L’Hérétique a consacré un billet au programme du MoDem pour “les banlieues”, axé sur l’idée que “le renouveau des banlieues proviendra de l’essor économique de ces quartiers”.

Les sens multiples du mot “banlieue” floutent le débat : Versailles, banlieue ? La gare du Nord, en banlieue ? Nemours, hors agglomération parisienne, est-elle concernée par ce qui est dit des banlieues ?

Prenons les banlieues en un sens approximativement étymologique : des espaces dépendants de villes plus importantes, et où habitent des gens qui n’ont pas les moyens (héritages, revenus…) de s’installer dans l’espace central.

Vu sous cet angle, l’idée d’essor économique “des quartiers” semble un peu décalée. Avec ce critère, nombre de quartiers résidentiels chics seraient voués à la misère. Mais le problème est bien la pauvreté collective, le manque global de ressources, des habitants d’un quartier.

J’arrive trop tard pour le programme d’Arras, n’ayant pas consacré une minute à participer aux commissions qui y ont travaillé. Mais mieux vaut tard que jamais : ce billet de l’Hérétique m’a incité à esquisser quelques priorités pour “les banlieues”.

D’abord l’égalité fiscale entre territoires, pour que les ressources des communes pour rendre les services publics qu’elles doivent, dépendent essentiellement de leur nombre d’habitants, et non pas de la richesse de ceux-ci. On multiplie depuis des décennies les rustines - péréquations, dotations complémentaires, communautés d’agglomération - qui sur le fond laissent le scandale intact : les moyens dont dispose l’école maternelle où va un p’tiot, dépendent non de ses besoins ni de ses mérites (!), mais de la richesse des habitants de sa commune et des implantations d’entreprises sur le territoire. Il faudrait… l’inverse.

Cela demande un changement dans les têtes des décideurs politiques. Il faut cesser d’opposer, rituellement droite/gauche, le développement économique (La Défense…) et le développement social. Il faut comprendre enfin que l’actif économique de l’Ile-de-France, c’est son équilibre social, culturel, paysager, et que les fractures dans cet équilibre (les émeutes médiatisées) sont la principale menace contre son développement économique.

Passons à une politique de développement équilibré de tous les territoires, pour éviter que la pauvreté ne doive s’entasser dans des zones de relégation.

  • Des commerces mieux répartis (grâce à la taxe carbone ?).
  • L’obligation de mixité dans tous les programmes immobiliers de plus de 20 ou 25 logements.
  • La préférence à la rénovation plutôt qu’à la démolition, quand c’est plus économique et que les habitants le souhaitent également (même dans ces conditions, l’ANRU privilégiait les démolitions).
  • Le calcul et le suivi budgétaire, publié en ligne, des moyens attribués par chaque service public (police, Education nationale, etc) à chaque territoire[1].

Un développement équilibré des territoires n’a de chances de se réaliser que si la représentation des habitants est elle-même équilibrée. Quand le débat se fait entre gens des beaux quartiers, attendez-vous à ce que les beaux quartiers soient les mieux servis - et à ce que de modestes travaux de rénovation dans des gares de banlieues puissent s’étirer sur des années et des années (bientôt 5 ans pour la mienne). Je souhaiterais des modes de scrutin qui permettent une bonne représentation des différents territoires et des différents groupes sociaux, à l’échelle municipale comme à celles des futurs Conseils territoriaux.

Pour conclure, un sujet qui me tient à coeur : nous avons besoin, dans nos écoles et nos collèges, de chefs d’établissement soutenus par leur hiérarchie pour porter plainte à la première infraction pénale (et appuyés par une police elle aussi décidée à enquêter à la première infraction, au lieu d’inciter les plaignants à se contenter de “mains courantes”). Nous avons besoin de surveillants formés, en nombre suffisant, et d’enseignants eux aussi formés à tenir leurs classes et obtenir la discipline et le travail. Parce que si les collèges ne sont pas solidement tenus, si les élèves en difficulté ne sont pas immédiatement accompagnés, tous les milliards du monde ne feront pas venir des “familles de cadres” en “banlieues”. Je doute que l’insécurité soit plus grande dans ma banlieue qu’à Neuilly-sur-Seine[2]. Je suis certain en revanche, que la sécurité s’apprend à l’école.

Sur un sujet voisin : “Nos territoires : Esquisse de contre-propositions au comité Balladur”, 22 février 2009.

Notes

[1] Les services publics sont généralement déjà implantés dans les “cités”, contrairement à un cliché répandu. Ce qui leur manque, c’est d’avoir autant de moyens que dans les quartiers riches. Comparez une gare d’Aulnay à une gare de Versailles, un bureau de poste d’Argenteuil à un bureau de poste du VIIème, la rampe autoroutière la plus proche de chez moi à un ouvrage équivalent dans les Yvelines… On voit où sont les contribuables influents qui pourront obtenir des directions nationales un service de qualité.

[2] j’aimerais bien avoir la carte des fréquences en euros cambriolés par habitant, ou en agressions physiques de voie publique par passant ? Je doute que beaucoup de banlieues soient des points chauds. En tout cas, je ne crois jamais m’être senti physiquement menacé, dans ma banlieue. Ce qui est vrai, c’est qu’un espace public dégradé (friches, ruines, bâtiments publics mal entretenus, nids-de-poule, faible éclairage public, immeubles HLM en survie…) et des sous-effectifs chroniques de police nationale donnent au visiteur l’impression qu’il ne se sentirait pas à l’aise, pas tranquille s’il venait habiter là. Le tout se fige en effet de réputation. Mes filles revenant de l’école me demandent pourquoi on leur dit que “Argenteuil, ça craint”. Papa, pourquoi ça craint ? Ben, parce qu’il y a des gens qui craignent, dans leur tête…