je suis bluffé par la décision de Barack Obama concernant la torture pratiquée par la CIA : divulguer ces notes secrètes criminelles, et ne pas poursuivre (je l'écrivais samedi dernier 18 avril chez Michel Hinard).

Il est donc sous un feu croisé de critiques : les droits-de-l'hommistes s'indignent qu'il ne poursuive pas, les bushistes s'indignent qu'il divulgue.

Tous deux voudraient la même chose : que le pouvoir fasse son affaire du crime.

Mais ce n'est pas son affaire. C'est "notre affaire à tous". Nous ne pouvons répondre à ce crime, en tant que démocratie, que si nous faisons d'abord nôtre cette vérité. Si nous en débattons, si nous l'analysons, si chacun prend ses responsabilités.

C'est alors que les donneurs d'ordre (plus que les exécutants) pourront être poursuivis et condamnés. Que les victimes pourront élever la voix, être entendues et obtenir justice.

Dans Newsweek, Howard Fineman voit là une contradiction par rapport à la campagne Obama :

"Rien de tout cela n’évoque ou n’est en ligne avec l’émouvante vision morale avec laquelle Obama a lancé sa candidature, voici seulement quelques années. Interrogé sur la philosophie de gouvernement d’Obama, l’officiel du point presse a déclaré que le président se considérait un fervent non-idéologue. Il est pour ce qui fonctionne".

Bien sûr que la morale joue un grand rôle dans le soutien dont a bénéficié Obama (ou dont ont bénéficié les Républicains à diverses élections !).

Bien sûr aussi, se comporter de façon morale est un fardeau - c'est refuser les courts-circuits et la facilité, c'est investir dans l'avenir. C'est, en particulier dans la jungle politique, un effort sur soi à chaque instant.

Une personne, fut-elle le Président, peut-elle imposer rétroactivement ce fardeau à toutes ses forces de l'ordre qui avaient été dirigées selon d'autres principes ? Cela me semble invraisemblable.

Pour moi, dans l'ordre des choses, la priorité 1 est la vérité, la priorité 2 la réconciliation (c'est-à-dire la prise en charge collective du passé par la société), la priorité 3 est la sanction contre les personnes qui, par des décisions individuelles, ont créé ce système. Et ce sera aux plus hauts niveaux de décision, amha.

Le président Obama me pardonnera ;-) une référence tirée de l'évangile selon Luc. Jésus évoque devant ses disciples l'histoire d'un gérant qui, digne de Crésus, détourne massivement les actifs du maître qui vient de le licencier. "Ce gérant trompeur, le maître fit son éloge : effectivement, il s’était montré habile, car les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière." Le rapport avec la choucroute ? La morale déclamatoire ne sert pas à grand chose. Quand vous êtes en situation de gestion, de responsabilité, si vous voulez "plus de lumière", vous avez intérêt à être un "non-idéologue", à être "pour ce qui fonctionne". Et à être "fervent".