Notre turbo Président a inauguré hier la plus grande usine de moteurs d'hélicos de la galaxie, dans la circonscription du plus célèbre propriétaire de tracteur de notre beau pays. La France, dont labourage et pâturage sont les deux mamelles.

Les champs d’hier sont les usines d’aujourd’hui, le chef de l’État est partout chez lui en bon roi républicain – jusqu’ici, tout baigne dans l’huile et dans la tradition Louis-Philippe.

Et soudain, ça décroche. Si j’en crois la presse, les rôles se croisent en plein ciel.

Nicolas Sarkozy, qui vient deux fois de recevoir à domicile François Bayrou, le regarde en chien de faïence. L’Elysée requiérait que le député Bayrou accueille sur le tarmac, et seul, le Président en terre béarnaise. Gros sabots, dira le régional de l’étape. Au pupitre, le Président en fait des tonnes sur sa généreuse ouverture qui "n’est pas une preuve de faiblesse".

Visite d’usine ? Tiens donc ! La fabrique high-tech est un voile, un prétexte taille patron. Le Président de Région est un figurant, et le débarquement, une invasion.

François Bayrou, lui, tente de contrôler à lui seul l’espace aérien. Il échappe à AirForceUn, et c’est tout près de ses bases, à Bordes, à l'entrée de l’usine, qu’il fonce et force le dispositif pour intercepter l’arrivant. Il le devance pour serrer les mains ouvrières, puis se laisse décrocher pour attirer l’escadrille de journalistes - dont en fin de vol, il organise et anime le "débrief".

Windtalker, il enchaîne les messages codés – capbourrut et Gaston Phébus (que la presse a écrit F), démocratie des Fors et fierté du béret, toute l’artillerie béarnaise a donné.

Rien de tout ça ne colle avec les scénarios de « rabibochage », de « réconciliation » ou de « recentrage à droite » que les médias nous ont servis.

Rien de tout ça ne colle avec la banalité d’une inauguration de (turbo)chrysanthèmes par les corps constitués.

Nicolas Sarkozy n’essaye même pas de rallier François Bayrou. Il peut bien ne rien comprendre du paysan béarnais, non plus que de la pensée démocrate – quant au concept de centre indépendant, il doit encore se demander si c’est une petite tactique éphémère ou une grosse erreur stratégique. D’ailleurs Nicolas Sarkozy, d’habitude, n’essaye pas de réaliser quoi que ce soit ; mais de le faire croire. Je peux être assez fort pour tordre le métal – si je peux tordre la perception que les autres en ont, et c’est tout ce qui compte. Le rapprochement physique fait voir, à celles et ceux qui regardent François Bayrou, celui-ci pencher à droite. L'homme à la "main tendue" récupère à droite le petit centre blackboulé par la gauche. Se pose en meilleur ami de ceux qui ont tout perdu, fors l’honneur (que Nicolas Sarkozy ne leur prendra pas, ne sachant combien il vaut).

Nicolas Sarkozy ne vient pas plus s’émerveiller des beautés industrielles béarnaises. Pour qui a visité sa première usine à près de 50 ans, c’est une grotte de sorciers, odeurs étranges et rites piégeux. S’il y entre, c’est en force, avec accompagnateurs et interlocuteurs, compagnie en tournée pour l’oeil des caméras. Si le public devant lui doit être de petite taille, c’est à cause d’elles, lui s’en moquerait. Roi de France jusqu’à la Navarre, il est venu y monter le spectacle de l’allégeance obligée. Comme les souverains féodaux imposaient à travers le pays leur cour nomade, de commune loyale en château vassal.

Faire croire à la fois à la réconciliation familiale, et à la sujétion obligée, est-ce possible, compatible ?

Oui bien sûr, et dans les meilleures mafias du monde.


Face à la forteresse volante, au grand arroi et à la troupe des médias, la marge de manœuvre de notre Président à nous semblait bien limitée.

Mais trois jus d’orange, bus avec philosophie et avec un trait de culture littéraire, ont dû suffire à lui rendre le moral.

Car les transports de la Cour n’ont qu’un temps. Le vent l’emportera. Dans le souffle violent des réacteurs présidentiels, le roseau plie, mais ne rompt pas.

Son message radio, son message à la France est certes codé en béarnais, mais par là-même bien simple : je suis d’une autre famille. L’allégeance attendue de moi ne me concerne même pas. Je suis d’une autre France que celle contrôlée et ruinée par le pouvoir du jour, clan du Fouquet’s ou Mitterrandie.

Une France aujourd’hui au sol et délitée, trompée et blasée, amère et déjouée – une France dont demain peut-être, l’étrangeté renaîtra, l’identité rassemblera, et qui croira au renouveau.

Cette espérance est notre raison d’être là, en politique. C’est pourquoi nous voulons rester libres, indépendants des grands et petits gangs. Ce territoire d’omerta, nous voulons y vivre et y travailler. Au pays.

Turbo et méca sont dans un hélico. Turbo tombe en panne. Qu’est-ce qui répare ?


Cette saynète doit beaucoup à Quai d’Orsay. Merci les filles !