Mon ancien adjoint au maire Manuel Valls a repris au PS le rôle de "blairiste" jadis tenu par Jean-Marie Bockel. Après que Ségolène Royal ait reconnu ne pas croire à ses propres engagements sur les 35 heures, le voici qui en prend de surréalistes. Mais l'embarras des leaders du PS montre que Manuel Valls a sans doute mis les pieds… dans un bon plat.
1) Les "35 heures" sont-elles la règle en France ? Oui, contrairement à ce que dit M. Valls qui croit que certaines PME n'y sont pas et qu'aucun socialiste n'accepterait de les y faire passer ...!
2) Les Français travaillent-ils moins que les autres ? Oui, la durée réelle annuelle du travail en France est inférieure de 10% environ à la moyenne de celles des pays riches (OCDE), soit l'équivalent du passage des 39 aux 35 heures. Si on regarde la durée de travail hebdomadaire des seuls salariés temps plein, la France est l'un des pays où elle est la plus basse avec 39,3 h en 2009 - mais Belgique, Pays-Bas, Irlande et pays Scandinaves sont légèrement en-dessous.
3) Les "35 heures" sont-elles un "verrou" pour les entreprises ? Non, au contraire, et ce chiffre de 39,3 h le montre : le paquet fiscal de Nicolas Sarkozy en 2007 rend les heures supplémentaires moins chères globalement que les heures normales ! aux frais de l'Etat ! Les entreprises sont subventionnées à la fois pour la réduction du temps de travail et pour son extension. Cela incite les entreprises à ruser avec le fisc et à éviter des embauches. Le délire de gauche a été complété par un délire de droite.
Evidemment, s'il s'agissait de "déverrouiller", le plus judicieux serait un mécanisme qui laisse libre la durée entre 35 et 39 h selon la charge de travail de l'entreprise et la disponibilité des salariés, à coût horaire total constant. Ce ne serait ni du socialisme ni du sarkozysme ni du blairisme, juste du bayrouisme.
Mais aujourd'hui le défi le plus grave n'est pas là, et c'est en cela que M. Valls met sur la bonne piste. Le problème des 35 heures ET de la défiscalisation des heures sup', c'est que l'État n'en a tout simplement pas les moyens.
M. Valls a raison de le dire pour les heures sup'. Il oublie de le dire pour les 35 heures. Il oublie aussi de le dire pour la fonction publique d'Etat, territoriale et hospitalière. Une France au fond du trou financier doit arrêter de creuser. Elle doit désormais prendre des engagements tenables, durables. Et ce n'est le cas ni de sa politique de défiscalisation, ni de l'emploi public.
Il n'est certainement pas nécessaire de revenir aux 39 heures. La "réduction du temps de travail" a été l'occasion de réorganisations qui ont permis des gains de productivité. Dans l'enseignement, le nombre d'heures de cours par enseignant n'a d'ailleurs pas été réduit du tout[1].
Mais si quelqu'un croit tenable de maintenir les 35 heures dans la fonction publique, la réduction de charges sociales liée à la RTT et le paquet fiscal "heures sup'", j'aimerais bien voir l'argent avec lequel il les paiera.
Notes
[1] Mise à part la suppression du samedi matin au primaire, par le gouvernement Fillon. Trois heures remplacées par des heures de soutiens aux élèves en difficulté.
A coût horaire ou à coût global constant ? La conjonction des deux me semble hardie...
Il faut aussi dire que certes les Français travaillent moins mais ils sont plus productifs. Ajoutons que cela occasionne plus de stress et de maladies liées au travail.
@ GM : merci pour cette lecture attentive !
j'ai bien écrit "coût horaire total", c'est à dire en substance : "net + charges - réductions d'impôt et charges".
Les heures sup' "Sarkozy" reviennent au total moins cher que des heures normales (sauf erreur de ma part) ce qui est aberrant pour l'emploi, pour les finances publiques et pour une saine gestion des entreprises. En revanche, ça contribue à faire vivre, j'imagine, les cabinets d'optimisation juridico-financière.
@ Jérôme Charré : c'est exact, la productivité (en PNB par heure travaillée) est plus élevée en France : 10% de plus que la moyenne de la zone euro, et 20% de plus que la moyenne OCDE. http://stats.oecd.org/Index.aspx?Da...
La productivité française a pu effectivement progresser grâce à la RTT. Selon les données OCDE sur la productivité du travail, sur 10 ans 1996->2005, la productivité du travail en France a progressé de 20%, contre 17% en Allemagne ou 15,5% en moyenne dans l'UE15, ce qui ferait 4 ou 5 points de mieux.
