Laurent de Boissieu publie un nouveau billet, fort didactique, intitulé "Foire aux questions sur le centre". Principalement destiné, écrit-il, à un nouveau-centriste, alors que l'auteur qualifie le NC de parti de droite.
Mais j'ai lu cet article et je me sens en désaccord avec lui.
La raison est celle que Laurent donne lui même dans un commentaire : il appelle "centre" un positionnement sur l'échiquier politique, alors que "centre" désigne aussi une tradition politique et idéologique précise.
Ce double sens a déjà été discuté sur plusieurs de ses billets, et ici même. Pour moi, le centre a pu être allié à la gauche anticommuniste (aux législatives de 1973) sans être "à gauche", et à la candidature de Valéry Giscard d'Estaing en 1974 sans être "à droite". Simplement parce que les mêmes objectifs, les mêmes valeurs, impliquaient, dans des situations politiques différentes, des alliances différentes.
Ce serait plus simple à comprendre, si on appelait "centre", avec Laurent, une position sur l'échiquier, et "démocrate" les idées de la famille politique dont je fais partie. Malgré nos nombreuses tentatives depuis 1966, le mot "démocrate" ne prend pas dans le vocabulaire et l'opinion publique, alors nous nous rabattons sur "centre", mais c'est ambigu.
Laurent de Boissieu appelle centre, si je comprends bien, la position d'un groupe politique qui n'appartient ni à la majorité (qui a toujours été de gauche ou de droite, sauf peut-être en 45-46 et en 58-62), ni au principal bloc d'opposition (qui a toujours lui aussi été de gauche ou de droite), mais se tient attentif aux propositions de ces deux blocs et prêt à les approuver le cas échéant (sans quoi, le FN tombe dans la définition, les anarchistes et LO aussi, etc.).
C'est compliqué, comme définition ?
Justement, elle ne me convient guère ; ou plus exactement, elle n'a un sens que très ponctuellement, par rapport à l'état de la majorité, et du principal bloc d'opposition, au même instant. Il est donc bien difficile de trouver une continuité historique !
Si on considérait l'héritage politique du centre actuel, il remonte bien avant 1893 ; ne dit-on pas fréquemment, en sciences po, que - comme les libéraux - nous sommes "girondins" ? Ceci dit je veux bien retenir la fondation du Sillon en 1894 comme une date-clé[1]. Ça fait tout de même 116 ans de continuité.
Alors effectivement, par rapport à l'état actuel de la gauche et de la droite, je suis au centre. Mais j'ai voté Barre en 1988, sans me considérer à droite, et Jospin en 1995, sans me considérer à gauche. J'ai souvent voté pour des candidats écologistes, mais jamais appartenu à leurs partis, ni approuvé leur ralliement systématique[2] à la gauche.
Je n'ai pas bougé en termes de "positionnement sur l'échiquier politique" depuis au moins ces 25 ans. OK, l'échiquier a bougé[3]. Mais je tiens plus à mes convictions qu'à l'échiquier. C'est pour ça que je suis "entré en politique". Et en écoutant la salle du congrès du MoDem, j'ai l'impression que cette façon de concevoir la politique y est largement majoritaire !
Notes
[1] Si Laurent de Boissieu n'y fait pas référence, alors qu'il cite les libéraux de 1893, c'est sans doute que le Sillon était un mouvement civique et non un parti parlementaire ; ce n'étaient d'aileurs pas des libéraux, mais des démocrates-chrétiens
[3] Faut-il le rappeler ? Le centre était allié avec la droite par rejet du modèle de société soviétique, que défendait en France le PCF. La chute du mur de Berlin et de l'URSS a mis fin à ce danger et… aurait dû permettre à la gauche française de changer de bases idéologiques.
Moi qui me sens également "au centre" sans pour autant avoir inscrit cette sensibilité dans une appartenance, je ne suis pas certain finalement de comprendre ce qui forge l'identité des partis du centre en général, et du Modem en particulier.
