« La dette, c'est de la rigolade », a assuré Jean-Luc Mélenchon, lors de l'émission Des paroles et des actes jeudi 4 décembre. Ses arguments, parfois défendus par des économistes de renom, sont pourtant discutables.
… selon Les décodeurs du Monde, Mathilde Damgé plus précisément.
Elle va cependant dans le sens de M. Mélenchon en estimant "proche de 15 %" le "ratio d'endettement" de la France ; c'est certes plus que les 5% prétendus par M. Mélenchon, mais ça donne l'impression qu'il reste une sacrée marge d'endettement !
Mais ce calcul est bizarre : il signifie que la dette publique, celle de l'État, des hôpitaux et des collectivités, soit 2000 milliards, ne représente que 15% du patrimoine privé et public (surtout privé), 13500 milliards.
L'idée avait été émise début 2012 par l'économiste Jacques Delpla : l'État n'a qu'a voter une "taxe exceptionnelle de 15% sur le patrimoine privé national", et hop, la dette publique est annulée !
Évidemment, il y a de quoi hurler. La faillite de l'État serait plus facile à faire admettre qu'une telle confiscation. Sur le plan des principes, elle écornerait sévèrement la Déclaration de 1789 ; sur le plan politique partisan, elle garantirait un bon 90% des voix au FN.
Le coup de génie de la Révolution française fut de rendre propriétaires les paysans qui ne l'étaient pas encore.
Le propriétaire français arpente son pré carré avec dignité et satisfaction : c'est là son sanctuaire sans dieu, celui de sa vie privée. De même les hôtes sont invités à faire le "tour du propriétaire". Le Tour de France garde la trace de cette déambulation sacrée. (Jean-Marie Domenach, "Regarder la France", 1997)
Mais avant de hurler, remarquons qu'il y a tout de même du bon sens là-dedans ! Si les ménages français se sont, au total, considérablement enrichis depuis 30 ans, c'est entre autres le fruit de la même politique qui a, pendant 30 ans, creusé la dette (en aménageant les campagnes et les villes, en défiscalisant l'immobilier…). C'est tout à fait logique que cet enrichissement paye cet endettement.
Ceci dit, Jacques Delpla a bien remarqué que la richesse nationale est essentiellement foncière. On ne pourra pas donner un morceau de ma maison aux Chinois ou Qataris pour rembourser ou gager les emprunts d’Etat. Donc cette confiscation de 15% de ma maison ne règlerait pas le problème de liquidité (argent pour payer), elle servirait seulement de garantie pour assurer la solvabilité (capacité d’emprunter cet argent).
Au fond, c’est ce qui se passe depuis des années. Les AAA que les agences attribuaient à la France jusqu'en 2011 n'étaient évidemment pas justifié par nos déficits abyssaux, mais bien par l’existence de cette richesse taxable.
C’est là que gît le lièvre : à quel point ce patrimoine est-il vraiment taxable ? La garantie ne vaut que si, en fin de compte, l’immobilier peut être transformé en argent (au fil des successions, indique Jacques Delpla : ce qui imposera souvent aux héritiers de vendre le bien). Autrement dit : le mécanisme ne marche pas par la pure magie de la valeur foncière — et de la bulle immobilière.
Pour que l'enrichissement foncier passé paye la dette passée, il faudrait que les Français sachent de plus en plus transformer leur richesse immobilière, en rentrées d'argent en France. En vendant leurs terrains et maisons aux étrangers, en produisant avec l’immobilier (location, tourisme, cultures à plus haute valeur ajoutée, etc.).
Pire : à court et moyen terme, taxer 15% de la valeur immobilière devrait créer un crash de l'immobilier : le besoin de transformer la pierre en cash provoquerait un flux de mises en vente. Cela pourrait créer une crise comparable à celles des subprimes aux Etats-Unis. Le système ne sera viable que quand, à moyen-long terme sans doute, l’immobilier se mettrait à valoir intrinsèquement plus, à produire plus, pour supporter la charge nouvelle qu’on lui ferait ainsi payer.
