Les “Lettres des deux amants” constituent la plus longue correspondance amoureuse médiévale conservée (environ 113 lettres), malgré des coupes du copiste dans l’unique manuscrit connu ; elles datent de vers 1115.

Si elles sont d’Héloïse et Abélard, imaginez une informaticienne “pas moche” et un logicien plus âgé de 12 ans, qui se croit beau.

La correspondance commence comme un exercice scolaire, tout de suite ambigü et très vite brûlant.

Voici quelques haïkus, pour résumer certaines de ces lettres (surtout les siennes à elle), à partir de la traduction de Sylvain Piron.

Elle :
Le grand professeur !
Les fleurs fanent de ta jeunesse.
Forme-moi, j’ai hâte !
(lettres M 1, M 5)

Elle :
Ce jour, le premier,
Nous nous voyons, nous parlons,
Je le choisis. Seul·e.
(lettre M 85)

Elle :
Mon espoir, ma foi
Pour toujours je suis à toi,
Dieu soit notre allié.
(lettres M 3, M 5)

Elle :
D’égale à égal
La rose rouge et le lys blanc
Cet hiver, je brûle
(lettre M 17 ; ok, c’est le premier vrai haiku de la série, et encore)

Elle :
Définir l’amour ?
Quand je suis à toi, je suis
Je ne sais rien d’autre
(lettre M 21 ; ça envoie, non ?)

Elle :
Leçon de philo
Je m’y rends la gorge sèche
Puiser à ta bouche
(lettre M 23 ; ça, ça ressemble à un haïku, je crois)

Elle :
T’aimer m’est facile
Tu voulais plus qu’une amie ?
Tu es bienvenu
(lettre M 25)

Lui :
Définir l’amour ?
Deux volontés devenues
Une, sans différence

Définir l’amour —
L’universelle attraction
Tout entière en nous
(lettre V 24, pour les deux : il déroulait son cours — si “il” est Abélard — c’était facile pour lui !)

Elle :
Définir l’amour ?
Être si proches, que sans cesse,
On revient vers l’autre
(lettre M 25)

Elle :
Adieu, mon refuge
Je t’obéis, c’est pour te suivre
Et bonjour, tristesse
(lettre M 29)

Elle :
Terre sèche sans orage,
Mon corps quand tu es parti.
Je suis là. Viens vite.
(lettre M 45)

Elle :
Définir l’amour ?
Le bien le plus haut, le mien,
Un bien éternel
(lettre M 49)

Elle :
Dieu sait comme je t’aime
Inséparable de toi
Sinon par la mort
(lettre M 53)

Elle :
Tu m’as tant blessée
Si c’est fini entre nous
Viens au moins le dire
(lettre M 60)

Elle :
Un dé roule et tombe
Sec comme un homme qui s’en va
Tu n’es pas venu
(lettre M 62)

Elle :
Mon étoile, c’est toi
Le choix que j’ai fait de toi
Réside en moi seule
(lettre M 76)

Elle :
Quand le feu s’effondre
Les pierres, elles-mêmes, fondent
Brûlant avec lui
(lettre M 82 ; ok, il n’y a pas naturellement les 7 syllabes dans le 2ème vers ; il faut ajouter des demi-soupirs. Mais la magie est ailleurs ; c’est le passage la plus célèbre de ces Lettres)

Elle :
Privée de te voir
J’ai les yeux fixés sur toi
T’écrire, c’est t’aimer
(lettre M 104)

Toute l’histoire d’Héloïse et Abélard dans une sorte de “Reader’s Digest” par votre serviteur ici (le fichier évolue de correction en correction).

Occasion de découvrir :

  • une étudiante bien élevée chez les bonnes soeurs (d’Argenteuil) et décidée à n’en faire qu’à sa tête…
  • un intellectuel rive gauche aussi instable que sûr de sa supériorité…
  • une société grignotée par un fanatisme auquel cette femme et cet homme, tous religieux qu’ils soient, ne se soumettent pas…
  • le couple mythique célébré dans Le Nom de la Rose, par Villon donc Brassens, par Rousseau et Voltaire,… et Jean-Pierre Muller.

Et merci Patti Smith :-) pour la bande son pour accompagner le tout.