Ce blog comporte beaucoup plus de billets sur le budget de l'État ou sur la BCE, que sur les questions de société. Pourtant, de formation et de profession, je connais bien mieux celles-ci que les sujets financiers ou macro-économiques.
Mais s'il s'agit de tourner en dérision le 13ème sommet européen de la dernière chance pour la Grèce, je n'ai pas de mal à publier : c'est tellement simple, gros comme une maison, que le billet se dessine vite et sans remords.
C'est une autre paire de manches quand les décisions politiques concernent directement des personnes dans une situation spécifique — plus encore si ces personnes ont été et sont victimes de discriminations, de persécutions, quand la loi même les condamne encore dans de nombreux pays.
J'ai vu passer, sur le projet du gouvernement, une discussion par mail, entre des amis, qui tournait fort mal, attaques personnelles et procès d'intention allaient bon train. Ça m'a décidé à intervenir. Voici donc un billet sans euro à l'intérieur.
Ma citation préférée sur le sujet est de Barack Obama[1] : "Je ne pense pas que le mariage soit un droit civique, mais je pense que ne pas être discriminé au regard du mariage, c'est un droit civique".
Comment assurer l'égalité de droit à toutes les personnes quelle que soit leur orientation sexuelle, tout en reconnaissant que le mariage est une institution sociale et non, ou pas seulement, un droit individuel (on ne se marie pas tout seul), c'est toute la difficulté.
Ce n'est pas étonnant que ce débat soit resté des décennies sans être tranché. Ceci en France ou ailleurs : quelle que soit la législation locale, il y a toujours des débats tendus entre partisans et opposants. C'est parce que ces questions concernent le coeur de la vie des gens et de la société, qu'elles sont difficiles. Quel que soit le choix fait par le législateur, des gens en sont blessés.
Une tension de ce genre, entre un principe de droit et une institution sociale, évolue souvent avec la société : le mariage civil aujourd'hui a beaucoup évolué depuis sa version napoléonienne. Celle-ci en faisait, je crois, une institution destinée en premier lieu à l'accueil et à l'éducation des enfants (en les "légitimant"), et créait, toujours à ma connaissance, peu de droits pour les deux parents. Surtout des devoirs.
Il me semble que les évolutions de la législation (cf. loi Giscard/Veil de 1975 sur le divorce, allocations familiales dont les prestations sociales en faveur des parents isolés, etc. etc.) ont beaucoup changé la perspective de la société sur le mariage.
Parallèlement, la situation des enfants dans des couples de même sexe (qu'ils aient été adoptés par l'un des partenaires du couple, ou soient biologiquement l'enfant de l'un de ceux-ci), est de mieux en mieux connue, médiatiquement et scientifiquement.
Barack Obama, qui défendait encore en 2006 une "union civile, pour les gays ou les lesbiennes, qui leur garantirait essentiellement les mêmes droits" (la citation précédente est de 2004), s'est prononcé récemment en faveur de l'accès, au mariage, de personnes du même sexe. Je doute que lui-même ait beaucoup changé d'avis depuis 2004 : il me semble que c'est la société qui a changé ; plus précisément, que la perception que la société a d'elle-même et de ses institutions, a changé.
En une phrase : si le mariage civil entre personnes du même sexe est beaucoup plus envisageable, aujourd'hui, qu'il ne l'était il y a cinquante ans, c'est que le mariage civil a changé depuis cinquante ans.
Civil — car tout ceci ne concerne que le mariage civil : les chrétiens, les musulmans… restent libres de "marier" religieusement selon leur propre conception du mariage.
Je pense que l'existence d'un seul mot, mariage, pour ces deux réalités, contribue à compliquer le débat : si Napoléon avait appelé le mariage civil d'un autre nom, je suppose que le débat serait bien plus tranquille aujourd'hui. Mais avec des "si", on mettrait deux siècles d'Histoire en bouteille
Notes
[1] Comme souvent !
Je crois aussi que c'est le mot "mariage" qui vient compliquer ce débat.