Autrement dit encore, cette “garantie” proposée par Jacques Delpla permet à l’Etat d’emprunter, mais elle ne sera durable que si la Nation valorise mieux son patrimoine — rétablit l’équilibre de ses échanges avec l’extérieur, en produisant plus… pour pouvoir acheter autant.
Ce qui nous ramène tout simplement à l'axe de campagne de François Bayrou en 2011-2012 : ce qui peut à terme rééquilibrer les comptes du pays, c'est de produire en France. Aussi simpliste que puisse paraître ce raisonnement, aussi difficile qu'il puisse être à concrétiser, c'est le seul point de départ : tous les raisonnements pour minimiser la gravité de la dette, pour la prétendre facile à porter ou à rembourser, sont des entourloupes tant que la France, comme économie productive, ne revient pas dans la course mondiale.
Repris et actualisé d'un commentaire sur le blog d'Olivier Berruyer.
D'accord avec tout cela surtout la conclusion!
J'ajouterais que c'est très génant que JL Mélenchon affirme, un peu comme une prophétie auto-réalisatrice que: "La dette ne sera jamais remboursée".
D'abord parce que à court terme ces annonces entretiennent le doute (le fameux FUD) sur la signature de l'Etat, augmentant les taux d'intérêt du service de la dette.
Et surtout car cette dette est majoritairement détenue par des contribuables européens de différents pays, la plupart de temps sous la forme de FCP monétaires, dont les fameux fonds en euros des assurances vie (qui contiennent aussi de la dette souveraine italienne, espagnole, etc).
Si on met de côté les salariés modestes qui épargnent peu ou via le Livret A, et d'autre part les très riches qui ont des placements plus rentables et souvent moins fiscalisés, il semble que les FCP monétaires, donc la dette souveraine en Europe, est surtout détenue par des cadres moyens. Dont le but est de se prémunir contre la possibilité d'un chômage mal indemnisé, et également contre une retraite assez faible, surtout s'ils sont salariés dans le privé.
Mélenchon de son côté a bénéficié jusqu'en 2014 de paiements par l'Etat de ses indemnités de sénateur et/ou de député européen. A 63 ans, il a du faire valoir ses droits à la retraite. Uniquement pour le régime des sénateurs, elle serait de 4382 € net ( http://www.latribune.fr/actualites/... ) soit 5500€ d'un salaire privé brut.
Les fonds propres du régime de retraite des sénateurs atteignent au 01/01/2014 592M€ , plus 667M€ pour le personnel du Sénat.
( selon http://www.senat.fr/fileadmin/Fichi... )
Avant d'arriver à ce que la France fasse défaut sur la dette souveraine, il serait opportun d'annexer les 1,26Mds€ de cette trésorerie du Sénat qui sert à payer de riches sénateurs retraités.
Et si la dette soit être restructurée comme en Grèce, la moindre des mesures serait de plafonner les retraites des élus , par exemple au salaire moyen (1900€ net/mois sauf erreur).
Je crois en tout cas que, pour réussir la restructuration nécessaire, les décideurs d'aujourd'hui devront commencer par restructurer leurs propres institutions et abolir leurs propres privilèges. Sinon, l'opposition populaire sera sévère.
Ce n'est pas tout.
Les engagements hors bilans de l'Etat représentent 3090Mds€ soit 152% du PIB, fin 2012.
https://www.ccomptes.fr/Actualites/...
http://www.ccomptes.fr/content/down...
Plus de la moitié (1679Mds€, 82% du PIB) est constitué d'engagements de retraite de l’État, dont celle de JL Mélenchon, pour près de 1M€. Il mériterait de payer l'ISF, non?
