Je vous la fais courte : la sortie de crise est tout près. La nouvelle loi de l'économie est là, sous nos yeux. Il suffit d'ouvrir les yeux[1]. L'argent de demain est déjà là, tout près. Il suffit d'ouvrir les vannes. De nouvelles vannes, à la place de l'ancien canal devenu tourbillon, à la place de la place de marché qui n'avait plus ni place ni marché.
Le secteur financier s'effondre, mais les financiers continuent à prélever de quoi payer un train de vie versaillais. La finance s'est comportée, dit-on, en prédatrice au dépens de l'économie, mais les financiers attendent tout simplement la reprise du cycle économique - convaincus que eux qui étaient une partie du problème, seront une partie de la solution. Convaincus qu'après avoir prélevé une rémunération sur leur valeur ajoutée, après avoir prélevé une part de la valeur ajoutée des autres, après avoir nourri leurs entreprises de l'argent de l'État, l'économie plus prospère demain leur paiera inévitablement tribut.
C'est juste un rapport de forces : riches ou pauvres, gagnants ou perdants, nous devons payer le marché, pensent-ils.
Je vous la fais plus claire (j'essaie !) : ce qui a fait "bugger" l'économie, ce n'est pas le capitalisme, c'est l'absence de capitalisme ; ce ne sont pas les marchés, c'est l'absence de marchés, ou de "s" à "marchés".
Le capitalisme (risquer son argent dans une entreprise économique, en prenant la responsabilité d'embaucher des travailleurs) avait été remplacé par une pyramide de dette (risquer un argent fictif, ou celui de nos enfants, dans des montages fiscaux assurant l'irresponsabilité à tous, sauf aux travailleurs).
Les marchés (des endroits, des places où des acheteurs et des vendeurs se rencontrent et échangent) avait été remplacé par "le marché", un agent Smith composé de dizaines de milliers de financiers - clones synchrones, agissant selon les mêmes critères, normes, croyances - incapables de pluralisme, donc incapables de marchander, donc incapables de se raccrocher au monde réel.
Les réponses à la crise, évoquées ces derniers temps, sont donc inefficaces par nature.
"Patcher" la régulation ? Quand le troupeau de bisons charge[2], quelle barrière tiendrait ? La nouvelle réglementation Bâle II a montré ses limites en 2 ans, la prochaine vague tiendrait 6 mois peut-être.
"Appliquer la réglementation existante" ? Il faudrait expliquer ce qui la rendrait plus applicable demain qu'aujourd'hui ! Si un Madoff, avec une arnaque basique, a pu tromper tout son monde pendant des décennies et avec tous les honneurs, que pourront garantir dix tomes de réglementation et vingt sages régulateurs ?
"Accroître la transparence" ? Demander des reportings quotidiens au lieu d'hebdomadaires, ou mensuels au lieu de trimestriels ? "Le marché" est déjà sous overdose de chiffres, il a perdu (fût-ce avec nostalgie) le goût du sens.
La sortie de crise est exactement à l'opposé de ces "recettes uniques". Rendre possible l'échange libre, la création marchande, l'investissement capitaliste dans l'économie réelle, demande de la diversité.
Remplacer la course à L'information, par la concurrence DES informations. Remplacer LE marché par LES marchés. Remplacer LA liquidité par LES capitaux. Remplacer la croyance en LA valeur, par la diversité DES échanges, et pour cela, sans doute, la diversité des monnaies.
Il faut donc mettre "le marché" en concurrence. Casser son monopole. Prendre, acteurs économiques (entreprises, ménages, État), notre indépendance par rapport "au marché".
Contourner la monnaie en faisant du troc. Contourner les banques en faisant des prêts d'honneur ou… en se faisant payer plus vite ("cash is king!"). Contourner les cours de l'immobilier en faisant de la colocation.
Régression ? Le croyez-vous ? Espérez-vous que le TGV remplace la voiture ? Que la TNT remplace l'instituteur ? Que MacDonut remplace votre casserole ? Croyez-vous une technologie parfaite, hyper-efficiente, hyper-rapide, hyper-mathématisée, supérieure à la diversité humaine ?
