C'est tout un feuilleton, que les estrangers à nos belles villes d'Argenteuil et de Bezons liront avec stupéfaction… s'ils ont le courage d'aller jusqu'au bout.

Vendredi dernier, lors du premier conseil municipal[1], le nouveau Maire a fait distribuer une convocation à un Conseil extraordinaire, qui devait se réunir "d'urgence" dimanche matin, veille du premier conseil communautaire de la nouvelle mandature sur Argenteuil-Bezons, et de l'élection du Président de l'agglomération.

Les "motifs" de cette convocation urgente valent leur pesant de cacahuètes, je me dois de les citer :

Le Conseil Municipal est appelé à se prononcer sur le nombre de conseillers communautaires siégeant à la Communauté d'Agglomération Argenteuil-Bezons avant la tenue de la réunion publique d'installation du Conseil Communautaire dont la date a été fixée par son Président au lundi 7 avril à 19h00.

Vous croyez avoir voté les 23 et 30 mars pour désigner vos conseillers communautaires ? Vous avez pesté contre le bulletin deux fois trop grand pour la petite enveloppe, parce que les noms des listes "communautaires" s'ajoutaient à ceux des listes "municipales" ? Peut-être avez-vous aussi félicité vos amis élus à l'Agglomération ? (non, pas moi ;-) ) ? Après avoir vérifié la présence de leurs noms dans la colonne "Elu(e) au Conseil Communautaire" sur le site du Ministère de l'Intérieur, aux pages Argenteuil et Bezons ?

Eh bien non ! Sur les 48 élus du suffrage universel, la nouvelle équipe municipale d'Argenteuil entendait en priver 24 de leur mandat, 12 à Argenteuil et 12 à Bezons.

Il y a peu de cas dans l'Histoire où un pouvoir ait décidé de changer la liste des élus après l'élection. Je n'ose pas imaginer qu'un autre des 36000 nouveaux Maires de France ait eu la même outrecuidance.

Je me suis d'abord dit : c'est du toupet, mais peut-être est-ce légal ? Peut-être le législateur n'avait-il pas prévu ce toupet-là, et avait-il laissé aux communes le droit de fixer le nombre de sièges même après le vote populaire ? Il y a des choses anti-démocratiques qui sont légales.

J'étais décidé à aller voter contre, au Conseil de dimanche matin, même si la réduction était légale : le respect du suffrage universel doit primer.

Il fallait alors répondre aussi sur les motifs de cette réduction. La nouvelle municipalité souhaitait, par ce passage de 48 à 24, réduire "les charges financières liées aux indemnités des élus"[2]. Économiser sur les indemnités des élus est un motif très légitime, et entièrement conforme à notre "Charte des démocrates". Mais les indemnités n'ont pas grand chose à voir avec le nombre de sièges. Il aurait suffi de diviser par deux le budget d'indemnités ! Les Maires en place à Argenteuil et Bezons sont les mêmes qui avaient fondé l'agglomération la décennie précédente, et avaient fixé les indemnités à 50% seulement du maximum légal (si mon souvenir est bon) : détenant avec leurs équipes 37 sièges sur 48, il leur aurait été facile de revenir à ce niveau. La loi fixe en effet des indemnités maximales, mais aucun minimum. Et à Argenteuil-Bezons, il n'y a guère de kilomètres de transport à rembourser aux élus qui viennent siéger.

En fait, vérification faite, le législateur avait été cohérent : les nombres de sièges des Conseils ne peuvent être définis après que les conseillers aient été élus (!) mais doivent être fixés l'année précédant les élections générales. Donc si Argenteuil décide de réduire ce nombre, cela s'appliquera en 2020.

Il ne pouvait y avoir délibération moins urgente que celle-là : la nouvelle Municipalité avait jusqu'à l'été 2019 pour tenir ce vote !

La convocation "urgente" pour dimanche matin était donc un pur gaspillage de temps (des conseillers comme des agents municipaux) et d'argent (municipal).