"Mariage civil", "mariage religieux", si on conserve le même mot seulement suivi d'un épithète pour lui donner un sens plus profond, on va vers la confusion entre ce qui relève de l'Etat et ce qui est de l'ordre du religieux.
Ce serait quand même plus simple si on donnait un autre nom à une union civile... PACS me semblait pas mal!
Même si je souscris totalement à ta vision des choses, je crains que ce ne soit pas un problème d'ordre lexical. Le prisme par lequel chacun d'entre nous regarde les autres influe quasi définitivement sur notre vision du monde. Lorsque Nicolas SARKOZY disait : "j'ai une étrange vision du monde qui consiste à croire que la meilleure façon d'éduquer un enfant, c'est d'être élevé par un couple composé d'un homme et d'une femme", il le disait moins par conviction personnelle sur les valeurs familiales que par aversion d'un comportement qu'il juge dangereux, tout comme certains évêques agitant le spectre d'un déliquescence sociétale.
Attention, je ne dis pas que les couples homos feront mieux, mais en voyant nombre d'enfants bousillés alors qu'ils sont élevés par des couples hétéros, je me dis que ça vaut certainement le coup de leur laisser une place à part égale dans notre société. En cela, il faudra rappeler à tous que d'avoir un enfant implique beaucoup de devoirs que de droits.
Pour ma part, je suis d'accord que le mot "mariage" accroche. Je n'ai pas hélas toutes les connaissances en la matière pour défendre mon point de vue, mais je vous le soumets pour l'instant :
Si on admet que la différence homme/femme marque fondamentalement l'existence humaine, alors c'est moins précis d'utiliser un seul et même mot pour désigner un contrat qui unit deux personnes de même sexe, ou deux personnes de sexe différent. Utiliser le même mot laisse penser que la différence sexuelle a peu d'implication dans ce que vont constituer les deux types d'union. Or les "briques sociales" ou les liens sociaux que sont ces deux types d'union sont parmi les plus déterminants pour la société (car ils durent dans le temps, sont des acteurs économiques, sont des lieux où naissent de nouveaux citoyens, sont des lieux d'éducation, etc.).
On pourrait même penser que cela dessert la reconnaissance des unions homosexuelles, qui se voient absorbées dans le terme "mariage" et par là non reconnues dans leur spécificité.
Bien au contraire, le terme mariage est souhaité - apparemment - par bon nombre de personnes homosexuelles (mais pas tous - je n'ai pas de sources à mettre en lien). Pourquoi ? Plusieurs réponses possibles. Si c'est pour "être tout comme..." ou bien "avoir les mêmes droits que...", je trouve que cela ne justifie pas que le mariage, jusqu'à présent désignant l'union durable d'un homme et d'une femme, désigne soudain aussi l'union durable de deux personnes de même sexe. Le mot "mariage", même qualifié de "civil", ne désigne pas seulement un contrat juridique.
Bref je crains qu'on fasse du très éphémère, qu'on suive purement l'air du temps (mais c'est vrai, le temps s'accélère...). Signe : peu de débat public. On a trop peur de passer pour homophobe, sans doute, qui plus est, j'imagine, sur une question divisant les camps politiques.
Moi en tout cas, ça me déprime qu'on puisse dire que la problématique est juste d'ordre sémantique.
Je suis aussi d'accord avec JF. Il suffirait de parler d'"Union civile", en donnant les droits fiscaux, contractuels ou de succession qui vont bien. (on le limite à 2 personnes, et on le limite au sein d'une même famille ..)
A noter que si la confusion avec le mariage religieux existe, c'est aussi que la République a imposé, en 1791, que le mariage civil soit avant le mariage religieux. Question de pouvoir. Les prêtres contestataires étaient poursuivis, et cela pouvait se terminer à l'échafaud.
Faut-il garder l'"union civile" avant le "mariage religieux"? Sans doute oui, cela permet d'assurer que les mariés religieux ont les avantages financiers civils, en faisant bien la différence. Au passage, cela permet aussi de s'assurer qu'on ne se marie pas 2 fois dans deux religions différentes...
@jbl
Oui, je suppose que ton désaccord avec la mesure annoncée par le gouvernement va au-delà de la question du choix des mots.
