assurer de la croissance et vient compenser le pouvoir d'achat qui n'est plus distribué par les salaires, cela nourrit des bulles spéculatives, dont les économistes en particulier de gauche s'inquiète dès les années 90.
Parralèlement l'ouverture aux banques et le monopole qu'on leur donnent sur la dette publique conduit à agraver celle ci depuis 1973 le montant cumulé des intèrêts de la dette pour la France est de l'ordre de 1200 milliards de d'Euros à mettre en parallèle avec celui de la dette actuelle de l'ordre de 1600 milliards de mémoire ...
@ armogan
La crise de 2008 est due à une décision étatique, d'abord : le président Clinton a forcé les banques américaines à s'asseoir sur la notion de risque (centrale dans le métier bancaire) pour les obliger à prêter à des ménages insolvables. Les banques, se retrouvant avec des créances très risquées, ont voulu réduire ce risque en le diluant, ils ont créé des paniers de valeurs, ce qui a finalement abouti au drame de 2008. À la base, il y a une décision de Clinton. Les subprimes, c'est le fruit direct d'une décision d'un État et non pas d'une décision des banques.
@ armogan #10 : nous sommes donc bien d'accord sur cette divergence d'analyse (Cf. commentaire 7). Je maintiens, avec F. Bayrou, que la crise de 2011 est due au comportement des Etats,
… y compris la façon dont ils ont renfloué les banques en "privatisant les profits et socialisant les pertes", comme vous le dites,
… et y compris la façon dont ils ont planqué leurs difficultés de financement en poussant les banques, dont Dexia qui l'a avoué, à acheter des obligations publiques pourries, comme F. Bayrou le dit.
Je trouve en revanche très courte l'explication de votre commentaire #11 selon laquelle "si on est endettés, c'est la faute des intérêts". Tout d'abord parce qu'elle présuppose que l'Etat pourrait être un emprunteur d'un genre différent, qui s'endette à 0% alors que tous les autres — collectivités locales, ménages, entreprises… - doivent payer pour utiliser dès maintenant les recettes qu'ils espèrent (si tout va bien) collecter plus tard. Mais aussi et surtout parce que, *meme hors intérêts de la dette*, les administrations publiques — Etat, collectivités et hôpital — sont systématiquement en déficit ! Et ce depuis la fin des années De Gaulle, aux seules exceptions des gouvernements Barre et Jospin. Ce sont les chiffres bruts de l'INSEE, Cf. le lien dans mon commentaire 7 ( http://www.debateco.fr/une-majorite... ). Pour revenir à cet équilibre-là, dans lequel les recettes équilibrent au moins les dépenses courantes (hors dette), il faudra améliorer les comptes de 100 milliards au total (recettes en plus, et dépenses en moins) .
Et je ne vois pas les solutions du FG pour récupérer ces 100 milliards par an.