Là encore, j'étais décidé à le souligner en votant non seulement "contre" la réduction du nombre de sièges, mais aussi "contre" l'urgence (ce sont deux délibérations séparées).

Mais j'ai appris que la convocation "urgente" était, de plus, irrégulière. Pour différents motifs formels sans doute, mais dont le point commun était d'accélérer les choses pour permettre, justement, ce vote du dimanche matin avant le conseil du lundi. L'irrégularité de forme est inacceptable si elle est destinée à faciliter des décisions illégales sur le fond. J'ai donc partagé le choix de la liste Tous Fiers d'Etre Argenteuillais, consistant à ne pas siéger ce dimanche matin. Et je suis allé à Rueil courir le semi-marathon des Lions.

Et puis, dimanche soir, j'ai été pris d'un doute. J'ai relu attentivement les deux délibérations proposées au vote du matin : bon sang ! aucune des deux ne prétendait que la réduction à 24 serait immédiatement applicable. Bien sûr, le motif donné pour la première délibération prétend qu'il est urgent d'en décider avant la première réunion du Conseil communautaire, mais elle ne dit pas pourquoi. Ça pouvait être urgent juste pour faire joli, pour mettre la pression, pour donner un signal dans le sens des économies… Peut-être, après tout, la nouvelle majorité municipale était-elle plus respectueuse de la loi et du suffrage, que je ne l'avais d'abord cru ? J'ai fait part de cette hypothèse à quelques-uns de mes colistiers, qui m'ont gentiment répondu, en substance, que je travaillais du chapeau, et que mon semi-marathon du dimanche matin m'avait faussé les neurones. Si si, réfléchissez-y, leur dis-je, l'équipe de Georges Mothron ne peut PAS foncer tête baissée dans l'illégalité dès son premier Conseil municipal, il doit bien y avoir autre chose…

Ce lundi soir, c'était le Conseil communautaire, et on allait savoir. Il y avait foule : arrivé un quart d'heure en avance (je ne pouvais pas plus tôt), j'ai trouvé porte barrée, comme mes camarades d'Engagés pour Argenteuil et des dizaines d'autres partisans des différentes équipes.

Je me fie donc à ce qu'on m'a raconté : l'équipe Mothron a bel et bien essayé d'imposer la suppression de 24 mandats. En réponse, le maire de Bezons, Dominique Lesparre, a lu une lettre du Préfet rappelant la loi. L'élection du Président a pu avoir lieu, la majorité de gauche et du centre issue des élections des 23 et 30 mars[3] a réélu Philippe Doucet par 25 voix contre 23 à Georges Mothron, et que s'est-il alors passé ?…

… Georges Mothron a quitté le conseil avec son équipe, et a annoncé que la ville d'Argenteuil sortirait de l'agglomération. Adieu dotations de l'État, adieu partage de l'ex-taxe professionnelle avec Bezons et ses milliers de nouveaux emplois, vive le rapatriement à Argenteuil de plus de 80% des emprunts faits par l'Agglo.

Tentative de coup contre la démocratie suivi d'un sabordage financier, les 72 premières heures du mandat Mothron auront été spectaculaires !

Notes

[1] Dont l'ambiance détestable a été constatée par la presse

[2] Bien sûr, le passage à 24 aurait aussi supprimé la majorité issue des urnes, et permis à M. Mothron d'être élu président, au bénéfice de l'âge, en cas de candidature contre M. Doucet. Mais je n'ose pas imaginer que cela ait pu être son motif. En tout cas, ce n'est pas celui invoqué. Répondons-donc à celui-ci.

[3] Majorité en sièges et en voix : au tour décisif, 18658 voix soit 50,4% au total sur l'agglomération pour les listes Doucet et Lesparre, 17866 voix soit 48,3% pour les listes Mothron et Régis, 497 soit 1,3% pour la liste LO de Michel Campagnac à Bezons.