J'étais intervenu le 22 mars 2007 au débat organisé par EGENI sur "les politiques et internet", débat où je représentais le candidat François Bayrou face à Martine Billard qui était à l'époque aux Verts et que j'ai trouvée assez juste, Jérôme Relinger du PCF, qui semblait bien connaître ce dont il parlait, ainsi que Vincent Feltesse du PS et Eric Walter de l'UMP.
J'avais prévu d'en rendre compte sur ce blog mais pfuit … Le livret orange et la critique acérée qu'en fait Fabrice Epelboin m'incitent à ressortir de mes cartons mon intervention de l'époque[1].
Neutralité (du réseau) et concurrence
L’une des particularités de l'architecture d'internet est ... l’indépendance des différentes « couches » qui constituent le réseau : transport (infrastructures physiques), applications (couche logique), informations échangées (couche des contenus).
Pour la première fois lors du SMSI, les vingt-cinq pays de l’Union européenne ont souhaité défendre explicitement auprès des Nations unies les trois principes fondamentaux de l’architecture de l’Internet que sont l’interopérabilité, l’ouverture et le principe du end to end[2].
La Commissaire Viviane Reding a souhaité imposer aux opérateurs européens de télécoms la séparation entre les infrastructures et les services (aussi nommée « séparation structurale »), afin de stimuler la compétition à l’ensemble des secteurs (ou sur chacune des couches) de l’Internet.
L'économie nouvelle crée naturellement des monopoles de toute sorte. La sauvegarde des intérêts du citoyen (consommateur, usager) demande que ces monopoles se démonétisent le plus vite possible par l'innovation technique.
La vivacité de la concurrence demande la gestion des infrastructures, ou des protocoles, comme bien commun.
L’interopérabilité des logiciels mais aussi des formats de fichiers constitue un enjeu crucial pour l’ensemble des acteurs de l’Internet.
L' évolution (inverse) vers la « convergence verticale » des réseaux consacrerait le passage d’une architecture d’échange à une architecture de diffusion. Cela pourrait conduire d’une part à remettre en cause certains types d’applications et donc certains usages du réseau, (et) conduirait à une « télévisualisation » ou « broadcastisation » de l’Internet[3].
François Bayrou considère l'émergence de wikipedia comme un événement très important dans l'histoire : c'est la plus grande encyclopédie que l'humanité ait jamais connue, et elle s'est faite par une démarche de coopération ouverte - à l'inverse de la gestion de projet traditionnelle.
C'est pour cette vision du web que François Bayrou s'est battu, à l'Assemblée nationale : d'une part pour les logiciels libres et l'interopérabilité, d'autre part, pour que puisse être sauvegardé l'accès direct, non marchand, à un certain nombre de ressources mobilisables sur internet.
Il me semble que pour François Bayrou, nous sommes face à deux évidences en conflit ; la première : un auteur, comme tout le monde a besoin de vendre son travail pour vivre ; la seconde = internet permet d'accéder à coût nul à toute ressource numérique si elle y a été mise à disposition par quelqu'un (légalement ou non).
François Bayrou voit dans la coexistence de deux modèles et types de technologies, verrouillées d'une part, ouvertes d'autre part, quelque chose de très fertile pour l'avenir.
Égal accès au haut débit
Un égal accès au haut débit est nécessaire dans la vie quotidienne. L'accès à internet doit être considéré comme un droit. (j'avais déjà eu l'occasion de défendre ce points de vue aux Voeux de l'internet quelques mois plus tôt).
Démocratie dans la gouvernance du réseau
Je me rappelle l'élection de 2000 pour le "Membership At Large" de l'ICANN ; je faisais partie à l'époque d'un groupe à vocation politique (temPS réels). Si mon souvenir est bon, j'avais voté lors d'une 1ère étape ; lors de la deuxième étape, ce groupe avait appelé à voter pour tel candidat "parce qu'il était français", et là je me suis dit que quelque chose coinçait. Il y avait d'ailleurs plus d'internautes allemands mobilisés, et c'est le candidat allemand qui avait été élu.
Cela me rappelle la bonne vieille doctrine démocrate : l'individu n'est (ni) seul au monde..., (ni) face-à-face à un Etat unique recours .... Il s'inscrit dans des appartenances diverses, (ces) "corps intermédiaires" ... qu'on appelle aussi la "société civile organisée". François Bayrou n'aime guère le terme de civile, qui renvoie à "militaire", alors gardons "société organisée".
- Organisée : c'est le choix actuel de l'ICANN : "donner un plus grand poids non pas à des personnes prises individuellement mais à des groupements représentatifs des utilisateurs".
