Barack Obama a suscité l'enthousiasme. L'enthousiasme des uns entraîne souvent la rancoeur des autres. L'enthousiasme des premiers se voit dans les sondages, la rancoeur des seconds attend souvent le jour du vote pour se manifester.


Déclameur : je ne suis pas neutre dans ce débat. Les fidèles lecteurs de ce blog en ont leur claque depuis longtemps, d'Obama, voire savent que j'ai sévi ailleurs.

Préliminaire : je crois très peu à cet effet Bradley avec lequel, depuis quelques semaines, on nous rebat les oreilles (beaucoup de sondés Blancs refuseraient de voter pour un Noir, mais n'oseraient pas l'avouer aux sondeurs). Je tends plutôt à imaginer ces mêmes américains Blancs hésitants sur un président "Noir" - je tends à les imaginer votant Obama quand même, parce que dans le bureau de vote on est citoyen et on se comporte comme tel. Par morale. (Complément, 1er novembre : le Pew Research Center a fait en 2007 une revue détaillée des sondages et élections pour lesquelles un candidat Noir et un candidat Blanc étaient en compétition : "Les sondages préélectoraux des dernières années, contrairement à ceux des années 80-90, ont donné des résultats fiables, et il n'y a guère de preuves d'un 'vote caché' en faveur du candidat Blanc").

Parenthèse : la "marge d'erreur" qu'on nous rappelle souvent, c'est-à-dire l'échantillonnage - typiquement, +-5 points pour un sondage auquel 400 futurs électeurs auraient répondu (soit un échantillon de 1000) - n'a pas grande importance dans cette affaire. Si on regarde le cumul de tous les sondages, cela fait des dizaines de milliers de répondants, bien moins d'1 point de marge d'erreur aléatoire - et Barack Obama l'emporte de bien plus. Si les échantillons étaient absolument aléatoires et les réponses des sondés absolument fiable, la cause serait entendue, sauf tremblement de terre d'ici l'élection.

Coeur du sujet : il y a au moins deux autres très bonnes raisons pour que les sondages puissent se tromper.

La première, c'est que les sondeurs savent eux-mêmes que leurs échantillons sont forcément biaisés, et les réponses des interviewés aussi, et que la date du sondage n'est pas celle de l'élection - en d'autres termes, ils savent qu'il y a entre leurs résultats d'enquête et l'élection future, des écarts difficiles à apprécier. Comment les compenser ? En "redressant" les résultats. Sur quelle base ? Pour se rapprocher d'autres sources d'information. Telles que les sondages des confrères.

Il peut donc y avoir auto-intoxication systémique des sondeurs les uns par les autres. En fait, j'ignore comment travaillent les sondeurs américains, et s'ils sont sensibles à cette maladie. Pour les sondeurs français, j'en suis sûr.

La deuxième, c'est que les partisans d'Obama peuvent répondre plus facilement aux sondages que les partisans de McCain.

En fait, comme l'explique par exemple le sondeur John Zogby, les Démocrates répondent plus facilement que les Républicains, et les sondeurs redressent déjà leurs résultats pour compenser ce biais. Ce redressement est facile à faire : aux États-Unis, l'électeur déclare son rattachement à un parti lors de l'inscription sur les listes électorales.

Mais cette élection est différente des autres. Barack Obama a soulevé un enthousiasme rarement vu. Ce n'est pas un candidat traditionnel du parti démocrate, c'est un candidat du centre, transpartisan, qui recueille le suffrage d'un Républicain comme Colin Powell. Ses partisans vont en foule aux bureaux de vote, pour voter par anticipation. Nul doute qu'ils se comportent de la même façon face aux sondeurs.

Le biais d'échantillon lié au "vote Obama" serait donc bien plus fort que le biais traditionnel d'échantillon lié à l'affiliation "démocrate".

Ah ! si j'avais un bulletin, moi aussi...


Également publié sur Nuit démocrate.