Cependant je n'ai pas voulu aller dans cette direction… parce que le concept de "productivité" est mangé à toutes les sauces, c'est en réalité une notion TRÈS difficile à mesurer. Elle ne signifie pas du tout que l'on travaille plus dur. Par exemple (et sans le déprécier
un employé de grand hôtel sera mesuré comme beaucoup plus productif qu'un employé de "Formule 1" ; cela a bien entendu une signification, mais pas forcément en termes de pénibilité du travail.
Dans tout le secteur non marchand (autour de 40% de l'économie), la productivité est mesurée par les coûts. La fonction publique d'Etat vieillit, donc coûte plus cher par heure de travail (à l'ancienneté), donc est considérée dans les statistiques comme plus productive. Ce n'est peut-être pas faux, mais c'est mal prouvé.
Et si on regarde l'évolution de la productivité globale des facteurs (travail et capital), la progression de la France me semble être dans une moyenne basse de l'OCDE : +0,7% par an en moyenne (1995 -> 2009).
Bref, je pense avec toi que les réorganisations liées à la RTT ont pu augmenter la pression et le stress, mais je ne ferais pas confiance aux statistiques macro-économique pour le mesurer de façon fiable.
La productivité est un concept assez flou et très divers selon les secteurs et les métiers, mais le fait qu'elle ait progressé compense la baisse de la durée du travail.
Oui ; enfin : le fait qu'elle progresse plus que chez les pays similaires et concurrents. Je me souviens qu'en 2005-2006 j'avais regardé ça de plus près ; j'avais dû estimer que les gains de productivité avaient compensé à peu près la moitié de la réduction du temps de travail - en gros, on travaillerait 35 heures payées 39 pour produire 37. Déjà à l'époque, je trouvais ces estimations très fragiles. Je le pense toujours même si on retombe avec ces tableaux OCDE sur la même estimation (10% de travail en moins, 5% de productivité en plus).
Les chiffres sont un peu biaisés.
Notamment, le nombre d'heures travaillées officiellement par les enseignants fait baisser un peu la moyenne.
Cela n'a rien à voir avec les 35h, car justement les enseignants n'y ont pas eu droit. (les enseignants chez nos voisins ont des horaires officiels plus importants, quitte à enseigner 2 matières ou faire des activités annexes comme en Allemagne). On peut penser a d'autres professions liés aux secteurs public à horaire particulier (ex: police nationale, roulants SNCF, ..).
Si on prend, le chiffre de 1607h qui est la référence non cadre pour le secteur privé, on arrive à quelque chose de proche de nos voisins à "économie sociale de marché" (D, B, NL, DK et même UK).
Les heures supp des cadres ne sont pas payées (sauf cas rares de pointeuses dans des entreprises para-publiques) et les 35h ont amplifié la tendance (au contraire vous téléphonez à Stuttgart le vendredi à 16h, il n'y a plus personne, sauf dans les start_up) . Par contre, le nombre de jours officiels max pour les cadres a baissé : actuellement 218j contre 228j avant (5*52-25j congés-7j fériés en moyenne). Cela fait donc 4,5% de jours de travail en moins, mais pas 10% de temps de travail en moins.
@ XS : effectivement il est difficile de compter de façon homogène le temps de travail, d'un pays à l'autre, et beaucoup de cadres français "surtravaillent" sans que ce soit déclaré. C'est peut-être tout de même mesuré dans les enquêtes INSEE (je ne sais pas quelles sont leurs sources).
Concernant les enseignants, j'imagine que le temps de travail déclaré pour eux est un temps plein, non pas les seules heures devant les élèves. Il faudrait regarder de plus près la méthodo de l'étude, ce que je n'ai pas fait.
Il va falloir s'accorder sur les chiffres (ou du moins, préciser clairement leur mode d'obtention), selon d'autres sources la France est dans la moyenne de l'OCDE et les pays nordiques (notamment les Pays-Bas) sont très nettement en-dessous...
Ceci dit ces débats sont stériles, dans la mesure où il ne s'agit pas d'une durée hebdomadaire fixe et imposée, mais simplement d'un seuil à partir duquel les heures deviennent "supplémentaires" et payées plus cher (en nombre variable et libre, dans la limite de 13h par semaine puisque le plafond hebdomadaire total est à 48h). Et d'après une rapide revue de web, personne ne veut d'un relèvement de ce seuil (ni les salariés qui verraient leurs revenus baisser ; ni les employeurs et les syndicats qui verraient les laborieux efforts des années précédentes pour obtenir puis appliquer des accords, réduits à néant et le climat social devenir encore plus tendu...).