- Société : c'est le plus important. Les usages, donc les intérêts individuels, évoluent bien plus vite que les structures formelles, juridiquement organisées, ne peuvent suivre. Le débat sur la loi DADVSI en a été un bon exemple : les députés étaient si peu représentatifs des utilisateurs de musique en ligne, que des sociétés privées leur ont fait distribuer des cartes prépayées pour les y initier.
Bien sûr, on retrouve dans l'univers d'internet ce qu'on l'on observe sur les autres sujets : la société organisée, cela veut dire aussi les lobbies, les clans plus ou moins méritocratiques, la tentation permanente de fermer la porte au public pour pouvoir travailler de façon efficace, donc un risque d'opacité.
Il y a, pour la démocratie participative comme pour la démocratie représentative, le besoin de règles de transparence, d'une éthique collective, c'est-à-dire de formes de constitutionnalisation.
Dans cette optique, le principe des coalitions dynamiques (apporte une) sifférence intéressante par rapport à la notion de "groupes de travail thématiques"... Des éléments de la société organisée s'y regroupent en fonction d'enjeux et de buts, qui se combinent donc avec leurs statuts et mandats propres.
Autre motif de satisfaction pour un militant démocrate : les finalités poursuivies par ces coalitions rejoignent très précisément, au moins pour une grande partie d'entre elles, nos propres finalités politiques : droits du citoyen et vie privée, interopérabilité et standards ouverts, liberté d'expression et protection contre le spam, égal accès à internet pour tous.
Protéger les droits du citoyen quand "lui" est connecté
Sur InternetActu, on pouvait lire il y a quelques semaines (janvier 2007) ces déclarations d'un dangereux activiste :
"Le capital de notre identité et de notre vie privée est chaque jour menacé. Comme le capital environnemental de l’humanité, il risque d’être si gravement atteint qu’il ne puisse être renouvelé. (La combinaison des actions, des fichiers, des systèmes des uns et des autres peut) aboutir à des situations échappant à notre contrôle. Et le risque serait qu’un jour, notre civilisation soit totalement engluée."
Il s'agit du sénateur Alex Türk, président de la CNIL. Il reconnaît d'une part, un problème d'organisation administrative et de responsabilité politique, mais d'autre part il s'interroge sur la mobilisation citoyenne :
"Nos concitoyens se préoccupent-ils de la traçabilité et de la surveillance potentielle de leurs déplacements, de leurs comportements, de leurs relations ? Ils devraient refuser de transiger sur leurs droits à la protection des données comme ils refuseraient de le faire pour la liberté de réunion ou la liberté de la presse."
Quand (j'entends) "les politiques devraient se saisir de ces sujets", "l'administration de contrôle devrait étendre ses pouvoirs", je pense à ce que dit François Bayrou du rôle de l'Etat : "l’État ne peut pas, en un monde en mouvement rapide et général, trouver les réponses à la place de la société. La création, l’invention, l’ouverture de voies nouvelles, nécessitent une société de l’autonomie."
Promouvoir les droits démocratiques
Certains pays comme la Chine ont déjà mis en œuvre des systèmes qui s’opposent au principe de neutralité. Ce fut le cas avec la tentative de mise en place d’un protocole IPv9 incompatible avec le reste de l’Internet mais surtout avec la création d’une racine « alternative » au DNS pour les noms de domaines internationaux chinois. Les sites créés sous cette racine ne sont en effet pas consultables par les usagers de l’Internet en dehors de la Chine[4].
C'est tout récemment (mars 2007) que je me suis senti, pour la première fois, directement concerné, en testant mon blog sur greatwallofchina : selon ce test, il n'est pas accessible de Chine.
Vous aurez l'intégrale de mes interventions "officielles" sur ce sujet en y ajoutant les Voeux de l'Internet et les Entretiens des civilisations numériques : 1) Comment la société régulera-t-elle la technique ? 2) Comment les technologies de réseau changent-elles la politique ?
Notes
[1] J'avais fait 8 pages de notes pas tout à fait d'équerre, j'en fais une sélection subjective dont je ne peux garantir qu'elle correspond aux sujets que j'avais mis en avant lors du débat. Je ne peux pas toujours distinguer dans mes notes ce qui était de moi, d'autres auteurs MoDem, ou copié-collé d'autres sources
[2] Cette phrase est de Bernard Benhamou (PDF)
[3] Même source : Bernard Benhamou
[4] Ce paragraphe : Bernard Benhamou et Laurent Sorbier - PDF.
C'était beaucoup moins savant qu'ici, mais j'avais moi aussi abordé rapidement ce sujet lors d'un colloque de l'UDF en 2006 : http://www.cedric-augustin.eu/index...
