Ce 13 avril, l'aviation et la marine française ont envoyé hier quelques missiles sur des installations liées au programme syrien d'armes chimiques — selon notre appareil d'État, qui a bien voulu donner une documentation nourrie[1].

La Russie a demandé au Conseil de Sécurité de condamner ce raid. Elle savait bien que cette résolution serait bloquée par le vote contraire (impliquant un veto) des 3 États qui ont réalisé l'opération, mais elle a dû constater que, des 11 autres membres, seules la Chine et la Bolivie l'ont suivie. Ce qui reste de la "communauté internationale" a ainsi témoigné de son refus d'être menée en bateau par la propagande russo-syrienne.

Trop de fake news usent les meilleures volontés, et les plus pacifistes.

Le 11 avril, je me demandais si nos États feraient l'erreur d'une "frappe" symbolique contre le pouvoir syrien, et espérais que l'action militaire éventuelle aurait un objectif sensé ("est-ce que l'un de nos décideurs politiques pourrait se rendre compte, SVP, qu'il est grave, illégal et criminel de "frapper" (même en Syrie),… et que la seule action pertinente est celle qui empêchera le régime d'utiliser ses stocks de bombes au chlore ? #ViserUnBut").

Le communiqué de l'Élysée au 13 avril matin indique que : « Notre réponse a été circonscrite aux capacités du régime syrien permettant la production et l’emploi d’armes chimiques ». J'étais et reste d'accord avec ce choix.

Bombarder reste grave. Et illégal (non, les résolutions antérieures des Nations Unies n'autorisent pas des États à faire respecter à leur propre façon les résolutions interdisant les armes chimiques). Ce bombardement n'a tué personne, heureusement ; aussi parce que le régime syrien avait eu le temps de s'y préparer en évacuant les sites.

Mais parfois, des actes illégaux sont justifiés.

Je laisse de côté l'argumentaire complotiste, hyperméfiant envers toute enquête de la presse libre, et prêt à avaler les yeux fermés ce que les propagandistes russes crachent à jet continu. Ma capacité à contrer des raisonnements aussi dénués de discipline mentale, est proche de zéro.

Un mot tout de même pour ceux des sympathisants des "chrétiens d'Orient" qui imaginent que, en défendant le pouvoir alaouite contre tout soupçon de crimes, ils défendent aussi la minorité chrétienne : franchement ? Dans un pays où déjà, constitutionnellement, les chrétiens ont moins de droits que les autres, vous jugez prudent de laisser le Président disposer de ce genre d'armes ?

Un mot encore de la trop facile désignation de Bachar al-Assad comme "assassin de son propre peuple", qui aurait tué "500000 civils", etc. : c'est ridicule. Bachar al-Assad est juste le chef du camp en train de gagner une des guerres civiles les plus affreuses et meurtrières des derniers siècles. Une des guerres les plus compliquées aussi, à au moins 4 camps rivaux… Elle aura pu désorienter le téléspectateur français ! Lequel aura sympathisé avec les malheureux habitants d'Alep-Est défendus par les rebelles sunnites contre les forces du régime, puis avec les malheureux Kurdes d'Afrine défendus — mollement — par les forces du régime contre les rebelles sunnites qui ont pris la ville, fortement appuyés par l'armée turque.

Mais ça nous ramène à l'important : les civils, les habitants, les Syriens, broyés par une guerre de six ans. Sauver la vie de ceux qui restent est la cause la plus importante.

Nos États commencent petitement : ils essayent d'empêcher le régime d'utiliser ses stocks de bombes au chlore[2].

Nos bombardements l'en ont-ils empêché ?

Sûrement pas[3]. Nous n'avons pas détruit les hélicoptères utilisés pour la plupart des bombardements ; et quant aux stocks de bombes, le régime avait eu tout le temps de les disperser, comme il avait méthodiquement dissimulé une grande diversité d'armes chimiques aux inspecteurs internationaux.

Tout ce que nous pouvons espérer, c'est avoir dissuadé le régime de ré-utiliser ces armes : il pourra désormais juger que le coût est plus grand que le bénéfice. Que la terreur qu'il pouvait espérer faire régner grâce à ces bombes, serait allégée par l'espoir, dans les groupes visés, d'une riposte des États démocratiques. Bref, le régime verrait désormais, sur ce plan, une limite à sa violence. La limite qu'il avait d'ailleurs lui-même acceptée en signant, en 2013, la convention interdisant les armes chimiques. Il devrait désormais accepter que sa signature soit plus qu'une blague.

Nos États lancent cet avertissement sans grands frais à celui qu'ils reconnaissent maintenant comme le pouvoir durable, comme l'autorité à la fois légitime et de fait, face à laquelle chaque Syrien devra, de nouveau, se soumettre ou quitter le pays.

Malheureusement, les armes chimiques ne sont qu'un ou deux pour cent, peut-être, des ingrédients de la terreur syrienne. Nous laissons les habitants sans défense face aux 98% restants. Comme les Burundais, comme les Nord-Coréens… Nous reconnaissons que la dictature, la police politique omniprésente, la torture et les camps, l'accaparement des richesses par une petite minorité, sont la loi dans beaucoup de pays. Que l'ONU, les conventions internationales, et même les missiles, n'y peuvent rien. Que, pour les habitants de ces pays, nous en sommes à espérer qu'ils restent en vie.

Jusqu'à, peut-être, des jours meilleurs.

Notes

[1] Installations que nos gouvernements des années 70 avaient aidé à créer ; comme ceux des années 80 ont soutenu le régime irakien malgré son usage d'armes chimiques. Certaines choses changent.

[2] Plus précisément des stocks de bombes prévues pour y mettre du chlore ; voir ici l'évolution de ces bombes au cours de la guerre.

[3] Contrairement à ce que prétend l'expert-BFMTV.