Le célèbre "Vous n'avez pas le monopole du coeur" de VGE à François Miterrand en 1974, montre assez bien que des valeurs ne peuvent suffire à définir un parti car nul ne peut revendiquer la propriété de valeurs morales ou philosophiques.
Peut-être qu'au fond la définition de ces partis pourrait tenir dans une "méthode" de gouvernement, non plus axé sur des convictions ancrées (le libéralisme, l'état providence, telle ou telle fiscalité,...) mais plutôt sur un processus d'élaboration d'une politique, décidé non plus ex abrupto mais au travers de certains formes de concertations. Si j'osais, je dirais (d'ailleurs j'ose) qu'il s'agit d'un parti-pris pour une politique "dynamique" plutôt que par des fondamentaux statiques.
Faute en tout cas de pouvoir éclaircir ce point, les partis du centre sont réduits à être des partis de personnes (mais les autres ne le sont pas tellement moins) avec les conséquences que l'on sait à la moindre déclaration des ténors; or tout indique que la personnalité de ces partis sont justement d'être plus que les autres à l'opposé d'une personnification.
Bonjour Laurent et merci pour ce témoignage. Le centre est plutôt un carrefour qu'un clan, un centre-ville qu'un château fort ! Pour cette raison beaucoup de gens ont du mal à en voir les contours (et moi-même jusqu'en 2001 !). Et y voient, comme tu le dis, des partis de personnes, alors que la tradition politique du centre est presque constante (bien plus, en tout cas, que celles de la droite ou de la gauche) depuis plus d'un siècle, donc bien au-delà des personnalités.
Il y a deux définitions possibles :
Les deux se rejoignent parfaitement, amha, dans la définition qu'en donne Barack Obama : "The belief in each other - that's what made me a Democrat".
Bonjour FrédéricLN,
Si j'essaye de résumer autrement votre pensée, vous êtes d'accord pour dire qu'il y a deux centres:
- le "centre géographique", en tant que positionnement sur l'échiquier politique, que nous appelons tous les deux "centre".
- le "centre idéologique", en tant que famille politique, que je n'appelle pas "centre" mais que vous vous appelez "centre" par défaut, parce que le mot démocrate/démocratisme n'a pas pris.
Pourquoi n'appelle-je pas "centre" le centre idéologique?
1) afin, précisément, de le différencier du "centre géographique".
2) parce que c'est en réalité selon moi la cohabitation de représentants de plusieurs familles idéologiques dans le contexte notamment de l'élection du président de la République au suffrage universel direct: la création du Centre démocrate (1965-66), la partition du Centre démocrate (1969) puis du Parti radical (1971-72), la création de l'UDF (1978), la création de l'UMP (2002), la fragmentation de l'UDF (2002-2007) n'ont pas avant tout une base idéologique mais une base stratégique (positionnement à droite/au centre/à gauche, soutien à tel candidat à l'élection présidentielle). Bien entendu, il y a un minimum de convergences idéologiques, mais tous ces partis ne représentent pas une famille idéologique reconnue (d'où le fait que le démocratisme n'existe pas dans les ouvrages de science politique et d'histoire des idées politiques...).
Que vos propositions ne soient pas très "audibles" est hélas une triste réalité; je persiste cependant à dire que "justice", "responsabilité", etc. ne peuvent être revendiquées: ces mots vont trop haut pour qu'on les saisisse et les attache à une institution. "On reconnaît l'arbre à ses fruits"; de même on reconnaît la justice, la responsabilité au travers des actes, ce qui demande du temps et de l'attention, deux ressources rares aujourd'hui en notre monde de vitesse.
Cela étant dit, ma propre appartenance au CJD m'a montré combien la démarche est difficile; et encore n'avons-nous aucun suffrage à gagner; même si nous aimerions être d'avantage entendus.