Figure imposée des polars : à l'écran, un personnage effrayé. Une grosse voix résonne, venant de derrière une porte fermée : un deuxième personnage en engueule un troisième - son complice. Ou bien l'on entend les hurlements de celui-ci, comme s'il était bastonné…[1].

Télématin jouait parfaitement le jeu de l'effroi ce 28 janvier, en demandant à chaque interviewé : alors, Nicolas Sarkozy à Davos, il leur a bien fait peur, aux banquiers ?

L'un des interviewés, Maurice Lévy de Publicis, alignait, en guise de "quatre vérités", des platitudes de sous-propagande UMP … Par respect pour ses fonctions, je veux croire qu'il parlait, la conscience déchirée, dans le seul intérêt de son entreprise.

Selon un autre interviewé, Davos s'attendait à ce que Nicolas Sarkozy reprenne les propositions de Barack Obama sur la régulation des banques. Une régulation de nature à changer les choses. Mais il n'en a rien fait. Au contraire, entre deux coups de canon à blanc, il a annoncé pour 2011 un "Bretton Woods" monétaire dont personne ne veut car personne ne voit à quoi ça servirait. Sinon - c'est moi qui précise - à blanchir de toute responsabilité et dispenser de tout engagement … la zone euro et la France.

J'ai voulu en avoir le coeur net, le discours est là en PDF. Et en un mot : l'interviewé a hélas raison.


Ça commence par une autocritique collective qui ne mange pas de pain : "C’est notre vision du monde qui, à un moment donné, a été défaillante. C’est elle qu’il nous faut corriger."

Ça continue avec des explications bouts-de-ficelle de la crise : "On a déréglementé la finance pour pouvoir financer plus facilement les déficits." (une phrase au passé avec "on", c'est comme "notre vision du monde", ça veut dire "ça m'embête mais vous savez, j'y suis pour rien").

Un salut à la commission Stiglitz/Sen sans le moindre engagement d'en appliquer les recommandations : "Nous devons sortir de la civilisation des experts qui ne discutent qu’entre eux..." (?...)

Et puis, page 3, on arrive au sujet sérieux, bien que sous la forme prudente d'une double négation : "Nous continuerons à faire courir des risques insoutenables à l’économie, à encourager la spéculation, à sacrifier le long terme si nous ne changeons pas la réglementation bancaire, les règles prudentielles, les règles comptables."

Ah ah. Les changer pour aller où ? Va-t-on entrer dans le vif du sujet ?

"Le capitalisme a toujours été inséparable d’un système de valeurs, d’un projet de civilisation, d’une idée de l’homme." L'eussiez-vous cru ?

"Que celui qui crée des emplois et des richesses puisse gagner beaucoup d’argent n’a rien de choquant. Mais que celui qui contribue à détruire des emplois et des richesses en gagne lui aussi beaucoup est moralement insupportable." Quelle blague ! C'est déjà insupportable même s'il ne gagne rien ! C'est insupportable qu'on puisse assumer les conséquences de ce qu'on fait gagner aux autres, sans assumer les conséquences de ce qu'on leur fait perdre ! C'est ça, le mécanisme de l'irresponsabilité !

Alors, ces changements indispensables de la régulation ?

"Sans le G20, il n’aurait pas été possible d’envisager de réglementer les bonus, de venir à bout des paradis fiscaux, de changer les règles comptables, les normes prudentielles. Ces décisions, elles ne résolvent pas tout, mais qui, il y a à peine un an, aurait pensé qu’elles étaient possibles ?" Vous avez bien lu : Nicolas Sarkozy parle au présent de décisions qui "ne résolvent pas tout" comme si elles avaient déjà été prises. Comme pour la bastonnade fictive derrière le mur … c'est là le truc.

Nicolas Sarkozy enchaîne en demandant l'application effective desdites décisions : "Comment, dans un monde de concurrence, exiger des banques européennes trois fois plus de capital pour couvrir les risques de leurs activités de marché et ne pas l’exiger des banques américaines ou asiatiques ?" Ça doit être l'ignorance, mais la brutale recapitalisation des banques européennes m'avait totalement échappé.

Après quelques mots sur le social, sur le climat et sur la pauvreté, Nicolas Sarkozy en arrive aux propositions de Barack Obama - en se disant "d'accord" seulement avec une partie très limitée, jugez-en par le § intégral : "Je suis d’accord avec le Président Obama quand il juge nécessaire de dissuader les banques de spéculer pour elles-mêmes ou de financer des fonds spéculatifs. Mais ce débat ne peut pas être tranché par un seul pays quel que soit son poids dans la finance mondiale. Ce débat, c’est au sein du G20 qu’il doit être tranché."

Et de quoi va-t-on parler au G20, alors ? Sur quel Grand Changement concentrera-t-on l'énergie des dirigeants du monde ? Comment tranchera-t-on le débat sur la régulation de la finance, la taille et l'activité des banques ?

Eh bien, coup de théâtre ! Entre en scène un bouc émissaire dont on n'avait pas entendu le bêlement depuis le début du discours…, Mesdames et Messieur, le dollar !

"La monnaie est au coeur de ces déséquilibres. ... Aujourd’hui nous avons besoin d’un nouveau Bretton Woods. On ne peut pas avoir d’un côté un monde multipolaire et de l’autre une seule monnaie de référence à l’échelle planétaire... La France qui présidera le G8 et le G20 en 2011 inscrira à l’ordre du jour la réforme du système monétaire international."

Baisser de rideau, air final sur la citoyenneté car "dans le monde de demain il faudra de nouveau compter avec... l’exigence de dignité des citoyens." Que d'ici là, on aura roulés dans la farine une fois de plus, et on aura fait frire.


Moyennant quoi, selon notre bonne presse française, Nicolas Sarkozy "soutient Barack Obama" (1, 2, 3, 4…).

No bullshit. Limit the scope, limit the size.

Notes

[1] Variante farce : Molière, Les Fourberies de Scapin, Acte III Scène 2.