Commentaire chez Laurent de Boissieu, qui vient de publier une excellente interview de François Bayrou.

Bravo pour l'intérêt que vous consacrez actuellement au centre, qui est certainement à l'un des points cruciaux de son histoire en France - après son résultat désastreux de 4% aux dernières élections.

Sur votre article dans La Croix, rien à redire, bravo également ; sauf sur l'attaque fort douteuse amha "Parlementaristes de tradition, les centristes se sont historiquement opposés à Charles de Gaulle sur l’élection du président de la République au suffrage universel direct. ... Changement de cap avec François Bayrou, qui a, depuis longtemps, construit sa stratégie autour de la seule élection" : mais le Centre ne s'est affirmé comme force politique indépendante, sous De Gaulle, que grâce à cette même élection présidentielle de 1965 ! Où Jean Lecanuet créa la surprise et appela à ne pas voter De Gaulle au 2ème tour. La continuité me semble plus manifeste que le changement de cap.

Dans le billet, vous disséquez un commentaire, écrit rapide, où on peut être tenté de simplifier. C'est d'autant plus intéressant à analyser, certes, à condition de garder en mémoire que l'auteur a nécessairement simplifié, justement.

Par exemple, vous critiquez F. Bayrou d'affirmer qu'il y a bien en France des traditions politiques de "droite" et de "gauche". Mais qui le conteste ? C'est bien l'existence du "centre" comme tradition politique qui est régulièrement contestée (y compris sur ipolitique), non celle de la droite ou de la gauche ! Pour aller plus en détail, il y a bien sûr une différence entre les deux.

La "gauche" se revendique comme telle et revendique sa cohérence idéologique, ses "valeurs de gauche" (hier encore), à travers sa diversité. Elle qualifie de "droite" tout ce qui n'est point "gauche"... dont le centre !

La "droite" française en revanche, ne se revendique que de façon épisodique comme porteuse d'un projet politique propre et cohérent. Elle se soude en général sur... le rejet de la gauche. Mais ne serait-ce que là-dessus, le centre n'est pas de droite ! Nous n'avons aucune raison de rejeter la gauche.

Nous rejetons bien évidemment le totalitarisme, y compris à l'époque le totalitarisme soviétique et ses alliés français - donc l'Union de la Gauche depuis 1973. Mais depuis 1990, l'URSS est tombée et ne devrait plus être le coeur du débat politique.

Enfin, je suis surpris de votre étonnement devant la double référence, au courant démocrate mondial et à la tradition républicaine française, une constante de François Bayrou (au moins depuis un paquet d'années)[1].

Bien sûr, la conception française de la République, d'un Etat qui appartient au peuple, d'un intérêt public supérieur aux intérêts privés, est une grande richesse française, et l'un de nos atouts pour sortir de la crise actuelle, pour répondre aux défis de la mondialisation (Cf. par exemple les propos de Jean Peyrelevade sur la nationalisation des banques en faillite).

Mais cet Etat, cette République, sont voués à l'échec s'ils sont sortis de la société française pour être appropriés par des clans personnels ou partisans. Dès lors, l'irresponsabilité est au pouvoir ; la grande Maison commune s'effrite, chaque gouvernant à son tour vend quelques appartements à son profit … et la faillite est proche.

Seul, amha, un retour de la Démocratie peut sauver notre République. Hélas, le pouvoir actuel prend l'exact chemin inverse : accaparement et irresponsabilité (voir dans l'actualité chaude la nomination du président de France télévisions - et la réponse de Dominique Baudis à l'argument incroyable selon lequel c'était pareil avec le CSA ; voir le projet de loi sur les sociétés immobilières).

Y a-t-il une place pour le Centre ? Ce qu'il nous faudrait, ce n'est pas une place, c'est une majorité...

Notes

[1] Et j'ajouterai : de France démocrate aussi !