Après toutes les réflexions et les billets que j'ai consacrés à la crise financière (et qu'on retrouvera sur ce tag), il y a une chose qui me coûte et une qui me chiffonne.
Ce qui me coûte, c'est la crise qui continue. Agios et autres soucis. Elle a fini par me rattraper.
Ce qui me chiffonne, c'est que je ressens comme un gros malentendu, malgré toutes ces pages d'écriture et les excellent(e)s lectrices et lecteurs que vous êtes, merci.
Certains de mes sympathiques commentateurs semblent penser que vouloir réguler l'économie, c'est s'en prendre à l'entreprise et au final à la prospérité. Alors que "tout système financier non contrôlé fait faillite" (le théorème de Jean Peyrelevade). Ou, dit en positif : il faut faire énormément progresser la régulation, pour que le libre jeu de l'économie dans ces règles, conduise à une prospérité durable.
Revenons à ce qui semble être malentendu(s).
L'excellent Hérétique étiquette mes billets comme "dignes du NPA" - deux ou trois jours avant que Nicolas Sarkozy annonce des mesures plus radicales encore (mais essentiellement fictives, bien entendu). Pour lui, je fais "comme si toute crise boursière était le fait des traders" à moins que ce ne soit des paradis fiscaux.
L'excellentissime verel me consacre généreusement un billet : selon lui je voudrais "introduire de la morale dans la finance", en bon "bisounours", alors que "ce n’est pas en rêvant ou en se racontant des histoires qu’on fera un monde plus humain, mais en le regardant tel qu’il est". Waoh.
Le tout aussi excellent florent, quand je scrute dans l'entreprise l'ombre du totalitarisme, voit ce phénomène "pas tant au niveau économique, que de la société dans son ensemble (même si effectivement, aujourd'hui l'économique domine pas mal de choses - et de têtes)." Soit...
... Soit, mais cet argument me semble mener à la position suivante, qui résume un peu toutes les objections précédentes :
"il faut laisser l'économie suivre ses propres lois, qui sont par définition celles de l'argent, et il faut préserver un espace social autonome de cette loi de l'argent - autonome et même, au moins à nos yeux, de plus grande valeur".
Et quand je lis ça (ou quand je crois le lire, car là, je l'ai plutôt écrit !), je sors les canons de 75 et les taxis de la Marne.
Parce que c'est à ce moment-là que notre Centre est enfoncé. Quand il croit génial, ou simplement juste et honnête, d'abandonner à la droite une économie soumise à l'argent, et à la gauche un "non-marchand" qui échapperait à l'argent.
Le Centre s'auto-dissout quand il espère qu'une sorte de "séparation des ordres" entre marchand et immatériel, permettra d'échapper au conflit pour les revenus et les ressources, permettra de concilier les contraires, de faire du "social-libéral",... plus exactement de se définir "social-libéral" sans avoir rien à faire[1].
Cette tentation centriste est jumelle de la tartufferie sarkozyste, qui pour ne rien changer à la prédation et à l'injustice, feint d'y voir la faute individuelle de quelques-uns : patrons voyous et traders cupides que l'on mettra au pas, foi de G20 - après quoi, sans que rien n'ait changé[2], le même Président de la République peut prétendre paisiblement que nos banques "deviennent exemplaires".
Cette tentation centriste est triplée du théâtre d'ombres socialiste, qui en campagne annonce la mise au pas d'une économie trop égoïste - on forcera les entreprises à rendre gorge / embaucher / faire de la recherche / être citoyennes / etc. etc. - phraséologie creuse qui se transforme, une fois au pouvoir, en petites affaires et stock-options.
Contre ces trois façons de laisser tomber le monde comme il tombe, je suis marxiste, libéral et écologiste. Et plus encore, démocrate.
Comme les écologistes, comme les libéraux, comme les marxistes, je suis convaincu que les grosses affaires se passent du côté du tiroir-caisse.
Comme eux, je dénonce les bidonnages que sont "la défense de l'environnement par l'incitation et l'encouragement sans sanctions ni taxes", "la relance de l'activité par la dépense publique et les grands projets financés par l'emprunt", et "l'opium du peuple" que serait la promotion, sur la scène publique, de notre culture, de notre liberté, de notre création, de nos valeurs pendant que dans la coulisse, quelques milliers de personnes se partageraient les gros morceaux du gâteau mondial.