Même les financiers le savent : le choix humain demande un arbitrage entre rendement et sécurité. Si vous voulez une finance plus robuste, ce sera en échange d'un rendement moindre. Si vous voulez une économie plus sûre, ce sera sans la perspective mythique d'une croissance infinie. Si vous voulez une technologie plus sûre, il faut accepter des redondances, des contrôles manuels, bref perdre en "performance pure" (celle qui ne se réalise que dans un monde sans risque).
Un "marché" - un outillage, une technologie, un troupeau de bisons - qui n'était plus capable d'évaluer le risque, ne pouvait plus attester d'aucune performance.
Demain, investissez dans ce qui mérite votre confiance, dans ce que vous voyez, touchez, sentez, dans ce dont vous pouvez mesurer le risque. La route du succès est là, sous nos pas, quand ils touchent le sol.
Illustration : une porte du bâtiment du London Stock Exchange[3].
Notes
[1] De curiosité. L'étincelle qui a déclenché l'écriture de ce billet a été apportée par Jacques Bugier de la part de Barack Obama, dans France démocrate.
[2] tradersnarrative.com, il y a un an : "Newsletter editors are naturally bullish by nature, after all, optimism sells" - "Les auteurs de lettres d'information (financières) sont naturellement haussiers par nature, après tout, l'optimisme est vendeur".
[3] Ce billet doit tout à l'illumination qu'a constitué pour moi la session IHEE à Londres sur les métiers de la finance. Il doit aussi beaucoup aux billets de Michel Volle, aux prises de position successives de François Bayrou sur la crise, aux étapes de réflexion que permet un blog, aux contributeurs à la Commission UDF sur l'économie au premier semestre 2006, à Keny Arkana via Nicolas Voisin, au livre du Deutéronome (chapitre 30, versets 11 à 14), etc. Et la restructuration du billet ce samedi 14 au soir, c'est pour tenir compte des commentaires d'Hervé Torchet et Françoise Boulanger ci-dessous.
Eurêka, en somme.
Cher Frédéric,
Le gros problème pour moi lorsque je viens te lire est que je dois me préparer à y consacrer beaucoup de temps
Tu en es pardonné puisque la réflexion à laquelle toutes tes analyses m'amènent est certainement la plus instructive qu'il soit. (Si ça ne tenait qu'à moi, je te nommerais tout de suite ministre de l'économie et des finances ! Pour aller me prélasser en toute confiance sur mon transat...)
Inventer de nouveaux échanges monétaires tels que des trocs, c'est revenir à des pratiques anciennes non ? Les SEL par exemple ne peuvent amener de TVA. Moins de surveillance aussi... ne risquerait-on pas de conduire encore plus facilement à de l'exploitation esclavagiste ?
Comme je ne suis pas inscrite sur France Démocrate, je répondrais chez toi à Jacques Bugier sur son billet de ce jour. Je suis persuadée que la curiosité est la plus belle des qualités si son but est d'améliorer le système. Connaître mieux quelqu'un n'est pas se l'approprier ou le dominer. D'ailleurs au mot "tolérance" qui sous-entend une certaine condescendance pour celui qui n'a pas la même opinion, je préfère de beaucoup "respect des différences".
Bon Frédéric, il me faudra revenir te lire car tu mets beaucoup de documents sur une même page.
Merci pour tout ce travail.
Bon bon, donc c'était encore incompréhensible Zut alors. J'ai repris le billet en essayant de remettre les idées dans l'ordre. Et pour France démocrate, on peut s'inscrire en permanence. Merci de vos contributions !
Au passage, je crois bien qu'on aura toujours besoin de financiers, de banques, de réglementation et de régulateurs, etc. Mais je crois aussi qu'une technique devenue folle par manque de pluralisme - un peu comme si un TGV unique avait remplacé toutes les voitures - doit être remplacée par des trucs peut-être moins sophistiqués mais plus divers dans leurs usages, plus appropriables par les gens. Y a pas de drame si on garde soi-même le contrôle du volant de sa voiture, plutôt que de laisser un système expert temps réel piloter à votre place. Non ?
"Contourner la monnaie... Contourner les banques... Contourner les cours de l'immobilier..."
Tout ça c'est très bien mais ne faut-il pas pousser la logique jusqu'au bout ?
Contourner l'état qui, la plupart du temps, met en place des mécanismes pour empêcher la libre circulation des biens.
