Hier 23 janvier, le député Philippe Doucet réunissait à la Cave Dîmière, pour une réunion d'échanges sur la laïcité, "des gens proches des valeurs de gauche".
La réunion était très forte, et même touchante. Des musulmans attachés au respect dû au Prophète, des catholiques piliers de paroisse, des "athées jusqu'au bout des ongles" (pour reprendre les mots de certains) ont échangé leurs réactions sur les tragédies récentes dans le respect, l'écoute et la fraternité.
Je suis intervenu sur quelques sujets qui me tenaient à coeur. Je reconstitue ici de mémoire cette intervention, en ajoutant du fil là où elle était décousue.
Je remercie le Député d'avoir invité, à travers nous, des représentants d'une tradition politique différente, celle du centre. Pour la gauche, la laïcité a toujours été un slogan fédérateur, qui ne posait pas question. Pour le centre, la laïcité a toujours été un sujet de débat, important et délicat ; car le centre réunit deux familles de pensée, l'une laïque portée par la franc-maçonnerie, l'autre démocrate-chrétienne, composée de personnes qui s'engageaient en politique au nom de leur foi, pour aider à concrétiser dans la société les valeurs auxquelles ils adhéraient comme chrétiens. Au MoDem, où nous avons milité pendant des années, nous avons toujours eu des personnes très attachées à la religion, et des "athées jusqu'au bout des ongles", très méfiants par rapport à la place des religions dans la société. Il y a eu des tensions, par exemple dans les débats sur le "mariage pour tous".
Comme je fais par ailleurs, depuis plus de vingt ans, des sondages et des études d'opinion, j'ai une mauvaise nouvelle pour les musulmans. Vous avez pu le voir dans les médias : la majorité des Français se méfient de l'islam.
En fait, la mauvaise nouvelle, c'est que les terroristes auteurs des derniers attentats sont, pour la majorité des Français, des musulmans.
Quand des représentants musulmans passent dans les médias, ils disent "ces terroristes ne sont pas des musulmans". Cela veut dire, si je comprends bien, "ils s'opposent à l'islam". Mais la majorité des Français ne comprend pas cette phrase, ils pensent que les représentants qui disent cela cherchent à éviter le problème.
Ces terroristes ne sont peut-être pas des musulmans, mais ils ont trouvé dans des communautés musulmanes, dans des réseaux musulmans, le soutien dont ils avaient besoin. Ce n'est pas la communauté musulmane dans son ensemble qui est concernée, mais c'est dans des communautés musulmanes que se trouve le terreau de ce terrorisme.
Aujourd'hui c'est l'islam qui est concerné, hier c'étaient les communistes… les terroristes des années 70 étaient tous communistes. C'était dans des réseaux communistes qu'ils trouvaient leurs soutiens. Pourtant les communistes dans leur ensemble, et leurs institutions, n'étaient pas terroristes du tout ! Totalement légalistes au contraire ! J'imagine que le Parti Communiste Français passait aux Renseignements Généraux la moindre information qu'il pouvait avoir ! Et pourtant, c'étaient bien des communistes.
Au passage, j'ai vu ces jours-ci sur twitter, c'est de mémoire, quelqu'un écrivait qu'il n'y a pas de terroristes athées. Il oublie Staline, Hitler et Pol Pot ! L'athéisme est le point commun des plus grandes terreurs du XXème siècle ! Et pourtant, bien sûr, les athées n'ont rien à voir avec le terrorisme.
Un petit témoignage personnel. J'ai vécu deux ans dans un pays à majorité musulmane, le Burkina Faso. Un pays où, depuis au moins un siècle il n'y a pas eu le moindre affrontement ou incident lié aux différences de religion. Les relations entre religions y sont tout à fait paisibles.
Avant le départ, l'ONG qui m'envoyait nous avait très bien formés. L'idée essentielle c'était "Quoi que vous voyez, il y a une raison. Ne réagissez pas simplement parce que vous êtes choqués. Dites-vous que ça pourrait aussi arriver à vous ou en France, selon les circonstances."
Ça m'a beaucoup aidé ; et pourtant, en deux ans, il est arrivé trois fois que je me dise : non, ça, c'est pas possible, en France, jamais ça n'arriverait !
