J'ai eu la chance de fréquenter un peu des cercles de pouvoir, ou en tout cas, des cercles eux-mêmes proches du pouvoir. Bon gré mal gré, j'en suis resté trop loin pour m'y brûler — ou pour y faire mon trou. Mais assez près tout de même pour trouver parfaitement sentie la réaction de Jean-Luc Mélenchon[1], entendue vendredi sur France Info :

Non, ce n'est pas une personne qui a failli. C'st un système qui révèle sa pourriture intrinsèque. Ce système a combiné les effets d'une monarchie quinquennale, avec une irresponsabilité se diffusant à tous les étages par la concentration du pouvoir, et le néo-libéralisme, avec les flots d'argent qui circulent de tous côtés, tant et si bien qu'une oligarchie s'est constituée, de tous puissants seigneurs, et de leurs affidés dans le monde politique et médiatique. La chaîne des mensonges commence au Parti socialiste et finit au Front national… on ne peut pas accepter que le peuple français, humilié par ce genre de situations la même semaine où on met en cause ses acquis sociaux à l'Assemblée Nationale, ne s'en mêle pas.

À cette situation, la réponse la plus appropriée me semble être celle du référendum pour une "nuit du 4 août" abolissant ce système de privilèges et d'oligarchie. C'est la proposition de François Bayrou, de plus de 28000 35000 signataires ce jour, rejoints même par le premier secrétaire du Parti socialisteMonsieur le Président de la République, le moment est venu de tenir enfin cette promesse-là, celle-là au moins ne dépend que de vous — ni de l'économie mondiale, ni des patrons français, ni de vos parlementaires, ni même de votre parti.


Sur le fond, Authueil a fait un billet tout à fait remarquable également — quelques extraits :

Soit Hollande et Ayrault savaient, pour Cahuzac, de quoi il en retournait, car (les) services secrets sont justement faits pour ramener ce genre d'information, et on peut alors se demander pourquoi ils n'ont pas agi. Soit ils ne savaient pas, et alors, on peut réellement s’inquiéter sur leur capacité à diriger le pays.

A ce niveau de pouvoir, on est dans la jungle, où le but est de préserver les intérêts de son pays, de préserver sa position, tout simplement parce que si on se laisse bouffer, on devient impuissant et donc inapte à faire le job.

Plus on monte dans les échelons, plus ça marche au rapport de force et à la violence, car quand on enlève le vernis chez l'homme, c'est ça qu'on trouve. Il faut donc placer au pouvoir des personnes qui sont blindées.

Seuls des tarés peuvent y survivre et réussir. Sarkozy avait la carrure pour ça, son grand tort est d'avoir cru possible de ne pas le dissimuler. Le traitement de l'affaire Cahuzac montre, si besoin en était, que la France est dirigée par des amateurs.

Une fois de plus, François Hollande a mal joué, en voulant préserver la chèvre et le chou. Il a en fait perdu sur les deux tableaux.

C'est l'ambiance que le film "L'exercice de l'État" me semblait avoir remarquablement restituée.

Je republie ici mon commentaire[2], qui répond aussi à d'autres intervenants dans la discussion :


Tout à fait d'accord avec le billet, et avec le commentaire de PG #23, et avec celui de François Brutsch.

D'accord avec le billet sauf avec le développement à la gloire de Nicolas Sarkozy et en défaveur de François Hollande. Mettre un binz monstre au sommet de l'Etat et enfoncer la France dans le déficit le plus profond depuis 60 ans (ou plus) n'est pas ce que j'appelle "réussir", or c'est, avec le tapis rouge aux dictateurs les plus sanguinaires, l'essentiel du bilan de Nicolas Sarkozy. Il a "réussi" parce qu'il a été Président ? et alors ? François Hollande aussi.

