4ème épisode d'une petite chronique des évènements burkinabé vus du Mont Trouillet… (30 octobre 2014, 31 octobre 2014, 1er novembre 2014).

La prise du pouvoir par les militaires s’explique par le « trait » (au sens des échecs) que les civils leur ont laissé. La première inquiétude des civils était celle de troubles militaires (concurrence entre régiments) : les civils souhaitaient donc que l’armée s’entende. Mais celle-ci s’est entendue sur le maintien au pouvoir de représentants du clan qui y était déjà, solution logique pour protéger leurs prébendes. En langage burkinabé, ça donne : le naam (pouvoir) passe à celui qui en était le plus près.

Dans le même temps la mobilisation politique civile était cassée par la journée de nettoyage de la ville (samedi 1er novembre). Cassée, ou transformée en expression d'une volonté collective de calme et de consensus.

Les sortants ont donc quelques jours devant eux pour vider les archives et les caisses, comme le regrettent des représentants de l'opposition (enfin, de l'ex-opposition).

Mais cela aura une fin prochaine, car heureusement, il y a les institutions internationales (UA, ONU, CEDEAO) qui ont, notamment l’Union Africaine, interdit les coups d’état. Les militaires sont donc interdits de faire usage de la force pour maintenir leur régime (ce qui est handicapant, pour des militaires), et sont contraints à la négociation. C'est un changement radical par rapport aux années 80.

Cette négociation peut aboutir assez rapidement, car, après 27 ans de régime Compaoré, 90 à 99% de la classe dirigeante est mouillée dans les grandes et petites illégalités du régime précédent, et aura intérêt à jeter un voile pudique, qui arrangera bien les militaires. Plutôt une "commission (vérité justice et) réconciliation", que des jugements et des emprisonnements.

Parmi les 1 à 10% non mouillés dans les affaires du régime sortant, il y a, je pense, plusieurs leaders communistes ou sankaristes. Ils ne sont certainement pas majoritaires dans le pays, mais la popularité posthume de Thomas Sankara leur permet d’être entendus. En particulier, ils ont été les premiers à insister pour une transition civile (Maître Benewende Sankara notamment — sans lien de parenté avec le défunt président).

Je mettrais aussi parmi les leaders les plus crédibles, peu liés au régime précédent, le leader de l’opposition Zéphirin Diabré, et l’ancien ministre de la Défense Kouamé Lougué. Le prochain chef d’État, après les élections, pourrait être l’un d’eux me semble-t-il.

Mais Zéphirin Diabré est le premier à considérer qu'une transition militaire était le plus sûr moyen de maintenir la paix civile. Surtout quand l'armée sait que "son rôle n'est pas de rester".

Le journal de Lutte Ouvrière a sorti un bon papier sur la situation burkinabé, que Dominique Mariette[1] a eu l'amabilité de me faire parvenir.

Heureux de la révolte populaire, LO prévoit cependant que l'alliance entre le capitalisme impérialiste et le régiment de sécurité présidentielle (ou d'autres forces armées) perdurera au Burkina comme dans d'autres pays d'Afrique, aux dépens des attentes populaires.

Je serais personnellement un peu plus optimiste. Je crois à la valeur des élections libres, et celles du Burkina sont libres. Il y aura très certainement des élections, sinon en 2014, du moins en 2015. Le risque principal pour le pays est celui d’un manque de reconnaissance (comme légitime) des futurs gouvernants ; et cela pourrait arriver si les élections conduisaient à un clivage entre deux blocs proches de 50%, à l’américaine ou à la française.

Le Burkina a connu cette situation en 1978, avec une présidentielle qui s'est jouée au second tour. Le Président sortant et réélu, Sangoulé Lamizana, était fier d'être le premier président africain a avoir vécu, en toute honnêteté démocratique, cette élection à deux tours ; à l'image de Charles de Gaulle en France en 1965. Mais la confiance dans les institutions républicaines n'était pas assez partagée pour qu'une si courte majorité donne une légitimité suffisante. L'armée déposa Lamizana deux ans plus tard.

À l'opposé, si un consensus se construit avant l’élection de 2014-2015 sur un candidat soutenu par une large coalition, l’armée considérera sans doute son régime comme durable, donc s’alignera. C'est ce qui avait bénéficié à De Gaulle en 1958 et lors de son premier mandat (notamment en 1960-61, dans les négociations en Algérie), et c'est ce dont les Présidents du Conseil de la IVème République avant lui, ne bénéficiaient pas.

Après la transition militaire, ou militaro-civile, le Burkina tente donc d'aller vers un consensus civil.

Ou civilo-militaire. Car aucun gouvernement ne peut gouverner sans le soutien des forces de sécurité (armée, douanes, police, gendarmerie). Celles-ci resteront donc en forte position pour prendre une part significative des revenus publics (ou qui auraient dû être publics). En ce sens, une situation de prédation pourrait, comme le craint LO, perdurer.

Notes

[1] Responsable de LO à Argenteuil, ancien conseiller municipal.