Il me semblait que la nationalisation des tuyaux était une piste à explorer. Aujourd'hui c'est trop tard, mais la séparation est effectivement indispensable, pour tendre à terme vers un réel cloisonnement entre tuyaux et service, garante de la liberté des citoyens : liberté de choisir les services, liberté face aux pression ou la censure...
Lorsque j'étais en chine l'année dernière, j'ai vu à l'oeuvre la censure de l'internet : sur des critères inconnus, certains domaines ou IP sont impossibles à joindre. C'est assez flippant la première fois que l'on en prend conscience, car même en le sachant avant de partir, on y croit pas complètement, jusqu'à ce que le navigateur reste bloqué.
Même sensation flippante (Shanghaï 2009…)
Merci pour ton billet en lien (il n'est plus commentable alors je le dis ici). Très intéressant, merci, et bien qu'il date de 2006 il a moins vieilli !
La critique acérée (qui n'est pas du tout limité au Modem, tu admettra) concerne un point précis que tu noie habillement sous une tonne de technologies : POUR ou CONTRE la peine de mort...pardon, le filtrage.
La position du Modem est très claire : oui mais. On se croirait aux Guignols, c'est mou.
Soit on est pour, soit on est contre, les deux ont des conséquences lourde (pédophiles ou pas, plus là dessus dans quelques jours), mais la position en ce qui concerne le Modem, l'UMP, le PS et le Nouveau Centre est la même, à l'exception du recours ou non à un juge que le conseil constitutionnel imposera de toutes façon.
Bonjour Fabrice et merci de t'être rendu ici. Le présent billet ne constitue pas une volonté de noyer quoi que ce soit ... ce sont des notes de 2007 que ton billet m'a incité à publier comme je m'y étais engagé... et ne l'avais pas fait.
J'en profite pour donner mon avis personnel sur le sujet (merci !)
1) Le filtrage n'est PAS une peine de mort. Il n'y a pas là de chaise électrique ni de balle. Une telle comparaison est-elle le meilleur argument ?
Nous utilisons tous des réseaux non neutres et filtrés : la Poste, les avions, les rayons des librairies, les serveurs de données des opérateurs mobiles. Nous n'en mourons pas.
La neutralité du réseau internet EST une valeur ; ce n'est pas, à mon avis du moins, une valeur absolue. La protection des personnes contre des usages dangereux du réseau (terrorisme p.ex.) est une valeur également, et peut s'opposer à la précédente.
Peut-être que nous sommes au Centre, eh bien c'est notre marque de fabrique d'être à l'écoute de différentes raisons et intérêts qui peuvent être en conflit. C'est facile "d'adopter tels quels des catalogues de revendications", comme les Verts le font très fréquemment, quand on se contente d'écouter un son de cloche et un côté des choses.
2) La conjugaison "neutralité du réseau + principe end to end" conduit à préconiser que la police des communications (et la censure éventuelle quand elle est légitime, ce qui peut exister) se fasse aux deux bouts et non dans l'acheminement. C'est à dire, s'en prendre à l'éditeur et au lecteur/consommateur s'il le faut, plutôt qu'à l'opérateur télécoms / au FAI.
C'est ainsi que je comprends la position du MoDem et (comprise comme cela en tout cas !) elle me convient parfaitement.
C'est tout l'art d'un texte politique qui dit tout et son contraire, mais non, imagine juste un instant que tu ne soit pas au Modem, tu verra que la position du Modem est molle et ne prend parti sur rien. Il n'y a nulle part dans le livre blanc de dénonciation claire sur filtrage au niveau des réseaux.
Un tag démocratique ?
http://lescriptorium.wordpress.com/...
@ Fabrice : c'est le devoir d'un projet politique responsable que de prendre en compte des préoccupations légitimes qui peuvent sembler contradictoires.
C'est le mérite de ceux qui l'écrivent, discutent, amendent, votent, que d'arriver pourtant à être clairs et simples. Sur ce chapitre, je crois qu'on aurait pu faire un peu mieux. Et effectivement, dire le mal que nous pensons de la censure (ou filtrage) plus fortement que par la phrase "Le concept de neutralité du réseau doit être reconnu comme un pré-requis indispensable au développement des technologies et au maintien de la liberté d’expression."
Mais je n'en ferai le reproche à personne, n'ayant pas moi-même trouvé le temps de contribuer au projet (à la première page près). Donc je me contente de noter que le projet, tel qu'il est écrit, est compatible avec mes propres opinions et propositions.
@ Thierry P. : merci ; voilà.