Le Premier Ministre se prend une fronde bien méritée des députés, et le plus fort, c'est que ça l'étonne.

... Ras-le-bol de ces décisions nullissimes, a ainsi déclaré Yves Albarello, député de Seine-et-Marne. (…) Il faut arrêter d'emmerder les Français ! C'est facile pour Fillon, lui il prend le TGV ou l'avion.

Les fabricants d'anti-radar, Coyote et compagnie, qui ont créé il y a 3 ou 4 jours leur "association d'usagers", disent compter "139.000 protestataires (qui) ont signé illico la pétition", "et l'association gagne plus de 10 000 sympathisants chaque jour, tandis qu'internet sert de déversoir à des tombereaux de commentaires furibonds." (France Soir).

Le plus incroyable, c'est de réussir à monter les Français contre soi, réussir à être "Paris" contre la France, alors qu'on promeut la cause la plus indiscutée, la plus indiscutable, la plus consensuelle qui soit : protéger nos vies contre les chauffards.

Il faut mesurer l'ampleur du désastre, et de la dégringolade.

Les mesures prises en 2002 rompaient avec des années de j'menfoutisme criminel - souvenez-vous de Bernard Pons arrivant au Ministère de l'Équipement et déclarant que les gendarmes devraient désormais privilégier la prévention sur la répression… oui, la même prévention que la droite ridiculise d'habitude…

Et en quoi consistaient ces mesures ? D'abord, en ce que l'unanimité nationale avait été obtenue. Un grand mouvement d'opinion avait exigé la fin de l'amnistie pour les chauffards. Une pétition lancée par le journal La Vie, avec la participation d'associations et autres supports de presse, avait eu un succès massif. Un candidat à la présidentielle de 2002[1] y avait participé. Réélu en 2002, Jacques Chirac a donné suite à cette campagne, et son ministre, Gilles de Robien, a pris le contrepied du discours de Bernard Pons en 1995.

Dans les salles où (Gilles de Robien) débattait pendant la campagne présidentielle, les prises de position fermes «pour zéro amnistie» récoltaient de belles salves. «On était étonnés de ce succès», avoue-t-il. Dans son entourage, on précise que c'est à ce moment-là que Chirac a compris «qu'il se passait quelque chose au niveau du respect du droit».

Les Français ont changé de comportement plus vite qu'aucun équipement ne peut l'expliquer. En douze mois, le nombre de morts a baissé d'un quart, ce qui ne s'était jamais vu. Et le premier radar automatique n'est arrivé que plus tard…

Comme le montre ce graphique (surligné en bleu par votre serviteur), ce consensus national pour la sécurité routière, contre la vitesse et l'alcool, a déjà sauvé la vie d'environ 15000 personnes depuis fin 2002[2]. Sans compter ceux, bien plus nombreux, qui ont échappé à un handicap lourd.

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Changer de comportement, c'est un effort. Cela suppose une bonne quantité de confiance, les uns envers les autres, tous envers la loi et ceux qui la font respecter. Et pour le coup, je suis d'accord avec Auto Plus :

« Les radars étaient globalement bien acceptés par les automobilistes parce qu'ils étaient signalés, explique Laurent Chiapello, directeur de la rédaction d'Auto Plus. C'était un contrat de confiance avec l'Etat. Mais, brutalement, les règles du jeu changent, et les Français se sentent piégés ».

Moi aussi, j'ai bien vu ceux qui jouent à saute-moutons avec les radars ou qui font des appels de phare pour filer sur la file de gauche.

Moi aussi, je trouve que dix morts chaque jour sur la route, c'est bien trop[3].

Moi aussi, le Coyote m'écoeure.

Mais l'inconscience de gouvernants qui prétendent dicter nos comportements depuis Paris, comme si les volants se gouvernaient par décret, m'écoeure plus encore.


P.-S. 25 mai 2011 : l'analyse du professeur Claude Got, l'expert le plus reconnu de l'accidentologie routière, l'un des initiateurs de la campagne d'opinion qui a réussi en 2002, s'appuie sur des analyses bien plus détaillées que la mienne, côté accidentologie précisément. Curieusement, le résultat est très voisin du mien : "Comment se rate une gestion de crise ? (…) Je n'imaginais pas l'émergence dans des délais courts, après la prise de conscience de la dégradation des résultats ces 4 derniers mois, d'un ensemble de mesures adaptées à la situation, mais le résultat est pire que tout ce que je pouvais craindre. Le Gouvernement veut rester dans le déni. (…) La seule mesure intéresssante de la liste rendue publique est l'interdiction des avertisseurs de radars, incluant panneaux, géolocalisation et avertissement à la suite de renseignements transmis en temps réel par les usagers. Nous verrons si cette décision est rendue effective et dans quels délais. Si elle ne l'était pas, il ne resterait pas grand chose (…)".

Notes

[1] François Bayrou.

[2] PS 25 mai 2011 : je découvre le site, très bien documenté, de Claude Got. Il propose plusieurs modes de calcul, et estime lui-même ce nombre de vies sauvées à 29000. Je ne suis pas forcément d'accord avec son mode de calcul. Disons que les 15000 apparaissent comme la plus modeste des estimations possibles.

[3] "760 vies de plus auraient pu être sauvées en 2009 si les limitations de vitesse étaient strictement respectées" selon l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière, juillet 2010 (PDF, p. 15).