Comme verel, je crois qu'il faut "regarder le monde tel qu'il est" (certes certes !), et que si les choses valent cher, c'est que soit elles ont de la valeur pour les gens, soit elles permettent à ceux qui les vendent de capter un maximum de valeur, soit les deux à la fois. Là où vont les milliards, là doit être le pouvoir politique[3], sinon quel pouvoir a-t-il ?
Bref, pas de pouvoir des êtres humains sur leur destin collectif - pas de démocratie - sans pouvoir des êtres humains sur l'économie.
Notes
[1] Sur une séparation des ordres du même tonneau, Philippe Bilger.
[2] sinon plus de laxisme comptable qui permet aux valeurs ultra-spéculatives de repartir en flèche et aux établissements financiers de verser des rémunérations record, sûrs qu'ils sont maintenant de la garantie des Etats !
[3] Exécutif, législatif et judiciaire.
Ouaip : le côté marxiste, j'avais relevé catho de gauche, en fait
Hélas, la gauche est souvent soumise à l'argent ces temps-ci (voir ce qui se passe à Paris).
1 - Je devais lire Marc Dugain, mais me voilà accroché par ta plume vivace.
2 - Que penses-tu du pavé "20 propositions pour sauver le capitalisme" du binôme giraud/renouard ? Vous êtes sur la même longueur d'onde on dirait...
3 - Dommage que les mesures proposées par Sarkozy, que tu évoques, ne soient pas analysées sérieusement au jour médiatique... moi j'écoute surtout la radio, et même les radios critiques ne le font pas. Comme la grande majorité des électeurs, je ne lis pas les journaux...
@ Herve : juste rapprochement, hélas.
@ Hugues et Heretique : vous convergez, on dirait! Hugues #2 : connais pas. J'ai yahooisé le titre et trouve les 20 propositions (juste les 20 titres), ça m'a l'air moitié wishful thinking moitié filet d'eau tiède. En revanche je suis 100% d'accord avec le cahier des charges défini sur leur site : "Peut-on réformer le capitalisme de façon à le mettre au service d’un développement social durable ?". Et 100% en phase avec l'impression que donnent les propositions, d'entrer dans les mécanismes du capitalisme, de ne pas rester en surface ni se contenter de généralités. Donc je vais regarder le contenu des propositions d'un peu plus près.
Le bon fonctionnement du marché a besoin d'un minimum de règles, comme par exemple celles qui permettent de lutter contre les monopoles ou d'augmenter la confiance dans les informations publiées par les entreprises
Au delà, on peut estimer qu'une intervention politique a plus d'avantages que d'inconvénients. Pour faire cette estimation, il est indispensable de comprendre au préalable les mécanismes économiques
Exemple d'application
Un Smic "voiture balai" a peut être quelques inconvénients sur l'efficacité économique mais il a des avantages sociaux certains et il empêche certains patrons peu scrupuleux de profiter de la faiblesse des moins bien informés, ce qui va plutôt dans le sens de l'efficacité économique
Un SMIC trop proche du salaire médian comme en France, crée un chômage important chez les non qualifiés (plus de 40% de chômage chez les non qualifiés 3 ans après leur sortie du système de formation initiale, alors même que leur nombre est en forte baisse depuis 40 ans)
Dit autrement les bon sentiments sans analyse économique sérieuse peuvent aboutir à un résultat tout à fait contraire à l'objectif affiché
C'est ainsi que Alexandre Delaigue a pu écrire avec de bons arguments (même si on peut les discuter) que l'action de l'Abbé Pierre avait favorisé le manque de logements (je pense que c'est plus compliqué que celà, mais on peut effectivement se dire qu'une trop grande protection des locataires nuit à l'effort de construction)
Pour ce qui concerne l'action de l'Abbé Pierre - et apparentés d'ailleurs -, je pense qu'un petit tour dans un pays en voie de développement ferait du bien à l'ami Alexandre Delaigue.
Concernant le débat sur le niveau du SMIC, je constate pour ma part que l'employeur moyen (PME donc), qui ne s'encombre pas avec des grilles de salaires complexes, est prêt à bien payer (bien = au-dessus du SMIC dans ma phrase) un salarié sans qualification précise mais qui fait bien son boulot...
Quant à la régulation de l'économie vue par FrédéricLN, j'ai l'impression de percevoir ton avis... ne serait-ce pas simplement du bon sens ? Et dans ce cas, c'est peut-être bien le problème, car comment transposer concrètement le bon sens dans un système économique ? Car qui dit économie dit rapport avec l'argent et nous renvoit tout droit à notre bonne vieille... nature humaine...