J'étais lundi soir à la conférence de Jean Peyrelevade "La crise : comment en sortir ?" à Eaubonne. C'était très riche. Très sérieux, et en même temps ça ouvrait plein de portes, de fenêtres, ça donnait envie d'inventer l'avenir. Vous voulez vérifier ? C'est sur France démocrate que j'ai essayé de synthétiser en deux pages ces 90 minutes.
Je voudrais y ajouter, ici, ma propre écoute de ces propos.
Si je comprends bien Jean Peyrelevade, le fonctionnement collectif des acteurs économiques qui produit le krach, c'est une communication instantanée et mondialisée entre eux, accompagnée d'une absence de connaissance des réalités.
Celui qui prend une décision (d'investir, de prêter, de réguler de telle ou telle façon) le fait sans savoir ce qui se passe sur Terre. Il agit uniquement en fonction des messages qui circulent et s'amplifient, en miroir, entre acteurs "du marché".
Peut-être pourrait-on aller un peu plus loin : c'est l'instantanéité de la communication entre acteurs, entre puissants, qui rend inapte à écouter la réalité.
"Le marché", c'est une communication unique, en écho instantanée, qui produit une pensée unique, sans lien avec une réalité qui soit extérieure "au marché".
En fait, pour désigner ce qui se passe sur Terre, les financiers ont un mot étrange : les sous-jacents. Un monde souterrain, nécessairement caché, terrible peut-être comme l'imaginait Lovecraft.
Le chemin d'une nouvelle croissance est donc clair comme en plein jour : c'est permettre à la connaissance de l'emporter sur la communication.
On peut le voir à l'échelle d'un décideur économique individuel : la nouvelle croissance, c'est fonder les projets d'investissement sur une prospective de long terme solide, plus que sur les charts boursiers à trois ou quatre minutes. En fait, je me répète, j'avais fait un billet là-dessus en décembre, "Investissez dans ce que vous connaissez".
On peut le voir à l'échelle politique, celle du régulateur. Il a une double mission.
Freiner les flux de communication. Juste des exemples, chacun à discuter :
C'est l'esprit de la taxe Tobin. C'est la fermeture de notre pays aux transactions avec les paradis fiscaux ou les Etats pratiquant le secret bancaire. C'est l'interdiction de transactions financières de gré à gré hors des Bourses sous surveillance. C'est sans doute imposer des délais, genre une journée (le temps que même les dormeurs soient au courant des mêmes nouvelles), pour la prise en compte, par ces Bourses, d'ordres de transaction. C'est diminuer la quantité de monnaie - c'est-à-dire imposer aux banques d'avoir assez de fonds propres pour garantir le risque de défaut sur leurs crédits (15% ? au lieu d'environ 4% aujourd'hui). Ce qui impliquera une déflation considérable de la valeur des actifs. Ils seront ramenés à une valeur correspondant à leur rendement dans le monde réel. Qui s'en plaindra ?
Accroître le stock de connaissance.
Former les étudiants et recycler les cadres à l'économie réelle, celle de la combinaison stock de ressources naturelles/temps de conception, et les désintoxiquer de la combinaison travail/capital. Faire payer l'effet de serre dès que sort du puits ou de la mine, le carbone fossile extrait - et ainsi savoir combien on en extrait. Vendre des produits financiers assis sur des petites quantités d'actifs vérifiables, à la façon de l'épargne zébu.
Dans la profession des études marketing, l'évolution depuis 20 ans me désole - je sais, ça fait vieux con. Il y a 20 ans, les acheteurs d'enquêtes et de sondage voulaient connaître les attentes de leur marché, la perception de leur communication, les potentiels de vente de leurs futurs produits. Leur adversaire était l'ignorance.
Aujourd'hui, ils veulent remplir des gros "systèmes d'information marketing" mondiaux avec des chiffres qui n'aient pas l'air de faire de bugs et qui n'aient pas l'air de contredire les stratégies marketing décidées et déployées à l'échelle monde par la Direction générale. Leur adversaire est la difficulté de transmission.
Or la connaissance est toujours difficile à transmettre. Elle ne rentre jamais dans les stratégies décidées à l'avance.
Regardez au sommet de l'État. Y donne-t-on l'impression de connaître, ou de communiquer ?
Investiriez-vous un centime dans une entreprise dirigée par ces gens-là ?
(Ajout 20h33 : à peine je terminais ce billet que mon camarade Bernard Euverte entre dans le restaurant. Et nous demande si on a été voir son site. Oups, pas encore, mais il y a le wifi. Alors, conseil gratuit, faites ce qu'il vient de faire sur mon mac : téléchargez le widget Firefox de "La transparence des prix". C'est gratuit : vous investissez zéro euro dans de la connaissance. C'est expliqué là - avec musique, attention au bureau. Et Bernard le présente ici chez Jean-Michel Billault).
