"Finance, maths et humanités", c'est le titre de la tribune signée "Christian Walter, Actuaire agréé, Fondation Maison des sciences de l'homme", dans Le Monde daté vendredi 19 septembre.

(...) Les techniques de la finance mathématique s'imposent sans débat public à la société qui en subit les effets de manière parfois violente. (...) Un élément important pour comprendre les crises financières récentes est la nature des modèles mathématiques : la manière selon laquelle les mathématiques de la finance prennent forme dans (et préforment) la réalité sociale. Si les modèles mathématiques sont inadéquats, alors on peut craindre que les corps de normes soient en fait pathogènes, et accentuent les risques financiers bien plus qu'ils ne les encadrent. La question n'est donc pas tant "trop de maths dans la finance" que "quels maths passent dans la finance ?".

Jusque là, je suis entièrement d'accord. Mais la suite de son article semble réduire l'enjeu à une question banale : les modèles financiers feraient de la "moyennisation artificielle", à la façon de "Quételet (1835) qui s'appuyait sur la loi normale de Laplace (1809)", alors que "l'incertitude de l'économie "réelle" rend caduque cette ancienne construction sociale." Donc, "le clivage conceptuel actuel et les impasses auxquelles il conduit relèvent davantage d'une mauvaise quantification de l'incertitude que d'une analyse effective des situations économiques."

Là, je me pince : l'auteur semble ignorer que, depuis plus de 20 ans, les maths financières, celles-là même dont il souligne le développement récent, consacrent l'essentiel de leur énergie à exactement cela, quantifier l'incertitude. Et cela fait très, très longtemps qu'on utilise des lois statistiques bien plus "chahutées" que la loi normale de Laplace, précisément pour (tenter de) rendre compte de "l'incertitude de l'économie "réelle"."

Et on n'y parvient plus, pour des raisons assez profondes. Il me semble en voir trois :

  • pour contourner des réglementations de plus en plus contraignantes, les établissements financiers commercialisent des actifs dont la valeur est difficilement appréhendable, comme les crédits hypothécaires douteux (subprimes) ;
  • surtout, le monde est devenu si petit que les dépendances mutuelles entre valeurs, enlèvent beaucoup de sens à la prévision "indépendante" de chacune (par exemple, si la BTP a un peu trop construit au regard de la démographie, la valeur de l'immobilier baisse, les ménages n'ont plus intérêt à rembourser leurs crédits hypothécaires, et la valeur de ceux-ci s'effondre) ;
  • troisième raison, la plus importante à mon avis : ces modèles sont devenus si sophistiqués qu'ils ne sont plus compréhensibles, je pense, que par quelques dizaines de mathématiciens dans le monde (je parle du coeur des modèles, pas de leur production).

Au final, ce qui me semble être une incompréhension, par l'auteur de la tribune dans Le Monde, de la nature des maths financières actuelles, prouve bien ce qu'il voulait démontrer : comment réguler politiquement une économie qui n'est comprise par aucune partie prenante aux décisions politiques ?


Je parle aussi dans le titre, de la planète. J'ai appris mercredi que seulement 15% environ des Français ont une vague idée de la cause du réchauffement climatique : savent que c'est l'émission de certains gaz qui crée un "effet de serre". Pour la majorité de l'opinion, tout ce qui chauffe réchauffe ; toute consommation d'énergie, quelle que soit le carburant.

(Je trouve une source, très intéressante, qui indique : 10% en 2002, ici : PDF).

Difficulté là encore : comment la délibération démocratique, nationale comme individuelle (les décisions d'achat de chaque ménage) peut-elle lutter efficacement contre l'effet de serre ?

Le cas est moins désespéré : 15%, c'est plus que quelques dizaines de personnes.

Lien court vers ce billet : http://doiop.com/demsf_finance