Avons-nous vraiment eu un Ministre de l'Intérieur à l'époque où Claude Guéant était affecté place Beauveau ?

M. Guéant dit avoir touché des dizaines de milliers d'euros en liquide en tant que directeur de cabinet — il précise que des "milliers de personnes" bénéficiaient de ce régime. Voici donc des dizaines ou centaines de millions d'euros qui ont été dépensés hors de tout contrôle. Que faisait la police ?

Ou alors, il y avait moins d'argent : M. Guéant et quelques autres prenaient l'essentiel, et ne laissaient aux milliers d'autres que les centimes. Là encore, que faisait la police ?

Ce n'est pas avec ces espèces qu'il a acquis ses deux petites marines d'Andries van Eertvelt, d'une valeur actuelle de 30 254 €, puisque l'achat date, indique-t-il, d'il y a "une vingtaine d'années".

Il les vend 500 000 € à un avocat malaisien, grosse plus-value, non taxée puisque l'achat date de plus de douze ans. Bravo : pas une "mauvaise affaire" pour lui. Mais une très mauvaise pour l'acheteur, qui a perdu, au cours actuel, 94% de sa mise.

Enfin M. Guéant ne demande pas de certificat d'exportation : faisons confiance à son honnêteté, cela prouve que les tableaux n'ont pas été exportés. Même payés par un avocat malaisien, ils sont toujours en France.

Bon, mais alors…

Même le dernier des débutants dans la vie politique se demanderait ce qui peut motiver l'acheteur. Pourquoi il paierait deux tableaux 16 fois leur prix.

Même le dernier fonctionnaire de l'Intérieur se demanderait qui est ce grand seigneur, et quelles sont ses intentions. Si cet acheteur ne serait pas en mesure de faire pression, en retour, sur le vendeur à qui il a fait faire une si bonne affaire. D'ailleurs, cet acheteur au bras qui s'allonge a sans doute une activité ou une résidence en France, puisqu'il y laisse ses tableaux. Or, si j'ai bien lu[1], Claude Guéant dit ignorer même qui est le véritable acheteur — si l'avocat achetait pour lui-même ou pour un tiers.

Même le plus ignorant en droit le remarquerait : la Malaisie n'a pas de convention d’entraide judiciaire avec l’Europe ; ce qui pourrait conduire une personne publique à préférer réaliser une transaction aussi importante avec un pays plus traçable.

Même un Ministre de l'Intérieur qui aurait été débarqué de Sirius, sans la moindre expérience des cabinets, aurait été informé, au bout de quelques jours de poste, des circuits du blanchiment international, et du rôle qu'on y fait jouer aux oeuvres d'art.

Seulement voilà : M. Guéant n'a certainement jamais été ni dans la vie politique, ni à l'Intérieur, ni avocat. Ni Ministre.

C'est lui qui le dit.

"Je n'ai jamais rien blanchi, donc (sic) je ne sais pas comment on fait, hein. Simplement j'ai vendu des choses, vraiment, à quelqu'un qui les a achetées (sic) et qui m'a rémunéré (sic). (…) J'ai pas fait une mauvaise affaire, ça c'est vrai".

Le Monsieur "l'a rémunéré"[2]. La suite dira qui a "fait une mauvaise affaire".

Notes

[1] Mais je ne retrouve pas cette déclaration.

[2] Expression abracadabrantesque pour une vente : pourquoi pas "me les a payées" ?