Bruno Le Maire, actuel ministre de Nicolas Sarkozy, était en 2005 au cabinet du premier ministre Dominique de Villepin, dont le n°2 était Nicolas Sarkozy. Il rapporte dans son excellent livre de souvenirs, "Des hommes d'État", sa surprise quand, fin juillet 2005, François Bayrou a violemment attaqué le gouvernement sur la privatisation des autoroutes. Bruno Le Maire imaginait que, décidée par décret au coeur de l'été, elle passerait en catimini.

Pour François Bayrou, c'était "un scandale" ... "à pleurer". Rien ne pouvait en effet justifier cette décision - toutes les raisons imaginables aboutissaient à la décision inverse, celle de maintenir les autoroutes dans le patrimoine public, en affectant les recettes de péage au financement des nouvelles infrastructures de transport - décision que le gouvernement et le Parlement avaient précisément prise, après un débat passionnant ... quelques mois plus tôt.

J'avais jeté un regard aux chiffres à l'époque. On envisageait (l'interview de François Bayrou le rappelle) de privatiser pour environ 11 milliards : "entre 10 et 12 milliards d'euros" selon le rapport de M. Hervé Mariton, dont le mode de calcul me semblait extrêmement contestable[1].

Le tableau qui suit date, selon mon Mac, du 27 juillet 2005, deux jours après la parution de l'interview de François Bayrou.

valeur_autoroutes_27jul05.jpg

J'arrivais à une valeur actualisée comprise entre 25 et 36 milliards (l'actualisation consiste à calculer la valeur équivalente au jour d'aujourd'hui, si on devait emprunter l'argent correspondant, d'où la référence au coût de la dette = OAT du Trésor, 4% à l'époque.)

Les critiques sur le mode de calcul sont bienvenues. En tous cas, je supposais constants, hors inflation, les prix des péages, constantes également les dépenses de maintenance. Les autoroutes ont finalement été vendues 14,8 milliards. "Ce processus a permis de valoriser dans de très bonnes conditions le patrimoine public", selon les ministres.

Que lit-on dans le Parisien ? Entre autres, que :

  • les dépenses de maintenance ont été brutalement diminuées (le Ministère ne dément apparemment pas),
  • les péages ont été rapidement augmentés, et les engagements des sociétés à cet égard n'ont pas été tenus,
  • les bénéfices se sont envolés.

Ce qui m'obligerait à relever considérablement mes estimations.

On voit la valeur ajoutée de la privatisation. Pour les actionnaires.

Et je n'avais pas imaginé qu'en plus, les actionnaires videraient la caisse des sociétés autoroutières - de 7 milliards (!) cette année pour deux des trois sociétés. Malgré cette razzia, et malgré le crash financier, l'action APRR vaut encore plus aujourd'hui qu'en mai 2005.

C'est dire le pillage qu'a réussi le gouvernement UMP aux dépens du patrimoine public.

Notes

[1] Comme l'indique ce rapport, "la querelle des chiffres" porte essentiellement sur le taux d'actualisation. Dit autrement (il y a plusieurs variantes) : l'État est endetté. S'il ne vend pas les autoroutes, à quel taux pourrait-il emprunter en mettant en gage ses revenus autoroutiers futurs ? Dire que le taux est élevé, qu'il doit incorporer une forte "prime de risque", c'est dire qu'il ne peut pas emprunter grand chose aujourd'hui (les revenus futurs valent peu) ; dire que le taux est bas, c'est dire que le revenu futur est quasi-assuré et que l'État peut emprunter beaucoup sur cette base. M. Mariton propose un taux de "7 à 8%" que je considère phénoménalement élevé, pour des investissements quasi-amortis (voir les colonnes de droite du tableau) et dont la rentabilité, via le trafic, est connue depuis des décennies. Le marché, les actionnaires, les dirirgeants des groupes concernés ont manifestement été de mon avis ... et même le gouvernement de l'époque, puisque Le Parisien cite "un ancien conseiller de Thierry Breton, le ministre des Finances de l’époque", conseiller hélas anonyme : celui-ci reconnaît qu'il s'agissait, à 14,8 milliards soit 4 de plus que dans l'estimation de M. Mariton, de "vendre dans le bas de la fourchette" des valeurs possibles ...