Tableau n° 3 : classification des engagements de l’État en
comptabilité générale
Catégorie Principales composantes
Pour
information
encours à fin
2012
Engagements pris dans le cadre
d’accords bien définis :
engagements de type financier ou contractuel
accordés par l'État, caractérisés par l'existence de
documents contractuels ou juridiques
liant l'État à un tiers
Dette garantie : engagement de l’État de se substituer à un
emprunteur défaillant vis-à-vis de son créancier, sur le
capital ou les intérêts, le cas échéant de façon subrogative
163 Md€
Garanties liées à des missions d’intérêt général :
mécanismes d’assurance, garanties de protection des
épargnants, garanties de change en faveur des banques
centrales
486 Md€
Garanties de passifs : opérations de cession et
restructuration d’entreprises publiques, garanties liées à la
mise en oeuvre de structures spécifiques, autres passifs
186,8 Md€
Engagements financiers de l’État : contrats de
cofinancement, instruments financiers à terme, engagements
budgétaires, autres engagements financiers
142,3 Md€
Engagements découlant de la mission de régulateur
économique et social de l’État : obligations
potentielles de l’État correspondant à des transferts
pour lesquels l’ensemble des conditions nécessaires à
la constitution du droit du bénéficiaire n’est pas
réalisé à la date de clôture ou doit être maintenu sur
des périodes postérieures à l’exercice clos
Aides au logement, revenu de solidarité active, allocation
aux adultes handicapés, contrats d’aide et de soutien par le
travail, mécanisme de financement de l’audiovisuel public,
engagements liés au Fonds national de développement et de
modernisation de l’apprentissage (FNDMA)
434 Md€
Engagements découlant de la mise en jeu de la
responsabilité de l'État :
litiges avérés et engagements résultant des obligations
reconnues par l’État, pour lesquels les conditions de
comptabilisation des provisions pour risques ne sont
pas vérifiées
Démantèlement des matériels militaires, destruction de
munitions, dépollution de sites militaires,
engagements de nature fiscale
n/a
Engagements de retraite de l’État :
droits à pensions futures des actifs et des inactifs
calculés sur la totalité de la période d’activité
accomplie à la date de clôture des comptes
Fonctionnaires de l’État, militaires, fonctionnaires de La
Poste, agents intégrés dans la fonction publique territoriale
suite à la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux
libertés et responsabilités locales, fonds spécial des pensions
des ouvriers des établissements industriels de l’État
(FSPOEIE), autres régimes
1 679 Md€
Sources : recueil des normes comptables de l’État, compte général de l’État 2012
Admettons, on taxe à hauteur de 15 % le patrimoine des français. Bien, ces derniers pasent leurs journées en manifestations publiques, grêves générales et votent FN mais en contre partie, la dette est effacée. Alors me direz vous, la France va mieux et il n'y a donc plus besoin de la réformer. On continue comme avant et on verra s'il faut ou pas taxer à nouveau les français dans une ou deux décennies. La monarchie prononçait de temps en temps la banqueroute du Royaume, le Roi ordonnait l'emprisonnement ou la décapitation de son surintendant des Finances et la France restait paralysée par ses privilèges. Notre pays n'a pas besoin de nouvelles taxes mais de vrais réformes en profondeur pour un meilleur avenir.
@ XS : d'accord, avec une nuance juridico-financière : si les retraites des fonctionnaires relevaient du droit commun, cette "dette hors bilan" constituée par les futures pensions aurait pour contrepartie un "actif hors bilan" constitué par le droit à percevoir les futures cotisations. En fait les pensions des fonctionnaires retraités sont principalement payées par le budget général comme s'ils étaient encore titulaires (mais dispensés de travailler en raison de leur âge). Dans ce cadre, les pensions futures pourraient avoir le même statut comptable que les salaires futurs des fonctionnaires déjà recrutés. Bref, techniquement considérer ces montants comme une dette, au sens d'un engagement déjà pris, est sans doute juste, mais n'a de sens que si la continuité du service public est assurée, et que l'Etat continue donc à percevoir les recettes (impôts) qui financeront ces pensions et salaires.
@ Bernard : profondément d'accord là-dessus. La proposition de Jacques Delpla revient à faire payer par tous les propriétaires de France, les 2000 milliards de déficits passés de l'Etat, des collectivités et de la Sécurité sociale, sans recréer (au contraire) les conditions d'un équilibre futur.
@Frédéric
D'accord avec votre précision juridico-financière, mais j'ajoute une précision politico-démographique.
En fait, concernant les retraites de l'Etat, les cotisations ne représentent qu'une partie faible du financement. Ou plutôt, l'Etat employeur verse une cotisation fictive qui n'a rien a voir avec celle du secteur privé.