PS - Très beau contre-exemple au passage. Le maire PS d'Argenteuil Philippe Doucet vient de diffuser dans nos boîtes un 4 pages expliquant que, contrairement à ses engagements de campagne, il va augmenter les impôts. Motif : il ne pouvait pas savoir que le maire UMP précédent Georges Mothron laisserait une situation financière aussi catastrophique, masquée par des budgets insincères.
Et bien ça, c'est de la comm' sans connaissance. Car il y a un an, notre liste MoDem aux mêmes municipales avait consacré à cette situation financière, effectivement catastrophique et effectivement masquée, toute l'attention nécessaire. Nos concurrents ont été parfaitement informés par nos tracts ! Les promesses de Philippe Doucet étaient intenables et il avait tous les moyens de le savoir.
Je ne peux que conseiller à mes concitoyens d'investir sur plus fiable que ces deux duettistes en insincérité.
Je tends à être d'accord avec lui sur le défaut de connaissance, même si nos opinions divergent quant à "quelle" connaissance.
En quoi utiliser "l'épargne Zébu" pourrait être une démarche positive ?! Je ne comprends pas, Frédéric, je l'avoue.
@ Françoise Boulanger : c'est bien sûr une image et non un modèle généralisable tel quel. Mais j'admire beaucoup l'idée simple des créateurs de l'épargne zébu (il y a quelques années déjà) : "votre PEZ (plan épargne zébu), ... a la couleur concrète d'une vache meuglant ...". Inviter à investir dans quelque chose de très concret, un animal dont on reste propriétaire - plutôt que dans des fonds anonymes. C'est la mondialisation à échelle humaine. Voir aussi le vieux billet des Econoclastes "créer les marchés qui n'existent pas" et mon commentaire : http://demsf.free.fr/C1653045422/E2...
En fait cette idée pouvait s'adapter à l'intérieur d'un pays "pauvre" mais le danger serait de croire que l'on peut actuellement, depuis chez nous, pays "riche" (allez on va dire pays "bourgeois"), encore investir là-bas sur un animal de trait ou un... humain "pauvre",
comme on investirait sur un parc d'éoliennes, un cheval de course, un "riche" chanteur ou un footballeur encore plus "riche" chez nous...
Tu vois ce que je veux dire ?
C'est ce côté quelque peu colonialiste qui m'avait interrogée dans l'exemple. (Je pensais à ces gens qui "ont leurs" pauvres pour se donner bonne conscience mais qui ne les aident pas véritablement.)
Toute création d'investissement concret de ce style est bonne tant que l'on respecte la dignité des personnes.
Il y a bien des gens qui achètent en viager...
Très intéressant cette information sur ce concept des "sous-jacents".
On savait déjà combien les marchés évoluaient vite dans un sens et dans l'autre (la "réactivité" comme ils disent) sur des informations (publications) mais aussi des rumeurs... (pourquoi ne pas dire des ragots, à l'image de la peoplisation du monde politique).
On savait que le XXIème siècle serait le siècle de l'information (et de la rapidité - quasi instantanée - de sa diffusion, permise par internet, essentiellement), mais on ne se doutait pas quels effets terribles cela pourrait avoir.
Je ne crois pas qu'on pourra freiner (et imposer de le faire) cette vitesse d'échange des informations, qu'elles soient infos ou intox, bons tuyaux ou tuyaux percés.
Mais il y a probablement, comme vous le dîtes (et comme le dit Peyrelevade), d'autres moyens de contrôle des banques.
Il est clair par contre que la perversion de la communication par des stratégies voulues (propagande) et la main mise croissante sur les médias qui veut tendre (volonté idéologique inavouée) à un espèce de monopole de médias contrôlés, a pour but d'amener notre société à une société comme a été celle de l'Allemagne nazie ou de l'Italie mussolinienne. Dans ces sociétés, on arrivait à isoler totalement les citoyens de la réalité collective et extérieure, mais également les dirigeants-dictateurs mégalomanes qui finissaient d'être convaincus du bien fondé de leurs actions (on appelle cela l'aliénation sociale)
Suivez mon regard. Ce danger-là aussi nous guette.
@ lacomba : d'accord avec vous pour dire qu'on ne peut guère freiner l'information ; en revanche on peut freiner les flux de communication (comme on limite la vitesse sur autoroute), en particulier les flux de communication monétaires.
D'accord avec vous aussi sur le fait que les méthodes de manipulation de l'information n'ont pas tant évolué. Des décennies après l'avoir écrit, Jean-Marie Domenach nous recommandait encore son Que Sais-Je sur "La Propagande" ; je peux bien le re-recommander un quart de siècle plus tard.
En revanche je n'en ferais pas une question de personne. Je crois que l'occasion (de contrôler et manipuler les médias) fait le larron ; pour moi le travail essentiel des démocrates est de supprimer, autant que faire se peut, ces occasions. De changer, pour la rendre moins dangereuse, la règle du jeu politique, économique, etc. Et on peut espérer que cela attirera des joueurs moins dangereux aussi !