Un titre trop long ? Certes, la lutte contre les paradis fiscaux n'est pas le combat unique et suffisant pour sortir de la crise, les banques ont joué au bonneteau façon Madoff sur la place publique new-yorkaise et londonienne autant que dans les Caraïbes, et Nicolas Sarkozy n'est pas le seul candidat à la présidentielle accusé d'avoir bénéficié d'argent sale.

Mais tout de même… cela vaut la peine d'écouter Antoine Peillon, qui livre dans "Ces 600 milliards qui manquent à la France" les résultats d'une enquête au coeur du système UBS. Son enquête montre comment l'évasion vers les paradis fiscaux alimente la dette, détourne la finance de l'économie réelle, et a financé Nicolas Sarkozy en campagne en 2007. Extraits de cette interview, et merci à Anticor pour le lien.


Qu'est-ce que c'est que ces 600 milliards, une somme vertigineuse !?

Une perte fiscale annuelle pour l'Etat qui représente le budget de l'Éducation Nationale ; une fuite de finances et de potentiel économique qui participe de mettre le pays à genoux. Des fortunes cachées, pour un tiers, en Suisse, près de chez nous ! Les personnes qui font ça souhaitent aller le plus près possible de chez elles !

À partir de cette première plate-forme, on repart vers le Luxembourg, les Îles Vierges britanniques… pour des investissements avec des rendements, en moyenne, de 7 1/2% qui ne sont pas fiscalisés !

Comment se passe une évasion fiscale type ?

Les banques vous proposent de créer des sociétés-écrans, dont vous n'êtes pas le propriétaire officiel, dans (des) paradis fiscaux. Vous faites facturer votre activité par ces sociétés-écrans, et l'argent est immédiatement placé dans le paradis fiscal !

Qui fait cela ?

En France, peut-être 150000 personnes, voire 200000. Les personnes qui ont un peu pus de 10 millions d'euros de patrimoine personnel[1]. Ce que les économistes désignent par "hyper-richesse".

Des gens au coeur du système ont accepté de vous parler anonymement, y compris des banquiers ?

Ce sont d'abord des banquiers qui ont parlé à mes premières sources : le système judiciaire, qui en a assez, ces gens-là enquêtent à fond et voient que leurs enquêtes n'aboutissent pas ! Leurs sources à l'intérieur de la banque en ont marre de ces pratiques qui les mettent en danger juridique, et qu'ils jugent aussi moralement. On n'a jamais bénéficié d'autant de sources.

Sur UBS, qu'avez-vous découvert ?

Le modèle économique de cette banque comprend obligatoirement l'évasion fiscale comme activité quasi-industrielle. C'est un modèle en la matière. UBS ne cesse de me menacer de me traîner en procès. Je suis presque au moment de le souhaiter ! Les sources dont nous venons de parler sont prêtes à aller jusqu'au tribunal à visage découvert.

En 2009, Nicolas Sarkozy a promis la fin des paradis fiscaux : où en sommes-nous ?

Les paradis fiscaux ne se sont jamais aussi bien portés. La lutte contre la fraude fiscale est un fiasco. Les évadés fiscaux ne sont pas inquiétés, la fraude fiscale dans son ensemble jouit d'une totale impunité.

Pourquoi ?

Il y a un retour de l'évasion fiscale vers le financement occulte de la politique — mais pas de n'importe quelle politique. Il y a un chapitre dans mon livre sur les mouvements, pour 20 millions d'euros entre 2005 et 2007, des comptes Bettencourt. Toutes mes sources m'ont dit qu'il y avait un financement direct, par Madame Bettencourt, de l'UMP et du candidat Nicolas Sarkozy de l'époque.

Comment le livre est-il accueilli en Suisse ?

En Suisse, on dit que dans l'évasion fiscale entre la France et la Suisse, c'est la France qui est la première responsable.


Sur ce blog : "Juin 2009 : quels candidats engageront l'Europe contre le secret bancaire ?" (20 février 2009), "Paradis fiscaux, secret bancaire et bonus délirants : en finir maintenant, parce que maintenant on peut" (1er avril ! 2009), "Appel pour la démocratie en économie" (28 septembre 2009), "Prenons au sérieux MM. Lévy, Pébereau, Bergé et nous-même" (20 août 2011), "Aidons l'argent à servir les gens" (26 octobre 2011), etc.

Et François Bayrou, là-dedans ? Des réponses fraîches ici.

Notes

[1] Rapprocher les deux chiffres serait sans doute excessif : selon les estimations du Global Wealth Databook 2011, publié par le Crédit Suisse (page 96), il y a en France 69000 personnes (adultes) dont le patrimoine personnel dépasse 10 millions de $ US.