La France forte est mon ambition.

Mais notre monde est devenu terriblement interdépendant : la croissance, le chômage, le terrorisme, les pollutions ne dépendent pas que des décisions nationales, loin s'en faut. Cette interdépendance est parfois vécue comme une contrainte : elle fait souvent peur. Il faut donc que la France puisse occuper toute sa place, puisse exprimer pleinement sa vocation internationale, puisse entraîner et convaincre.

À l'étranger, la France a des intérêts, mais aussi une audience, un rayonnement. Elle porte beaucoup d'espoirs.

Et d'abord en Europe.

Le grand marché européen inquiète ceux qui craignent de ne pouvoir s'y adapter, ceux qui se laissent atteindre par les poisons du corporatisme.

Cette crainte naturelle, mesurons-là, car l'ignorer ou la sous-estimer nous conduirait à un échec. Je ne crois pas, en effet, que l'Europe puisse se faire sans que le veuille une opinion publique convaincue. L'Europe est notre avenir, encore faut-il le préparer.

Je suis inquiet des difficultés de l'harmonisation fiscale, mais moins que je ne suis heureux d'être titulaire d'un passeport européen.

L'Europe sera celle que nous voulons, celle que nous construirons. Dans chaque secteur, nous nous opposerons à ce que le marché intérieur se traduise par une déréglementation sauvage. Nous veillerons à ce qu'à chaque étape, harmonisation aille de pair avec libéralisation.

La France ne sera forte que dans une Europe forte. Une Europe forte fera entendre sa voix et sentir son poids.

En tant que responsable, mon propos est sans doute austère. En tant que citoyen et tout simplement en tant qu'homme, mon enthousiasme est entier et mon espoir est intact.

Je rêve d'une politique où l'on soit attentif à ce qui est dit, plutôt qu'à qui le dit. Je rêve tout simplement d'un pays ambitieux dont tous les habitants redécouvrent le sens du dialogue, de la fête et de la liberté.

Je suis de ceux qui croient que la liberté, c'est toujours la liberté de celui qui pense autrement.

Chérir la liberté de cette manière-là, c'est, autour des thèmes que je vous ai proposés — la réconciliation, la solidarité, les chemins de l'avenir — construire un nouvel espoir pour que vivent les Français et que vive la France.

Michel Rocard - Déclaration de politique générale devant l'Assemblée Nationale - 29 juin 1988