Le reste, c'est du blabla. Les pertes pour l'Etat provient des diverses exonérations ? Alors c'est sur ça qu'il faut revenir, rien à voir avec le seuil légal, c'est pourtant simple. Les effets des 35h sur l'emploi, la productivité, la compétitivité ? Spécieux, on ne peut pas isoler un facteur comme ça et tirer des conclusions péremptoires... gare à la myopie, de plus une corrélation statistique n'a jamais été une preuve de relation de causalité. Mais après tout, on peut toujours gloser, ce n'est pas forcément déplaisant... ^^'
Sur la productivité : oui c'est très confus et à manier avec des pincettes, néanmoins quand on compare le même pool global à x ans d'intervalle, on peut quand même regarder un peu les chiffres (ce n'est pas aussi risqué que de comparer deux pools totaux entre deux pays, ou deux sous-pools dans un pays).
Vous aviez commencé à expliquer ces aspects en commentaire à l'un de vos articles il y a quelques mois, pourriez-vous en faire un article "réel" pour poursuivre ces réflexions que vos lumières nous aident à stimuler ?
http://www.democratie-socialisme.or...
http://rimbusblog.blogspot.com/2011...
http://eco.rue89.com/2011/01/04/35-...
http://www.marianne2.fr/Les-35-heur...
@ Florent : je n'ai pas d'autres sources ici que les tableaux de l'OCDE elle-même sur son site. Mais chaque commentateur, en choisissant tel tableau plutôt que tel autre (temps plein vs tout le monde, salariés vs tout le monde, hebdomadaire vs annuel...) ou telle comparaison (UE15, OCDE, Allemagne et pays "sociaux-démocrates" du Nord, USA-Royaume-Uni...) arrivera facilement à des conclusions qui servent sa thèse...
Et même les comparaisons dans le temps ne sont pas si fiables. Si votre entreprise industrielle ou votre administration passe, entre le 31 décembre et le 1er janvier, aux 35 h payées 39, ni les machines ni la demande du public ne changeant, il y a de bonnes chances que votre production et votre CA soient stables (industrie) et vos salaires sont stables (administration), en d'autres termes votre productivité vient de progresser de 11,4% d'une année sur l'autre ! Certes, la production accapare plus de votre temps, les tâches de back-office ou de R&D vont être moins efficace ou reportées et cela va se traduire, à terme, en non-qualité ou en pertes de part de marché. Mais il faudra typiquement 3 à 5 ans pour que ça pèse sur les chiffres incluant la productivité (industrie) et dans le cas de l'administration, ça imposera des embauches (ce qui était d'ailleurs le but), toujours à "productivité" constante.
Bref, pour savoir si une entreprise peut être aussi compétitive, productive et innovante avec des salariés travaillant 35 heures qu'avec les mêmes salariés travaillant 39, le bon sens peut être un meilleur guide que les statistiques macro-économiques.
A l'époque de Mme Aubry et de MM. Jospin et Strauss-Kahn, le bon sens avait répondu : non, c'est impossible, il faut donc dédommager les entreprises à hauteur de dizaines de milliards d'euros (les fameux allègements de charges). Ce à quoi, si mon souvenir est bon, des gens comme François Bayrou avaient répondu : c'est bien joli, mais l'Etat n'en a pas les moyens. Ça aussi fait partie du bon sens… mais celui-là manquait cruellement. Le gouvernement de l'époque a bâti un énorme système de bonneteau, avec des Caisses Nationales et des Fonds Nationaux censés se subventionner les uns les autres, histoire de planquer le coût réel "des 35 heures" pour les fonds publics. Le gouvernement Raffarin a essayé de mettre un peu d'ordre dans ce labyrinthe, mais fort prudemment, et de toute façon un peu moins d'opacité ne signifie pas forcément moins de déficit...
Pour résumer : j'ignore si les 35 heures ont été une bonne mesure pour la société française, si leurs avantages immédiats en terme de temps libre ont contrebalancé leurs inconvénients en termes de production nationale et (après quelques années) de pouvoir d'achat. Ce dont je suis sûr, c'est qu'elles ont été payées avec ce fameux "argent de nos enfants" qui devient de plus en plus difficile à leur piquer.
Merci pour cette réponse et les articles suivants