(Il n'y a que Facebook et autres pour pousser à avoir un avis sur une question aussi marginale, alors que le pays est en guerre…).

Réponse à un "ami-d'ami" qui, sous pseudonyme militant propalestinien, postait des photos de plongeurs ou triathlètes pour défendre le droit de se baigner en "burkini" — au nom de la liberté de culte.

La liberté de culte c'est différent de la liberté de s'habiller comme on veut — qui est une liberté importante aussi, mais a des limites, que ce soit en France, en Arabie saoudite, en Turquie ou ailleurs.

Le "burkini" n'est pas interdit à ma connaissance au niveau national. En revanche le souci légitime de l'ordre public (qui justifie, à ma connaissance, l'interdiction de la nudité) peut conduire à l'interdiction de certaines tenues.

Il me semble évident que ce n'est pas la caractéristique physique de la tenue qui est en cause : je n'ai jamais vu de réaction hostile sur les plages face aux quelques Japonaises (?) en maillot complet et visage voilé pour protéger leur peau. Donc la photo de plongeur est hors sujet, il me semble clair que sa tenue est destinée à plonger ;-) De même des triathlètes en combinaison néoprène.

Pareil, un maillot de bain avec marqué "I love Jesus" ou "I love" (tout autre personne proclamée comme prophète) ne m'a jamais semblé susciter de réaction négative.

Et je n'ai jamais constaté de tags hostiles sur les affiches présentant les costumes de bain, très couvrants, des années 20.

Le sujet est donc ce que manifeste le vêtement. Prenons ici le "burkini".

Selon les uns, il traduit la fidélité à des préceptes d'inspiration religieuse (prônant une pudeur bien plus marquée que celle inscrite dans les moeurs françaises actuelles), de façon purement personnelle et sans dimension critique vis-à-vis d'autrui. Donc, il rassure.

Selon les autres, il exprime le rattachement à un courant religieux anti-société française, anti-laïc, anti-égalité hommes-femmes, répressif partout où il est au pouvoir, hostile à l'action de l'État français et à certaines des lois actuelles, et au final, terreau de la violence terroriste. Donc, il fait peur.

Vous voudriez sans doute que les non-musulmans "laïcs" reconnaissent la perception du "burkini" qu'ont les femmes qui le portent (ou les hommes qui le justifient). Ce serait bien, dans la mesure où les musulmans concernés reconnaissent la perception du "burkini" qu'ont les femmes qui ne le portent pas (ou les hommes qui le critiquent).

Après, comme dans toute société, vient le temps de la décision démocratique : définir un champ de liberté pour chacun de s'habiller comme il veut, et des limites à cette liberté. Accepter que le "zérokini" puisse légitimement être interdit — ou pas, c'est accepter que le "burkini" puisse lui aussi légitimement être interdit — ou pas.


Le sujet n'est pas si nouveau, il avait déjà circulé avant les présidentielles 2012, Cf. ici. Et auparavant "Voile : regardons droit devant" (2010, avec des liens vers mes billets antérieurs sur le même sujet).


Compléments 16 août 2016 :

1) Le papier de France Télévisions du 11 août, sur l'arrêté de Cannes, me semble très bien, il fait résonner clairement plusieurs sons de cloche.

2) Suite de discussion Facebook :

L'idéal serait un monde où personne ne serait gêné(e) par la tenue d'autrui et chacun(e) s'habillerait exactement comme il(elle) veut. Mais en l'imaginant un instant (visuellement), ça fait bizarre. Le vêtement n'est pas seulement pour soi, c'est aussi un message aux autres. Message équivoque, au sens où il sera perçu différemment par différentes personnes. Message changeant dans le temps avec les modes — des tenues qui paraissaient "intégristes" quand elles sont arrivées se sont ensuite diffusées dans toute la société. Même la barbe longue !

Il me semble cependant légitime d'être gêné si le message que l'on comprend de la tenue de l'autre est un message agressif, de rupture, ou au minimum, de défiance. Il me semble que beaucoup de personnes perçoivent ce message devant des femmes voilées… ou en burkini : "je me cache de toi".

Les mots de "vivre ensemble" ont été utilisés et réutilisés : nous voilà au coeur de ce qu'ils signifient.