On trouve cela dans le rapport 2014 sur les pensions du secteur public:
http://www.performance-publique.bud... p19
Si les fonctionnaires ont cotisé à 8,76% en 2013 (hors primes) et doivent rejoindre en 2020 le taux du secteur privé (11,80%) , l'Etat a cotisé lui en 2012 à 68,59% pour les fonctionnaires civils, 121,55% pour les militaires et 27,40% pour les fonctions publiques territoriale et hospitalière. Par comparaison, le taux de cotisation retraite des employeurs du privé est de 15,70%.
Autant dire que le supplément de cotisation de l'Etat (de près de 53%) correspond à une dépense non financée et va alimenter la dette.
Dépense non financée qu'on peut évaluer à 25 à 30Mds€ sur les 36,4Mds€ versés uniquement pour les fonctionnaires "civils".
Le rapport préfère lui dire pudiquement "Des disparités demeurent entre les taux de cotisation employeur " (p 22) alors que les différences augmentent fortement entre 2012 et 2013. Ainsi que "Les soldes des régimes de la fonction publique sont à l’équilibre" (p9) , mais "la dépense du budget général se monte à 37,7 Md€, soit +4,6 % par rapport à 2011" .
Pour revenir aux engagements de l'Etat , ils apparaissent dans ce document à 1498M€ fin 2012 (soit ~75% du PIB) le chiffre étant imposé par la norme comptable IAS 19 qui
" consiste à évaluer, à législation constante, la valeur actualisée des pensions qui seront versées aux retraités et aux actifs présents à la date d’évaluation (logique de système fermé), ... vise à refléter la situation des engagements à droit constant, sans préjuger des recrutements futurs. "
Ces 1498M€ sont répartis entre 961Mds€ pour les retraités actuels et 537Mds pour les actifs (p 14).
Là, je n'ai pas la formule de calcul (cela doit être une belle intégrale)
Mais il est clair que si on chiffre un déficit annuel à 30Mds d'€, on a pas actuellement d'accord pour le financer, ni de la part des agents de l'Etat (qui doivent rejoindre péniblement les 11,80% de cotisation du privé en 2020), ni de la part des contribuables ou cotisants non fonctionnaires.
De plus, la démographie va amplifier ce poids.
Clairement l'Etat n'a plus l'autorité de combler ce déficit. Donc c'est pire qu'une dette.
Maintenant, il est illusoire de multiplier ce déficit annuel par 40 ou 60 ans. On sera dans le mur avant. Peut-être dès 2016.
Pour revenir à JL Mélenchon, il doit être conscient que la restructuration de la dette de l'Etat, qu'il prône dangereusement, passe d'abord par une restructuration des pensions, y compris dans son propre électorat.
Il faut espérer que les petites pensions seront protégées, mais que les retraites des sénateurs et autres politiciens à vie seront les premières touchées.
Il faut se rappeler qu'en 2009, la faillite de la plus grande entreprise du Monde, General Motors (et l'une des plus grosses organisations , après l'armée chinoise, l'armée russe, et notre Education Nationale)
La cause était: les régimes spéciaux de retraite. (et aussi de maladie, avant l'Obamacare)
http://www.usinenouvelle.com/articl...
L'Etat français en est maintenant au même point.
La différence est qu'il a un consommateur obligé, qui est le citoyen français.
http://www.marianne.net/Extension-d...
François Bayrou bientôt au pouvoir selon Houellebecq ?
Ces calculs de solvabilité collective sont toujours un peu artificiels. ce fut le problème en 1792, d'ailleurs : quand on nationalisa les biens du Clergé, on nationalisa les frais qu'ils occasionnaient. Il fallut ensuite trouver des acquéreurs solvables. Qui pouvait acheter ? Les biens furent souvent bradés, ou ne trouvèrent pas preneurs, si bien qu'il fallut des années pour que cette mesure de confiscation qui, sur le papier, suffisait largement à remettre le budget de l'État à flot, apporte enfin toutes les liquidités que l'on en attendait. La France termina ainsi le long cycle des guerres de la Révolution et de l'Empire ... sans un sou de dette. Merci qui ?