Dans mon train Grandes Lignes, quelqu’un est mort.

Il y a eu de l’agitation, du passage, le train est à l’arrêt sur la voie.

Et puis la voix d’homme, dans les hauts-parleurs, a dit quelque chose dont je ne me souviens pas très bien ; elle a dit que malgré cela, notre train devait reprendre sa route, parce qu’il y avait beaucoup de trafic. La voix de l’homme avait un grain d’inquiétude.

Nous nous sommes regardés intrigués, avec la seule autre personne devant moi dans le wagon, une femme noire, habillée en vert, d’une quarantaine d’années sans doute, quelques mètres devant moi, assise dos à la marche du train. Je suis sur un strapontin, en bout de wagon, je me retourne et vois dans le wagon suivant une autre personne qui semble intriguée, également. Situation étrange.

D’autant que, quand le train repart en effet, je me rends compte que je vois très bien la voie devant nous, par les vitres avant. Nous sommes le premier wagon, et c’est comme s’il n’y avait pas de conducteur à l’avant.

Je vois ce qui se passe devant nous, et très vite, oui, il y a du trafic. Nous frôlons un train en sens inverse, et un autre nous double par la droite, à grande vitesse.

Je vois arriver le choc, je me jette par terre et je crie à la dame en vert « par terre ! mettez-vous par terre ! ». Je voudrais crier plus fort, je ne suis pas sûr que ma voix atteigne l’autre personne, dans le deuxième wagon.

Et le train déraille.

En fait il sort des voies ; mais, par je ne sais quel miracle, il reste debout et continue, vite encore, dans les prés. Je me dis qu’il doit y avoir du dégât à l’arrière du train, qu’il s’est peut-être cassé en deux.

Je roule par terre. Entre deux secousses je vois où va le train, je ne vois pas les autres passagers, ça m’inquiète.

De l’autre côté du pré, il y avait des voies de nouveau. Le train semble vouloir essayer de les prendre, il les rate. Là aussi, il y a un train qui arrive en face…

… Et voilà qu’on s’arrête. La porte s’ouvre, je sors voir un instant la situation… Les voitures derrière moi, semblent impeccables, hautes, leur peinture d’un bleu soutenu brille dans une lumière timide. J’en vois au moins une autre avant mon wagon.

Pas un bruit.

Soudain la porte se referme et le train repart, à petite vitesse. Où aller ? J’essaye de le suivre en marchant. Il prend un aiguillage et arrive aussitôt à un bâtiment dans lequel il entre, par de grandes portes qui, vu de l’extérieur, semblent à tambour ; en tout cas, il y a juste la place pour lui ! Des lames épaisses de caoutchouc, de part et d'autre, m'arrêteraient. Ça doit être un tunnel de lavage, un atelier de réparation, ou quelque chose du genre.

Après quelques mètres, je trouve une entrée. Un couloir, et au bout un accueil. Meubles gris, lumière artificielle, des papiers, et des employées, l’une assise au comptoir, d’autres passent à l'arrière. Elles portent une même tenue, sobre, mais avec un détail original et un peu préoccupant : dans le dos, deux petites ailes d’un blanc transparent.

Je m’accoude et engage la conversation ; pendant que me rejoignent, au comptoir, d’autres personnes qui arrivent tranquillement : certainement d’autres passagères et passagers du train.

Je finis par poser la seule question qui vaille :

— Et il n’y a pas de survivants ?

Malheureusement non, répond l’hôtesse d’accueil.

— C’est dommage (je cherche mes mots)… j’avais essayé de prévenir les gens autour de moi…

Et ça n’aura servi à rien.

À vrai dire, je pense aussi à la réunion qui était prévue demain avec des amis *, **, ***… une réunion que je vais, par conséquent, rater. J’aurais bien voulu savoir ce qu’ils allaient se dire, ce qui allait se décider ensemble.

L’hôtesse me dit que oui, c’est ainsi, et qu’il y a autre chose.

— Il y a Untel (je ne sais plus quel nom) qui voulait vous avoir au téléphone au sujet de (je ne sais plus quel détail).

Et alors ? Qu’est-ce que ça a à voir ? C’est complètement hors de propos.

Soudain je comprends ce qu’elle veut me dire : elle veut me dire que, quel que soit mon état, il m’appelle.

Je suis allongé sur le dos dans le couloir, la tête contre le mur, mon téléphone sonne dans ma poche de chemise, j’arrive à l’attraper, à appuyer sur le bouton vert et je hurle, hurle, hurle.

Mon interlocuteur dit des mots que je n’entends pas, que je ne comprends pas, et je hurle en me disant que ça peut me sauver la vie. Jusqu'à ce que mon correspondant raccroche. Et là, je me dis que j'ai fait ce que je pouvais.


Et j’ouvre les yeux, le réveil dit 06:29 alors qu’il était réglé pour 06:30, un bon moment pour taper cette nouvelle rêvée, cette bonne nouvelle.

Et en remercier les sources de son inspiration inconsciente ; dont : la bonne grippe d’avant-hier, le TGV flambant neuf d’hier matin pour Lyon, le voyageur et le contrôleur grâce auxquels j'ai récupéré à l'arrivée à Part-Dieu ma veste oubliée dans les toilettes ;-) ,… et le film Gravity vu il y a quelques semaines. Les autres inspirateurs se reconnaîtront peut-être !