Le Premier Ministre va annoncer à la Nation, dans quelques jours, la politique que son gouvernement conduirait.

Cette politique devra être imaginative, face à une épidémie qui a tué des dizaines de milliers de nos compatriotes et menace de faire encore dix ou vingt fois plus de victimes. L’impréparation de notre pays à cette épidémie nous a contraints à presque arrêter pendant deux mois la vie sociale, économique, démocratique du pays. L’Éducation nationale, et tous les services publics ou presque, cherchent encore comment se relever de ce choc.

L’expérience de l’épidémie nous a montré comment certaines orientations passées nous ont fourvoyés. Que ces leçons chèrement payées nous inspirent, à l’heure de trouver des chemins nouveaux.

Nous avons fait fausse route en ouvrant toujours plus grandes les portes de la mondialisation. Nous avons fait des flux de commerce un idéal, nous avons encouragé un zonage de la planète, ici « l’usine du monde », là les centres financiers, ailleurs des parcs à touristes… au lieu de laisser à chaque territoire sa diversité et son équilibre.

Nous avons fait fausse route dans la construction européenne. Ce devait être une place commune, où nos peuples allaient se retrouver, échanger et s’entraider. Mais au printemps, chacun a prétendu à son peuple que le virus à redouter était celui du voisin, nous avons fermé nos frontières : quand nous aurions eu besoin d’entraide, elle a disparu.

Nous avons fait fausse route en déplaçant notre souveraineté à Bruxelles et à Francfort. Nous avons hypocritement prétendu que si nous prêtions des milliers de milliards aux banques, notre économie redémarrerait. Tout ce que cela fait, c’est enrichir encore leurs actionnaires et leurs dirigeants : ils gagnaient à la croissance, ils gagnent à la crise ; puisqu’ils gagnent à ne rien faire, le chômage se répand.

Nous avons fait fausse route en traitant la santé comme une industrie. En fermant les services, regroupant les hôpitaux, en laissant les campagnes et les quartiers vides de médecins, en éloignant toujours plus les soignants des personnes qui ont besoin de soin. Pourtant, les Français avaient dit dans le « grand débat » qu’il y avait un domaine pour lequel ils étaient prêt à investir plus de leurs impôts : la santé ! Mais quand l’épidémie est venue, chacun n’avait plus accès qu’à des centraux téléphoniques saturés, ou à des Urgences débordées. Les anciens ont été refusés : dans les EHPAD, sous-équipés et sans médecins permanents, les personnels ou les familles ne pouvaient même plus tenir la main des mourants. Nous avons laissé notre système de santé devenir inhumain.

Nous avons fait fausse route en abandonnant l’État aux technocraties. Nous avions jadis des services publics qui agissaient, au service de chaque territoire, sous l’impulsion du gouvernement et en bonne entente avec les élus locaux. Nous les avons laissé devenir de multiples « agences » qui toutes prétendent « commander et contrôler » le service qui serait rendu par d’autres : trois contrôleurs pour un travailleur, huit barreurs pour un rameur, cent interlocuteurs des lobbies mais personne à qui le citoyen puisse s’adresser.

Nous avons fait fausse route en préférant la communication à la vérité, l’apparence à la réalité. Nous avons mis nos policiers dans les rues en leur interdisant de porter un masque. Nous avons cédé à l’illusion d’un « État stratège » quand nous aurions eu besoin d’agents actifs. Nous avons continué à nous gargariser de phrases creuses, quand nos concitoyens souffraient.

Nous avons fait fausse route en envoyant notre armée sur des « théâtres d’opération » médiatiques alors que nous avions d’elle un besoin vital. L’armée devrait être la force, la capacité de mobilisation, qui nous sauve dans les situations d’urgence qui mettent en péril nos vies et l’intégrité de la Nation. Nous n’avons guère su que la mettre en scène pour les caméras.

Nous avons fait fausse route en empilant, depuis deux décennies, des niveaux parasites successifs de gouvernement local, les métropoles et leurs « territoires », les intercommunalités forcées, immenses au point qu’il faut un hélicoptère pour en faire le tour[1] ; nous avons pu mesurer dans la crise ce qu’elles valaient : zéro. Les maires et les préfets étaient en première ligne, avec leurs services et ceux des départements ; les structures inter-ceci et inter-cela ont montré leur paralysie.

Nous avons fait fausse route en multipliant à l’infini les règlementations et les normes, en prétendant qu’elles protégeraient toujours mieux les personnes fragiles ou la nature. Nous avons jeté les équipements qui n’étaient plus aux normes et laissé les gens sans rien. Nous avons prétendu qu’il valait mieux prendre le train sans masque, qu’avec un masque qui ne serait pas aux normes. Nous avons dit aux entrepreneurs, aux citoyens, non pas de prendre l’initiative et d’agir, mais d’attendre de peur de faire des choses qui ne soient pas aux normes… Le virus n’attendait pas que les normes sortent.

Nous avons fait fausse route en confinant l’écologie dans le chœur d’une religion planétaire : beaux discours et cantiques, avec rien derrière. Nous avons prétendu vouloir restaurer la planète, lancer une transition générale, mais le premier secteur que nous avons arrosé de dizaines de milliards, c’est celui qui a transporté la pandémie et qui contribue massivement au bouleversement du climat : le transport aérien. Et le kérosène reste défiscalisé, deux ans après les débuts de la protestation des Gilets Jaunes. L’écologie véritable naît, dans chaque territoire, quand il est géré en bien commun par les femmes et les hommes qui l’aiment tellement qu’ils ont choisi d’y vivre[2].

Nous avons fait fausse route en destinant nos politiques nationales à quelques grands groupes mondialisés et quelques banques, financeurs de notre vie politique nationale et de ses médias, employeurs occasionnels de notre personnel politique entre deux mandats. Nous ignorons les « cochons de payants » que sont les millions d’agriculteurs, artisans, travailleurs … dont notre pays a tellement besoin qu’ils n’ont pas arrêté de travailler un seul jour.

En abandonnant les fausses routes d’hier, nous libérerons notre imagination, notre capacité de création, nous nous montrerons capables de rebâtir une société plus fraternelle, plus résistante aux menaces, plus équilibrée, plus heureuse.

Notes

[1] Jean Lassalle

[2] Le même