L'égotisme de Bernard-Henri Lévy m'a assez fait sourire, son influence sur la politique française m'a assez inquiété, pour que je prenne, aussi, ses voyages au sérieux.

En Bosnie ou en Ukraine, peut-être ridicule, peut-être ignoré, peut-être décalé, il a témoigné et témoigne de l'essentiel : nous sommes tous humains. Quand la barbarie prend le dessus, nous sommes concernés, menacés, appelés à agir.

Je ne connais pas la Centrafrique. C'est sans doute un point commun avec plus de 99% de mes compatriotes, et c'est l'origine du problème : notre gouvernement envoie des troupes dans ce qui est, pour l'opinion française, un espace où "personne n'entend crier".

Pourquoi notre ambassadeur a-t-il été brutalement remplacé ? Où son successeur a-t-il vu une détente, une amélioration ? En quoi son rideau de fumée à destination du public français, protège-t-il qui que ce soit sur place ?

Le nombre de morts quotidien en Centrafrique a-t-il diminué depuis l'arrivée de nos troupes, ou augmenté ? Cette (triste) comptabilité est-elle même tenue quelque part ?

Le HCR compte maintenant 1 million de réfugiés, contre 400 ou 500000 fin 2013. Selon Le Figaro, 19 des 24 mosquées de Bangui ont été détruites. Les témoignages affluent dans nos journaux : massacres de femmes et d'enfants, cannibalisme, une épuration ethnico-religieuse qui semble sans frein maintenant que le pouvoir de la Séléka a été chassé.

Cela ressemble affreusement à ce que le Burundi a vécu en 1993 ; comparaison n'est pas raison, mais si elle pouvait servir d'alarme !

Bien sûr, nos soldats sont chargés de faire obstacle à ces risques : mais que ce soit à 1000, 2000 — l'effectif de la police nationale dans le Val d'Oise ! qui n'est pas à feu et à sang —, comment nos soldats pourraient-ils arrêter le massacre dans un pays plus grand que la France !

Et quand l'ambassadeur annonce "une vingtaine d'assistants techniques" pour "refaire fonctionner l'État", confond-il un Etat et une ambassade ?!

Pierre Lellouche, avec qui je suis rarement d'accord !, avait averti dès décembre, appelé à plus de contrôle de l'Assemblée sur les opérations (une délégation de parlementaires vient de se rendre à Bangui), et soulève les questions essentielles.

Bien sûr, presque tous, nous hésitons à critiquer "celui qui a fait quelque chose" dans une situation de crise.

Surtout quand nous n'y connaissons rien. Moi-même n'avais rien osé publier sur la Centrafrique[1], après ces mois de tragédies.

Surtout quand nous sommes impuissants. Comment empêcherais-je Untel ou Untel, dans un quartier ou village de Centrafrique, de découper son voisin ?

Mais nous sommes une démocratie. Notre armée n'est que l'arme de notre volonté. Que voulons-nous ?

Si nous voulons la paix et la stabilité, la France doit cesser de se croire toute-puissante, et doit proposer son appui, même s'il coûte plus cher qu'aujourd'hui, à toutes les forces dont l'intérêt est la stabilité en Centrafrique, à commencer par les pays voisins, démocraties ou non, l'organisation régionale CEMAC, l'Union africaine et les institutions des Nations Unies.

Les Nations Unies peuvent envisager de confier à la CEMAC, ou à un des Etats voisins, un mandat provisoire pour rétablir la paix civile et le fonctionnement des institutions publiques.

Il y faudra plutôt 20000 soldats que 2000. Plutôt 1000 assistants techniques que 20. Plutôt des gens qui connaissent le pays, que des Français catapultés de nos villages et quartiers. Les conditions du retour de la paix dans un pays, ne sont pas celles d'une distribution de sacs de riz sur le tarmac d'un aéroport.

Mais la vie humaine en Centrafrique nous concerne tous. BHL, au secours !

Notes

[1] Sinon quelques tweets 1, 2, 3