La réflexion à la lecture de ce billet nous amène à des pistes pour contourner un système qui a montré ses limites. On comprend surtout que cette crise n'est pas une fatalité et qu'elle n'est pas non plus insurmontable. D'autres fonctionnements économiques devront inévitablement être envisagés. Je pense qu'une "co-existence" de plusieurs systèmes, avec une inter-dépendance faible pour éviter l'effondrement total en cas de "faillite" de l'un d'entre eux, pourrait apporter une certaine stabilité. Avoir misé sur la toute-puissance des marchés financiers, de plus en plus complexes et opaques, n'a donné aucune "porte de secours". Même si l'on inventait un nouveau super-système, à terme, le seul fait qu'il soit unique et en position de monopole, pourrait l'affaiblir et dans trente ou cinquante ans on se retrouverait -encore- en situation de crise majeure. Pour plus de stabilité, de confiance et surtout de sécurité pour les générations futures, je pense donc à une mixité de nouveaux fonctionnements économiques, sans prédominance de l'un ou de l'autre. Utopique ? A savoir...
Billet très intéressant.
Merci Frédéric.
Amitiés, Chantal
Et casser l'Union européenne par la même occasion. Tu as tout à fait raison. Un bon bouquin sur les bienfaits de la concurrence entre systèmes politiques : le secret de l'occident, reparu en Champs Flammarion récemment (http://www.lalettrevolee.net/articl...).
La mondialisation, en rendant tout convertible et échangeable, sur toute la planète, à tout moment, rend les erreurs beaucoup plus douloureuses. Et nous nous acharnons à construire un état européen toujours plus gros, pour que ses échecs soient toujours plus marquants...
@ Chantal : tu l'exprimes bien plus clairement que moi, bravo et merci !
@ edgar : belle défense de la subsidiarité ! Et sujet d'actualité : la 1ère quinzaine de décembre a été marquée par des débats au Royaume-Uni sur le sujet "rejoindre l'euro". Après la chute de la monnaie islandaise, beaucoup semblent estimer que la livre sterling est trop petite, et trop dépendante d'un secteur économique (la finance) pour apporter la stabilité au pays...
à quoi vous répondriez sans doute (moi, en tout cas, c'est ce que je répondrais) : une monnaie commune, c'est utile si on peut mener une politique monétaire commune. Démocratique, donc objet de débat pluraliste, de changements, etc. Au-delà de l'inscription dans un traité d'une "discipline macro-économique" que d'aucuns s'empressent d'oublier, pour obtenir la stabilité monétaire aux dépens des voisins - pas terrible.
Si tu n'as pas le temps de lire mon résumé du Cosandey, une bonne citation extraite de ce livre :
Prenons le cas des trains ultrarapides. Alors que les Etats-Unis n'en ont développé aucun, et le Japon un seul, l'Union européenne en possède trois : le TGV français (1983), le Pendolino italien (1988) et l'ICE allemand (1991). Le train français, conçu pour parcourir de longues lignes droites, est le plus rapide ; l'italien, destiné aux lignes sinueuses, s'incline dans les courbes pour les passer plus vite ; l'allemand, devant emprunter de nombreux tunnels, est blindé et pressurisé. Cette diversité technologique donne plus de possibilités aux européens de résoudre tous les problèmes ferroviaires. Elle leur permet de conquérir plus aisément les marchés internationaux : les trains ultrarapides européens n'ont aucune peine à emporter les commandes au Texas, en Corée et à Taïwan, face à l'unique concurrent nippon. Un gouvernement européen unique ne se serait pas donné la peine de développer trois types de train ultrarapides différents, ce qui aurait restreint le nombre d'emplois offerts aux ingénieurs et techniciens, et diminué la diversité technologique générale du continent.
A quoi je répondrais surtout que je ne connais pas d'état démocratique fonctionnant de façon satisfaisante avec plus de 200 millions d'habitants !
Et qu'il reste à inventer des organisations internationales fonctionnant de façon démocratique.
(je sépare états, à compétence générale, et orgnisations internationales, à vocation spécifique). L'union européenne n'est ni l'une ni l'autre et c'est bien ça son problème - et le nôtre.
La réponse centriste serait finalement de dire : je choisis le meilleur de chaque chose, de chaque pays, je mélange énergiquement pour que ça "adhère" et ça marche !
Reste à trouver "l'agitateur" le plus costaud...