Bon. François Hollande a apparemment échoué sur toute la ligne dans sa gestion du cas Cahuzac, et son histoire de réforme du CSM n'a fait rire qu'Eva Joly. Mais il est loin d'être sot, et il survit parfaitement depuis plus de 30 ans dans le pire panier de crabes de la République, le PS en l'occurrence. Donc, rien d'un Bisounours.

Alors, pourquoi ne pas s'être débarrassé plus tôt de J. Cahuzac ? La seule explication qui me vient à l'esprit (mais je ne l'ai lue nulle part) c'est qu'il ne l'a pas fait parce qu'il ne pouvait pas le faire. Un point commun entre ministres du Budget (puisque Robert Boulin est cité[3]) est la maîtrise d'un volume élevé de dossiers denses. Jérôme Cahuzac n'avait certainement pas envie de sauter pour l'exemple, sans même avoir été pincé par la justice, seulement pour une conversation qui pouvait passer pour une blague. Je l'imagine mal proposer sa démission ou accepter de se la laisser imposer, sans sortir quelques uppercuts.

Mon hypothèse : c'est à ce moment-là, que, soutenu uniment par la classe politico-médiatique[4], il s'est cru plus fort qu'il ne l'était. Il a oublié que la vérité des faits pourrait finir par le rattraper. Et il a fait le malin, de communiqué de presse en envolée de Palais-Bourbon.

C'est cette spirale-là, d'ivresse et de démesure, qu'il semble regretter aujourd'hui. Mais il ne tardera pas, si ses camarades parlementaires UMP-PS l'enfoncent trop, à se souvenir qu'il existe d'autres comptes exotiques que le sien. Robert Boulin avait passé des heures à faire tourner les photocopieuses, mais le nombre d'exemplaires qu'il a pu en sortir n'a pas suffi à le protéger ; à l'ère numérique, un ancien Ministre du Budget est mieux armé contre les gros bras.

D'accord aussi avec le commentaire de PG #23 parce que, se satisfaire de voir l'Etat gouverné avec des méthodes de parrains mafieux, ça se comprendrait si la France allait bien : emploi, croissance, entente générale et pouvoir d'achat… Mais dans les circonstances actuelles, on peut raisonnablement penser que ces méthodes, si elles protègent les gouvernants, les paralysent en même temps.

La dernière époque où un gouvernement a semblé efficace, ce sont les deux premières années du gouvernement Jospin, et précisément, il avait étonné toute la classe politique par sa façon de traiter ses ministres : en les écoutant, en les réunissant pour réfléchir ensemble et pas seulement pour écouter le chef, en donnant des orientations générales tout en laissant aux ministres une grande marge de liberté dans leur domaine… et ça marchait. Plutôt bien.

Il y a eu des défauts aussi. Ça a accouché des 35 heures payées 39, boulet aux pieds des gouvernements suivants, et ça n'a pas permis de faire face au 11 septembre. Et l'équipe était si usée — et autosatisfaite — qu'elle n'a pas donné envie de voter pour elle le 21 avril 2002. Bref, le participatif, ça marche, mais ça ne dure que si le gouvernant est solidement enraciné, avec un sens profond des réalités et de l'Histoire. Et là, il faut remonter à De Gaulle 1958…

Quant au MoDem, il en a pris plein la gueule, pour sûr, mais il vit toujours, merci !


Quelques autres discussions sur le sujet chez koz, Sylvain Canet, Christophe Ginisty, L'Hérétique.

Et ne manquez pas de relire les notes de cet entretien avec Jérôme Cahuzac, il y a moins d'un an.

Notes

[1] Toute la vidéo mérite d'être entendue ! Elle est remarquable.

[2] Avec quelques corrections de forme.

[3] Robert Boulin a plus précisément été ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé de l'Économie et des Finances ; puis ministre du Travail et de la Participation.

[4] Je me souviens d'avoir entendu Michèle Cotta s'indigner contre Mediapart… sans doute sans citer "l'officine sur internet" dont elle parlait…