Une fois, c'étaient les jeunes filles avec des vernis à ongles bleu clair ou vert clair. Je me suis dit : jamais on ne verra ça en France ! Vous voyez, c'était il y a plus de 25 ans.
La deuxième, c'était une grève des infirmières. Je me suis dit : en France, jamais les infirmières ne feraient grève. Et après mon retour en France, il y a eu une grande grève des infirmières.
La troisième, c'étaient les femmes "wahhabites" avec un voile noir qui les cachait entièrement, de la tête aux pieds. Je me suis dit : en France, on n'accepterait pas ça.
C'était il y a longtemps alors je me suis habitué ; mais ça fait que je comprends quand des gens sont choqués aujourd'hui, comme je l'étais à l'époque.
Alors, que faire après les attentats ? Il va y avoir des décisions difficiles à prendre, parce que les gens ont des opinions différentes sur le problème.
Ce sont bien des opinions. Les uns disent que le problème à combattre, c'est l'islamophobie, l'antisémitisme, la discrimination, "l'apartheid"… Les autres, je crois que c'est la majorité, pense que le problème vient de l'islam ; ou bien de l'islam comme cas extrême de la religion ; donc : que le problème vient de la religion.
Ce sont des opinions très différentes, et c'est inquiétant.
Mais ce qui me rassure, c'est que nous avons, que 99% des Français ont, je crois, un objectif commun. Celui qui s'est exprimé le 11 janvier. Une société paisible, solidaire, où tout le monde se sente respecté. Les valeurs de la laïcité, elles se sont exprimées dans tous ces dessins, ces panneaux, ces discussions… je pense qu'elle n'a pas eu, depuis longtemps, autant de contenu que ces jours-ci. Ces manifestations ont été un grand jour pour la laïcité.
Comment traduire cet objectif dans nos actes, là il reste des questions.
Il y a au moins une chose sur laquelle nous sommes tous d'accord : apprendre à réfléchir, à se faire une opinion, à l'époque de Facebook, Twitter et compagnie. J'entends à la télé qu'on accuse Facebook parce que des terroristes mettent leur propagande sur Facebook ; mais il y a 30 ans les terroristes mettaient leur propagande sur des tracts, et on n'accusait pas les tracts ! Les tracts n'ont pas de revolver, Facebook n'en a pas non plus.
Et pourtant quelque chose a changé. Les informations n'arrivent plus de la même façon qu'avant, et nous avons besoin d'apprendre à les recevoir, à les comprendre. Ça ne concerne pas seulement les "jeunes des banlieues". La théorie du complot n'est pas réservée aux musulmans. Le directeur informatique d'une entreprise avec laquelle je travaille me disait il y a quelques jours : "c'est louche, le Mossad doit être là-dedans, la carte d'identité laissée dans la voiture c'est pas possible…" Il n'a plus quinze ans, il a fait des études, il a un prénom d'origine latine… Cette maladie qu'est la théorie du complot, elle peut toucher tout le monde. Nous devons chercher les remèdes ensemble. Parce qu'elle fait partie de ce qui tourne la tête des gens qui deviennent des terroristes.
Pour conclure, une citation de Marguerite Duras que j'ai lue sur Twitter diffusée pendant les manifestations du 11 janvier. Elle date de 1985 et parle de l'an 2000.
En l'an 2000, "les réponses, il n'y aura plus que ça. Je crois que l’homme sera, littéralement, noyé dans l’information, dans une information constante. Ils verront de la télévision, on a des postes partout, dans la cuisine, dans les WC, dans le bureau, dans les rues."
Les personnes libres sont celles qui sauront poser les questions. Apprenons ensemble, et aidons les jeunes et les moins jeunes, à poser les questions.
Bonsoir. Je trouve l'initiative est bonne , elle mérite qu'elle soit généralisée sur tout le territoire .Je trouve que votre analyse est juste . Les terroristes étaient des musulmans certe car juste avant ils fréquentaient les mosqués et prononçaient la "CHAHDA" ,mais une chose qui est sur et certain ,ces criminels ne représentaient ni les musulmans ,qui sont dans leur majorité des gens de tolèrance et de paix ,ni l'Islam la religion qui prône la fraternité ,la tolérance .En ma qualité de responsable syndicale ,qui fréquente régulièrement les quartiers ,je peux donner le diagnostique suivant : la ségrégation sociale et le mauvais diagnostique de le décolonisation .Donc le politique a sa part de responsabilité ,tout parti confondu . Syndicaliste SUD IDF
L'introspection collective est toujours féconde, surtout si elle ne débouche pas sur un fantasme qui remplacerait la réalité. Sinon, à la tv et chez les politiques, ils pataugent plutôt dans le fantasme.
