Je suis avec stupéfaction le débat qui anime Twitter, Facebook et autres depuis l'attentat de Nice — ça a l'air important pour beaucoup de gens, de savoir si le tueur était ou non "radicalisé", était ou non "islamiste", était ou non "dépressif", était ou non "soldat de l'État islamique".

WTF? Qu'est-ce que ça veut dire ?

Le terreau du terrorisme est fertile chez nous. C'est ça, le problème.

Un homme a tué 84 personnes et en a blessé 202, en les écrasant avec un camion frigorifique de location. Il était également armé d'une arme de poing.

Budget de quelques centaines d'euros, arme banale, opération praticable seul : une logistique qui se passe de tout appui, de toute appartenance.

Le terroriste kamikaze n'était pas religieux au sens d'être assidu au culte ou de se conformer aux règles morales de l'islam.

Et alors ? Dans quelle civilisation les hommes armés sont-ils soumis à la morale commune ? En tout cas ni chez al Qaïda, ni chez Daesh. C'est une bien vieille tradition, dans bien des religions, de considérer qu'une mort héroïque rachète ou efface une vie dissolue ou ratée.

Ce n'était pas un agent secret venu d'un autre pays, mais un habitant du coin.

De même que Mohammed Merah, que les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, que les auteurs des attentats de Saint-Denis et Paris, de ceux de Bruxelles.

Aucun d'entre eux, que je sache, n'était "radicalement" religieux, particulièrement pieux ou attentif aux textes sacrés. Ce qui est "radical", c'est la décision qu'ils ont prise d'en finir avec la vie en entraînant dans la mort le maximum d'autres personnes — particulièrement de Juifs, et particulièrement de personnes vivant une vie humaine normale, au bar, au concert ou au feu d'artifice, musulmans compris. Leurs pairs du Moyen-Orient ciblent d'ailleurs prioritairement des musulmans de la secte opposée, et des mosquées — chiites contre sunnites. Alors qu'ils partagent la même religion et le même pèlerinage à La Mecque.

Alors évidemment, les musulmans "religieux" s'écartent avec horreur de ces actes.

Comme les catholiques rejetaient avec horreur le terrorisme de l'IRA ou tout récemment celui des "anti-balaka" en Centrafrique.

Peut-être en leur trouvant tout de même des excuses : la cause de l'indépendance et de l'unité irlandaise est noble… les catholiques sont majoritaires en Centrafrique et étaient sous la coupe des milices musulmanes "Séléka" du Nord du pays…

C'est ce même mécanisme d'excuses — politiques, sociologiques, historiques — qu'il me semble urgent de désamorcer dans la société française.

Les tueurs sont fous au sens où ils ont perdu le sens essentiel, celui de la vie humaine. Mais si ces personnes — ces losers, lit-on, ces personnalités fragiles, ces idiots… — ont pu glisser dans cette folie, c'est, je pense dans tous les cas ou presque, à cause d'un environnement familial, amical, social, y compris les 'amis' sur les réseaux sociaux, qui n'a pas joué son rôle humanisant. Rôle qui est, normalement, celui des relations humaines.

En résumé : chaque acquiescement à la théorie du complot juif, chaque acquiescement à la théorie du grand remplacement, chaque acquiescement aux théories selon lesquelles l'islam serait par essence en guerre contre le reste de l'humanité — que ce soit pour approuver ou pour dénoncer — chacun de ces mots-là est un petit coup de pouce à la radicalisation d'autrui. Voire, à la radicalisation de soi-même.

Pas besoin de chercher en Syrie les marionnettistes des terroristes. Ils se radicalisent dans notre propre société. Et elle radicalise fort.

L'union nationale bras ballants, c'est un gag affreux.

Celle dont nous avons besoin, c'est d'une union pour reconstruire une société solidaire, antidote aux complotismes, riche d'espoirs, où la tentation de la violence se dissipe dans l'envie d'entreprendre ensemble. Et pour cela, il faut se parler entre gens différents, pas seulement entre ''amis'' qui se sentent d'un même camp.