Mais cette dernière question n'est pas un petit problème malgré tout. Dans le cas présent, le choix du mot n'est pas qu'un problème de vérité ou d'exactitude scientifique. Le choix des mots - ici par le législateur - est aussi un acte libre qui a un effet, un impact sur les représentations que nous nous faisons des choses, notre vision du monde, notre relation au monde où nous vivons, et finalement nos propres choix et actions.
Pour ma part, je pense pour l'instant défendable que retenir le terme de mariage civil pour un contrat unissant deux personnes de même sexe est de l'ordre de la confusion, d'un appauvrissement de notre connaissance du monde et de notre existence.
@ZigHug : d'accord à 100%. C'est bien ce que je pense, la problématique ne se résume pas à de la sémantique, même si les mots ont effectivement -et dans tous les domaines- une importance capitale. D'ailleurs, JF le démocrate le dit, pour les mots il y a le PACS.
"appauvrissement de notre existence" : je ne savais pas comment formuler ma remarque hier et après de longues hésitations, j'ai finalement opté pour simplement exprimer mon dépit, mais cette remarque exprime complètement ce que je ressens (notamment pour mes enfants) et pense.
Merci pour ces différents commentaires aussi apaisés que profonds !
Ils me conduisent à préciser ce qui me conduit à mon point de vue actuel sur le sujet (aussi flou soit-il).
Sur l'union de couples de même sexe, j'ai surtout en tête, depuis quelques années, la lecture de ce billet de Un swissroll : http://swissroll.info/?2006/08/26/7... et de l'appréciation du partenaire blogueur, François Brutsch sur la question du mariage : http://swissroll.info/?2006/08/26/7... . En retrouvant cette référence, je tombe sur ce billet plus récent qui débat sur le fond de l'alternative "partenariat ou mariage" : http://swissroll.info/?2012/03/18/1... . Je me sens tout à fait en accord avec la conclusion de l'auteur (le reste du billet est en français !) :
"1. I think for the time being it’s best to affirm diversity by keeping the distinction between two institutions equal in rights and dignity: marriage for opposite sex couples and civil partnership for same sex couples.
2. In due course I’m in favour of both marriage and civil partnership being folded into a generic “civil union” institution, and churches being free to conduct, or not, the ceremony according to their rules.
3. I won’t demonstrate and go on hunger strike againt the Government’s proposal, in fact I’m quite resigned it might become law during this Parliament."
En l'occurrence la proposition du Gouvernement Cameron consiste précisément à ouvrir le mariage civil aux couples de même sexe, ce qui est essentiellement, si je comprends bien, un changement de dénomination.
Le 2ème point à préciser est la raison pour laquelle, moi non plus, le sujet ne me traumatise pas au point de défiler ou faire des grèves de la faim : je suis marié religieusement. Le mariage a été célébré en 1991 et j'avais tendance à minimiser l'importance du mariage civil ("c'est pour les papiers") par rapport au mariage religieux ("c'est pour la vie"). Si bien que les choix du gouvernement modifiant le cérémonial, les conséquences juridiques ou même les conditions d'accès au mariage civil, m'interpellent certainement moins que si j'étais marié seulement "au civil". C'est plutôt un point faible dans ma réflexion ; d'ailleurs j'ai appris depuis qu'historiquement, l'Eglise catholique reconnaissait tout à fait comme un couple marié des personnes qui l'étaient sans être passées par l'Église (je ne sais pas bien où elle en est sur le sujet aujourd'hui). J'avais donc sous-estimé l'importance, même du point de vue religieux, du mariage civil.
@jbl : juste un correctif lié à ma rédaction, j'ai voulu dire >> "appauvrissement de la connaissance de notre existence" pas "de notre existence"
@Fred : oui, dans le même sens, je pense que tout contrat est déjà qqch, un événement social et un lien qui se crée, et c'est vrai que le mariage qui contractualise l'union pour une très longue durée d'un homme et d'une femme, qui vont souvent avoir des enfants et les éduquer, ça ne peut pas être réduit à une question de papier emballant une chose privée sans rapport avec la vie sociale.