Je suis assez d'accord avec le syndicaliste .Sauf j'ajoute une chose , qu' on arrête a demander aux musulmans de se justifier , or qu'on oublit souvent que l'Islam est une religion ,non pas une origine et que ces musulmans sont avant tout des Français . La croyance est individuel ,elle n'est pas marquée sur le front de l'individu . Est ce qu'on avait demandé aux chrétiens de se justifier pour la tuerie de Norvège ? Est ce qu'on demande aux juifs de se justifier quand l'état hébreu commit des assassinats d'enfants en Palestine (1) au nom de la religion juive ( car l'état n est pas laïque ) (2) ? Aussi le plus frappant que en France on envoie souvent les jeunes des quartiers a leur identité religieuse , jamais a leur identité national . Il faut que le politique qui par son mandat électrique représente une institution qu'il fasse attention a sa proximité et sa préférence a telle ou telle religion , car rien ne se dissimule donc la neutralité s'impose . En fin pour la liberté d'expression : Qui est libre de s'exprimer quoi ??? On donne quoi comme limite a cette liberté ? Est ce sommes tous égaux dans ce nouveau concept de liberté. ? Mourad Argenteuil
(1)(2) NdB : dans l'esprit de la discussion de vendredi, je laisse ce texte sans l'éditer, d'autant qu'il me semble légal. Je souligne cependant que ces deux points, présentés par leur auteur comme des faits, relèvent d'opinions ou interprétations — Cf. des définitions des mots utilisés : "assassinat", "au nom de". Ma compréhension des événements est que ces termes s'appliquent exactement aux tueries à Charlie Hebdo, Montrouge et l'HyperCacher, et sont inexacts s'il s'agit de désigner les bombardements israéliens en Palestine. J'invite les commentateurs qui voudraient discuter de ce dernier sujet à se porter aux billets correspondants : Gaza : quels mots pour l'horreur ?, ou d'autres : Gaza, le chemin en impasse; Bien plus triste que wikileaks - les Palestine Papers; Paix pour tous, sécurité pour tous; et Israël-Gaza : la guerre durcie, avec les liens vers les billets antérieurs.
Merci pour ces réactions ;
@ SUD IDF : bien d'accord avec vous ; la ségrégation sociale est un problème profond (souvent discuté sur ce blog) et qui s'aggrave, ou en tout cas, s'aggravait jusqu'à la fin des années 2000 (Cf. chiffres et cartes sur cet article de 2012 : http://www.metropolitiques.eu/Les-i...).
@ Hervé Torchet : oui, ce qui était frappant dans cette discussion c'était l'absence de fantasme de grand-méchant-venu-d'ailleurs. La conscience collective que les causes et les solutions sont parmi nous, en France (même si des événements qui se passent ailleurs, comme en Israël/Palestine ou en Syrie/Irak, ont des répercussions chez nous). Note que c'était une discussion entre militants politiques (ou sympathisants).
@ Morad : merci également pour ce commentaire. Effectivement, à la place de l'expression souvent entendue (dans d'autres circonstances) "Français d'origine musulmane", les terroristes auraient pu être caractérisée comme "Musulmans d'origine française"… avec cependant l'ambigüité, discutée dans le billet et par SUD IDF, sur l'usage du terme "musulman" pour qualifier des terroristes.
Sur votre conclusion, "Qui est libre de s'exprimer quoi ??? On donne quoi comme limite a cette liberté ? Est ce sommes tous égaux dans ce nouveau concept de liberté ?", une réponse trop facile serait : cette liberté et ses limites sont définies par la loi, et nous sommes tous égaux devant la loi. Mais la loi elle-même est issue du débat démocratique. La loi évolue ; par exemple, l'incitation à la haine homophobe est explicitement réprimée depuis le 31 décembre 2004 (selon wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/Homoph...). La loi peut donc évoluer demain ; discutons-en !