Ce matin sur Télématin, j'entends le "frère Pierre André", qui s'accuse de dizaines d'actes pédophiles au sein de la Communauté des Béatitudes : "On ne peut pas dissimuler toute sa vie", dit-il calmement. "On ne peut pas" semble vouloir dire ici, vis-à-vis de soi-même, ne suggère aucune pression de l'environnement pour faire la vérité. Je me demande s'il veut dire par là : "je vivais dans un système qui facilitait la dissimulation". D'autant que le journaliste conclut son reportage en indiquant, si je l'ai bien entendu, que quatre membres de la même Communauté en auraient été exclus pour avoir incité le frère Pierre André à se dénoncer à la police.

Je fonce sur google pour vérifier cette information : exclus pour avoir tenté de protéger les enfants du risque d'agression pédophile, vraiment ?

Je n'en sais pas plus après google-isation. J'ai trouvé deux nouvelles du jour, une AFP et l'autre de je ne sais quelle source, qui donnent un récit bien différent. Pas incompatibles ! Mais différents.


Selon l'AFP :

Placé sous contrôle judiciaire en Aveyron, cet homme de 57 ans avait reconnu des attouchements sur une cinquantaine d'enfants de 5 à 14 ans dans toute la France entre 1985 et 2000. (le récit donne l'arrestation avant la reconnaissance des faits).

Il reprochait à sa hiérarchie de ne pas avoir pris la mesure de la gravité de la situation, en le déplaçant à plusieurs reprises dans différents postes après qu'il lui eut confié ses tendances pédophiles. (le récit met en cause la hiérarchie, mais au fond, pour inaction : avoir minimisé la gravité de "la situation", terme d'un grand flou).

L'ancien frère, qui a été relevé de ses voeux à sa demande et contre l'avis de ses supérieurs, disait également regretter qu'à l'occasion d'une première plainte, déposée en 2001 devant le tribunal d'Avranches (Manche), la juge se soit déclarée incompétente. (j'aimerais bien comprendre pourquoi. Cette phrase aux 4 négations - relevé de / contre / regretter / incompétente - distille le flou).

Ce frère et trois autres personnes, tous exclus de la congrégation, ont déclaré en juillet dernier refuser "de servir la loi du silence". (dans ce récit, l'exclusion vient d'abord, et le motif en est tu. Le "refus" vient après, la "loi du silence" est présentée comme une opinion du frère et de "trois autres personnes" qui arrivent là on se demande pourquoi. Le lecteur peut raisonnablement supposer que cette dénonciation d'une omerta est la réaction de dépit de personnes en conflit avec la "congrétation").

Ici une 2ème dépêche AFP, de même inspiration.


Bien différent est le récit de Jean-Marc Ducos dans "Le Parisien".

La justice cherche ... à savoir si la hiérarchie de cette communauté était au courant depuis des années de faits d’abus sexuels ou d’attouchements sur des enfants, comme l’atteste la confession d’un ancien membre des Béatitudes auprès des gendarmes, l’ex-frère Pierre-Etienne A., résidant à l’abbaye de Bonnecombe (Aveyron). C’est lui qui a déclenché l’affaire. Il a été mis en examen pour « agressions sexuelles sur mineurs » en février 2007. Il a raconté sur procès-verbal que ses supérieurs n’ignoraient rien de ses travers et l’ont déplacé dans plusieurs communautés en toute connaissance de cause. Puis, d’autres témoignages sont venus alerter les enquêteurs de l’OCRVP sur les pressions exercées sur d’anciens membres pour les dissuader de témoigner. Par ailleurs, d’anciens élèves d’un collège d’Autrey (Vosges) géré par les Béatitudes ont également dénoncé des faits graves : viols, séances d’exorcisme et mauvais traitements sur mineurs. L’OCRVP enquête également sur une série de suicides parmi les adolescents ou jeunes hommes passés par le cours Agnès-de-Langeac. La justice voudrait aussi comprendre pourquoi, depuis la révélation des affaires judiciaires concernant les Béatitudes, son fondateur, Gérard Croissant, s’est installé à Kigali, capitale du Rwanda. Un pays qui a rompu toute relation diplomatique avec la France, ce qui rend la coopération judiciaire délicate.

Ici l'ex-frère pédophile est présenté explicitement comme celui par qui l'affaire a pu être révélée - une affaire qui dépasse ses seuls actes : "pressions exercées sur d’anciens membres pour les dissuader de témoigner", "viols, séances d’exorcisme et mauvais traitements sur mineurs", "série de suicides".

Et le même procédé que dans la dépêche AFP est repris : suggérer des relations de cause à effet par le simple ordre du récit, cette fois-ci conforme à l'ordre chronologique : "depuis la révélation des affaires judiciaires concernant les Béatitudes, son fondateur, Gérard Croissant, s’est installé à Kigali, capitale du Rwanda".


Mais je n'ai pas trouvé la réponse à ma question : y a-t-il bien eu une action de la hiérarchie agissant comme telle - exclure trois ou quatre personnes - au motif que celles-ci auraient incité le pédophile à se dénoncer ? C'est une action comme celle-là qui serait, à mes yeux, disons, quelque chose comme la signature du Mal.

Sur l'affaire du fondateur des Légionnaires du Christ, j'écrivais il y a quelques mois, en réponse à un billet de koz :

"Ça fait des années que j’espère une instruction ecclésiastique disant explicitement que le premier devoir de chrétiens ayant connaissance d’actes pédophiles pouvant avoir été commis par un membre du clergé, est de les signaler aux autorités civiles, et que la protection des victimes présumées doit passer avant toute autre considération. Peut-être a-t-elle paru, mais je ne l’ai pas noté.

On me répondrait à juste titre qu’une telle consigne ne relève pas du droit interne de l’église, mais du droit commun des citoyens (car l’appartenance de la personne soupçonnée au clergé ne change pas grand chose à l’affaire). Bon, mais ça pourrait être dit dans un sermon, un communiqué de presse, quelque chose comme ça …

Je trouve inadmissible que le statut de prêtre puisse réduire, dans les faits (par l’influence de l’Eglise sur ses fidèles), la protection et la réparation que la société et la loi doivent aux victimes. La laïcité, selon moi, interdit à toute communauté religieuse de “régler en interne” des affaires criminelles.

J'ai des enfants à l'école, au caté, au club de machin chose ... Si par malheur un adulte en situation d'autorité avait des comportements de ce type avec l'un de mes enfants, pitié, que la personne qui en a la première connaissance, même si elle ne me connaît pas, aille à la police tout de suite. Qu'on ne vienne pas me dire, jamais, qu'il convient d'éloigner discrètement l'auteur et d'inviter l'enfant au silence pour protéger la réputation de l'école, l'honneur de l'institution, la fréquentation du club ou ce genre d'abstractions."

Je maintiens.


P.-S. : pour un point de vue d'enfant, une bonne BD : "Supercatho", de Pétillon.


P.S. 2, 4 octobre : finalement je trouve deux sources qui confirment tout à fait la version de Télématin (lplm, golias). La rédaction de l'AFP était donc singulièrement lénifiante.